La pétaudière de l'audiovisuel algérien

Les paraboles qui surplombent les immeubles sont la meilleure preuve de cette soif médiatique des Algériens.
Les paraboles qui surplombent les immeubles sont la meilleure preuve de cette soif médiatique des Algériens.

Par-delà l'événement médiatique créé par la "caméra cachée" d'une chaîne de télévision privée, et qui aura charrié une forte charge de polémique, il y a lieu d'observer que le monde de l'audiovisuel algérien peine à achever, ou du moins à mûrir, sa configuration qui ferait de lui un paysage ayant un contour, une couleur et une dimension.

Sur plus de 40 chaînes portées, depuis plusieurs années, par les satellites, seules cinq d'entre elles ont été agréées. Le gouvernement a décidé, en novembre dernier, d'augmenter ce nombre à 10 et de préparer les cahiers de charges devant régir cette activité.

Avec le brouillage et les divers cafouillages qui le grèvent, on est fondé à penser que le champ audiovisuel algérien - un nom qui, réellement, ne sied pas encore - est, le moins que l'on puisse dire, semé de confusion, sans repères et… apatride! Oui, un grand nombre de chaînes privées n'ont en Algérie qu'un "bureau de liaison" ou une antenne administrative. Immanquablement, les espoirs nés après octobre 1988 d'avoir une information libre et performante, ne sont comblés que partiellement, par le moyen de la presse écrite. Là encore, de façon fort relative, lorsqu'on considère les contraintes et les difficultés de cette presse à porter correctement et honnêtement les aspirations de la société.

Plus d'une quarantaine de chaînes de télévision arrosent quotidiennement les foyers algériens via le satellite, cela, en plus des chaînes publiques (cinq variantes d'une même chaîne, en vérité). Quelques canaux ont pu se faire une relative audience. Cela se comprend, au vu de la vacuité du paysage culturel algérien (cinéma, activités de création et de récréation, lecture,…) et en raison aussi du modeste niveau de l'école algérienne qui ne permet pas des acquisitions culturelles d'une certaine importance. Les chaînes publiques, quant à elles, continuent à se comporter comme des gardiennes du temple, défendant bec et ongles la notion de chaînes gouvernementales et non celle de chaînes publiques. Il ne s'agit nullement d'une erreur de compréhension ou d'une expansion sémantique; c'est la traduction fidèle d'une réalité qui s'est enraciné dans la pratique depuis le temps du parti unique et de la chaîne… unique.

Lorsque l'amateurisme et le sensationnel font bon ménage

L'autre "son de cloche" que tente de faire valoir certaines chaînes privées, dans la manière de faire l'information ou le divertissement, tombe souvent sous le coup du sensationnel et de l'amateurisme, jusqu'à être à l'origine de graves dérives et de porter atteinte parfois aux valeurs morales de la société. On confond alors charlatanisme et émission scientifique ou documentaire, et on met dans le même sac opinion politique et provocation, et, enfin, on amalgame information et fantasmagories.

Tout cela se passe dans une indifférence générale des pouvoirs publics et de…l'autorité de régulation. On oublie les fautes, on excuse les peccadilles, on laisse se débiter le discours pourfendeur de la déontologique et de l'éthique, jusqu'à ce que l'on sente que le "droit régalien" vient d'être écorché et que le "politiquement correct" a été allègrement franchi. Là on se réveille à son devoir de "régulateur" et l'on décide, par exemple, de porter plainte contre une de ces chaînes. Il est tout à fait possible, que sur le plan du droit, le ministre de la Communication soit fondé à mettre en mouvement l'action publique. Néanmoins, si l'on faisait dérouler les bandes d'enregistrement de tout qui a été débité par les chaînes privées, on se rendrait compte que l'action publique a été ratée à maints endroits. Et puis, en dehors des chaînes agréées, porter plainte contre une entité juridique de droit étranger, pose un problème de jurisprudence.

Les ravages du commerce informel n'ont décidément épargné aucun secteur, allant de simples victuailles jusqu'à des chaînes de télévision, en passant par les pièces détachées et les matériaux de construction.

C'est le gouvernement lui-même qui reconnaît cet état de fait. Par la voix de son ancien ministre de la Communication, Hamid Grine, on apprend que l'ancienne chaîne El WatanTV, aujourd'hui disparue, "exerce de manière informelle. C'est une chaîne qui travaille de manière informelle et illicite". De tels "chefs d'accusation", qui devraient logiquement s'appliquer aussi pour la majorité (les 4/5e) des chaînes privées captées et suivies aujourd'hui par les Algériens, sont normalement supposés se traduire par une politique claire sur le plan de la gestion du paysage médiatique national, et plus spécifiquement du paysage audiovisuel. Jusqu'à présent, il n'en est rien.

Les ahans du processus de démocratisation

La loi sur l'audiovisuel, adoptée en janvier 2014 par le Parlement, est censée ouvrir de nouveaux horizons pour l'accès à l'information, au spectacle et à la culture via la télévision et la radio, dans leur configuration ouverte sur l'entreprise privée. Cette étape de l'ouverture du champ médiatique dans notre pays est venue vingt-trois ans après l'ouverture du domaine de la presse écrite aux personnes morales de droit privé. Cet intervalle de temps qui sépare ces deux étapes- inscrites dans le processus de la démocratisation de la vie politique, institutionnelle et sociale - n'est pas dû à un retard technologique dans le domaine spécifique de l'audiovisuel, bien que d'énormes progrès aient été enregistrés au cours de ces deux dernières décennies, mais à l'irrésistible itinéraire de ce processus démocratique qui classe dans le "hautement stratégique" l'accès à l'image et au son, du fait que ces moyens techniques sont plus accessibles aux populations analphabètes ou moyennement instruites, que le support graphique du papier journal.

En effet, même si la presse algérienne tire une fierté non dissimulée d'avoir franchi des étapes importantes dans la liberté d'expression et dans l'instauration d'une certaine culture de la pluralité, elle porte en elle ses propres limites du fait du recul du lectorat, dû, entre autres à la faiblesse de la formation scolaire, à l'hégémonie des télévisions satellitaires étrangères et à l'émergence d'internet.

L'Algérien est devenu l'un des plus grands consommateurs de produits télévisuels étrangers. La preuve la plus aveuglante, qui n'exige aucune enquête ou sondage, c'est bien la "forêt" d'assiettes paraboliques qui garnissent et enlaidissent les bâtiments de nos villes et les maisons de nos campagnes.

Le phénomène est si répandu que feu Abdou Benziane s'est permis cette assertion- au début des années 1990 déjà- mi-humoristique mi-désespérante par laquelle il déclare toutes ces chaînes qui arrosent le ciel d'Algérie et les foyers des ménages comme "nationales". Et ce, pour la simple et bonne raison qu'elles sont consommées par des nationaux qui ne peuvent plus s'en passer.

Un quart de siècle d'un parcours exaltant et …raboteux

Indubitablement, la marche glorieuse de la presse écrite au cours de ce dernier quart de siècle - même si elle a été soumise à rude épreuve par la décennie du terrorisme, greffée à une certaine "frilosité", pour ne pas dire plus, de certains cercles du pouvoir politique non encore acquis à la liberté de parole-, a accompagné la population dans ses plus graves interrogations et dans ses difficultés à vivre une douloureuse transition économique et sociale. Elle a soutenu le monde associatif, les syndicats, les populations isolées dans leurs bourgades éloignées, comme elle a soutenu l'État lorsqu'il était menacé d'effondrement au milieu des années 1990. À cette occasion, on a relativement réussi à séparer les concepts "État" et "pouvoir politique", et à faire œuvre d'une fructueuse pédagogie. Mais, il y a lieu de le réitérer, l'influence de la presse écrite est circonscrite dans des franges sociales bien déterminées. Cependant, une certaine "irradiation" a pu se réaliser auprès de couches et des ménages moins disponibles à la lecture.

En tous cas, le besoin et la soif de l'information et de la communication ne faisaient que s'accroître dans une société qui commençait à sortir du tunnel de l'insécurité et à exiger plus d'emplois et un meilleur pouvoir d'achat; une société qui découvre aussi ses propres travers et insuffisances dans la manière de protéger et de gérer son propre cadre de vie.

La télévision publique, en dehors de certaines émissions de service public, a largement montré ses limites en matière de prise en charge du besoin d'information, de formation et de distraction des ménages et des jeunes Algériens. Après que les foyers furent arrosés de centaines de chaînes satellitaires et que les étalages de buralistes eurent été inondés de dizaines de quotidiens en arabe et en français, la télévision publique, malgré ses déclinaisons en A3, A4, Canal Algérie, TV Coran, n'a pas pu accompagner les nouveaux besoins de la société dans tous les domaines de l'information, de la communication et du spectacle. Elle est restée le dernier temple dans un monde pluraliste en mouvement. Et c'est dans ce contexte, auquel s'est greffée une prodigieuse avancée technologique qui a simplifié les transmissions intercontinentales, que des entreprises algériennes se sont investies, "off shore", c'est-à-dire à partir de l'étranger, dans le domaine de la télévision par satellite.

Mais, qui a intérêt à faire durer l'informel, le déficit de professionnalisme, les pratiques débilitantes et la confusion juridique ? Qu'attend le gouvernement pour mettre de l'ordre dans le capharnaüm audiovisuel algérien ?

Amar Naït Messaoud

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Commentaires (7) | Réagir ?

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algerie

جزاكم الله خيرا

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DSP beddiare

Merci Beaucoup

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