Qu’est-ce qui fait tricher des élèves et des étudiants lors des examens ?

La triche s'est démocratisée avec les nouveaux moyens de communication.
La triche s'est démocratisée avec les nouveaux moyens de communication.

Les rumeurs faisant état de fuites et les fuites, lors des examens du baccalauréat, notamment lors des dernières années, sont les plus médiatisées parmi les tricheries des examens scolaires et universitaires.

La tricherie est une pratique répandue et ancienne dans les milieux d’enseignement et d’apprentissage. Les causes de cette pratique et les motivations des tricheurs sont multiples. On peut s’interroger aussi sur les processus d’apprentissage de la fraude, de ce qui la rend possible et la favorise. On ne peut, évidemment, en quelques pages, épuiser un tel sujet.

Des différentes tricheries

Il y a des élèves et des étudiants qui se font faire leurs devoirs, à réaliser à l’extérieur de la salle de cours, par de tierces personnes. Il y en qui s’adonnent au plagiat (notamment pour les plus avancés dans les cursus). Lors des examens sur table, des élèves et étudiants trichent ou tentent de le faire ; cela concerne aussi bien les devoirs surveillés et les compositions que les examens pour le passage au collège ou les diplômes nationaux (brevet des collèges et baccalauréat). Les techniques de copiage et de fraude sont innombrables et, parfois, ingénieuses. Les fuites des sujets ne concernent pas seulement les épreuves du baccalauréat : cela se fait même pour de banales compositions dans le collège ou le lycée ou des examens à l’université !

A l’université, en plus des fraudes en usage dans le système scolaire, un phénomène se développe fortement avec l’évolution des TIC : le plagiat. Cette tricherie touche aussi bien des étudiants (pour leurs devoirs et mémoires) que des enseignants (pour leurs thèses et publications). L’éthique perd de plus en plus de terrain.

Des motivations des tricheurs

L’écrasante majorité des élèves et étudiants trichent pour réussir à leurs examens ou pour avoir les meilleures notes possibles. Il y en a qui le font pour satisfaire d’autres motivations comme lorsqu’ils veulent défier un enseignant sévère ou le "système" : c’est une forme de subversion. Il y en a qui trichent seulement pour le plaisir de le faire.

Les fraudes se font parfois avec la complicité, voire la participation, des parents. La réussite scolaire et universitaire des enfants flatte l’ego des parents, notamment ceux dont le prolongement narcissique que constitue leur progéniture est très important. L’échec des enfants de cette catégorie de parents est insupportable à ces derniers : ils préfèrent l’illusion de la réussite à la réalité du niveau de leurs enfants.

Des causes des tricheries

Les pressions familiales et sociales représentent les causes principales des tricheries dans les contrôles et examens d’évaluation dans l’enseignement. Les pressions familiales sont plus importantes dans l’enseignement scolaire, tandis que les pressions sociales sont plus fortes dans l’enseignement supérieur.

La compétition incite le sujet à acquérir des compétences de fraude : cela peut aller jusqu’à "tous les coups sont permis" ! En plus de cela, le sujet développe des sentiments d’égoïsme. Comme les méthodes pédagogiques employées dans le système éducatif algérien ont pour objectif d’inculquer un esprit de compétition aux élèves et étudiants, cela constitue une des causes de la tricherie scolaire et universitaire.

De l’apprentissage de la tricherie

Les élèves et étudiants qui fraudent pendant leurs examens scolaires et universitaires ne naissent pas tricheurs. La tricherie n’est pas un caractère inné ; c’est un comportement qui s’acquiert. Les enfants, adolescents et jeunes adultes apprennent à tricher en regardant les adultes s’adonner à cette pratique. L’obligation de réussite dans leurs cursus crée une "nécessité" qui les contraint à cet apprentissage. Comme il n’existe pas de formation (institutionnelle) à la fraude, ils apprennent sur le tas.

Les adultes, à commencer par les enseignants, qui se scandalisent lorsqu’ils constatent des cas de tricherie chez des élèves ou étudiants, "oublient" leur passé d’élèves ou d’étudiants. Les adultes qui n’ont jamais triché, ou essayé de le faire, durant leur scolarité sont rarissimes.

Dans la vie sociale, souvent, ces adultes moralisateurs trichent quotidiennement, partout : des enseignants et autres encadreurs éducatifs, des parents au sein des familles, des sportifs dans les différentes disciplines et compétitions, des dirigeants du pays, des responsables à tous les niveaux, des hommes de loi (magistrats, policiers et gendarmes), etc.

Sans parler de leur passé d’élèves et étudiants, un certain nombre d’enseignants, de directeurs et d’inspecteurs accèdent à leurs postes en trichant lors des concours de recrutement (chaque année apporte son lot de scandales) comme cela se fait dans les autres secteurs de la fonction publique. Les fraudes se font pendant les épreuves ou par la grâce d’un système népotique et clientéliste.

De grands sportifs trichent pendant les compétitions, en simulant ou en se dopant, pour gagner : ils montrent à la jeunesse "comment" réussir ! Peut-on blâmer des jeunes de vouloir imiter ces stars ? Des parents trichent dans leur vie sociale et professionnelle. Ils mentent, volent, pratiquent la corruption : que peuvent apprendre d’autre leurs enfants ?

Lorsque cette jeunesse apprend qu’un grand nombre parmi les « modèles » de réussite sociale que sont les responsables du pays truquent les élections, détournent l’argent public, pratiquent le favoritisme et le népotisme, comment peut-on se permettre de lui donner des leçons de morale ?

La désignation du "pot-de-vin" par le mot "café" pour l’adapter culturellement (j’allais écrire "cultuellement") semble avoir transformé l’illicite en licite puisque la corruption ne pose plus de problème d’un point de vue moral pour une partie importante de la population. Et notre jeunesse ne peut pas être insensible à cette pratique : elle voit et entend.

Et comme les services de sécurité et la justice, qui sont censés lutter contre toutes ces fraudes, partagent ces pratiques avec le reste de la population, cette jeunesse ne peut pas comprendre pourquoi elle doit respecter les interdits : les repères et les frontières sont brouillés.

Nous vivons une époque où le vice tend à supplanter la vertu dans l’échelle des valeurs et où les "modèles" de réussite sociale sont les tricheurs. Les espaces d’apprentissage de l’honnêteté et de la probité se réduisent et deviennent "invisibles". Les arguments pour éduquer à la probité perdent de leur force de persuasion et de conviction. Pourtant ce système, qui a érigé la tricherie en comportement obligatoire pour ceux qui veulent réussir professionnellement et socialement, s’arroge le droit d’interdire aux élèves et aux étudiants de tricher lors de leurs examens sous peine de sanctions. La logique voudrait que le système éducatif forme la jeunesse pour qu’elle puisse réussir dans sa vie socioprofessionnelle ! Et puis, quelle crédibilité peut avoir ce système pour lutter contre la tricherie ?

Entre la théorie de ce qu’on apprend à l’école et la réalité de la vie sociale, l’apprenant se retrouve dans une situation, intellectuellement et moralement, conflictuelle : d’un côté les recommandations à la droiture et à la probité, de l’autre côté une pratique de la tricherie à grande échelle.

Ainsi, la tricherie s’apprend dans le monde social qui constitue l’environnement de la jeunesse. Le "système" forme des tricheurs qui vont "sévir" dans les cycles scolaires et universitaires, en usant, parfois de violence. L’actualité de ce mois de juin montre que des monstres peuvent naître de ce système et provoquer des événements tragiques. Un enseignant de l’université de Khemis Meliana a été sauvagement tué par deux de ses étudiants (en droit !) qu’il avait empêchés de tricher !

Ce qui facilite, ou favorise, la tricherie

L’élève et l’étudiant vivent dans un environnement favorable à la tricherie qui tend à devenir une « compétence » appréciée par beaucoup. Dans son écrasante majorité, notre jeunesse ne fréquente plus l’école et l’université pour s’instruire et se cultiver : de bonnes notes et des diplômes (obtenus à n’importe quel prix) leurs suffisent ! L’offre de nos institutions éducatives en matière de savoir, connaissances et culture ne répondent pas aux attentes des enfants, adolescents et jeunes adultes.

L’école algérienne vit un véritable marasme pédagogique. Malgré les annonces et la volonté affichée d’évoluer vers des approches pédagogiques modernes, dans la réalité, on tourne en rond : on n’arrive pas à sortir réellement de l’approche par les contenus même si, officiellement, c’est l’approche par les compétences qui est retenue. Dans la pratique, ce sont les contenus (et la transmission de savoirs) qui sont privilégiés au détriment des compétences à installer. Et cette approche se retrouve naturellement dans les évaluations, ce qui facilite la tricherie.

Les dispositifs qu’on met en place pour évaluer les élèves et étudiants, notamment les plus marquants comme le baccalauréat ou le brevet des collèges, éveillent chez un certain nombre d’élèves une "conscience" à la fraude. Les centres d’examens se transforment en bunkers, les enseignants en policiers et les élèves-candidats en tricheurs potentiels. Mobiliser des dizaines de milliers de gendarmes et policiers pour l’organisation des épreuves du baccalauréat ne peut constituer qu’une solution conjoncturelle et ponctuelle ; cela ne peut pas être pérennisé.

Des moyens pour lutter contre la tricherie

C’est l’exemple qui est la première force de l’éducation. Les adultes doivent donner l’exemple à la jeunesse en se comportant dans leur vie familiale, sociale et professionnelle de façon honnête. "Fais ce que je te dis, non ce que je fais" est aberrant en éducation.

Les discours moralisateurs ne sont pas efficaces. Les interdictions (faites, notamment, par des personnes non crédibles) et les sanctions n’ont jamais résolu ce problème. Les lois et les dispositifs faits pour lutter contre la délinquance et le crime permettent de mettre hors d’état de nuire des délinquants et des criminels mais sont insuffisants pour éradiquer ces phénomènes antisociaux. Les menaces de sanctions et les châtiments, aussi sévères soient-ils, ne dissuadent pas tous les candidats aux délits et crimes de commettre leurs forfaits. Seule l’éducation et l’élévation du niveau culturel permettent de faire baisser substantiellement la délinquance et la criminalité.

L’approche philosophique de l’enseignement scolaire et supérieur doit évoluer. Une révolution pédagogique s’impose aussi.

On fréquente l’école et l’université pour s’instruire, se cultiver, développer ses compétences en matière de communication, apprendre à réfléchir et à analyser, se former à l’exercice de la citoyenneté avec un esprit critique et constructif. Ces espaces ne doivent pas continuer à délivrer des diplômes qui sanctionnent, souvent, des illusions de savoirs et des bribes de culture. Pour opérer cette transformation, le système éducatif doit évoluer pédagogiquement. Les pédagogies transmissives, aliénantes et fondées sur la compétition, doivent laisser place à des pédagogies, véritablement actives, qui inculquent l’esprit de coopération, développent l’esprit d’analyse, permettent au sujet d’acquérir de véritables compétences et savoirs. Il faudra former les enseignants à des méthodes qui donneront envie à cette jeunesse de s’instruire, de se cultiver et de se former. Il faudra des outils pédagogiques modernes et des contenus qui intéresseront et motiveront les élèves et étudiants. Il sera ainsi possible de mettre en place des méthodes d’évaluation qui diminueront, de façon drastique, la tricherie et d’éviter, par la même occasion, ses conséquences.

Nacer Aït Ouali

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Commentaires (13) | Réagir ?

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departement education

Merci pcb

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fateh yagoubi

Merci pour cet article

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