Rachid Tlemçani : "Il faut faire avec ce nouveau parti d’insoumis de la société antisystème"

Le politologue Rachid Tlemçani.
Le politologue Rachid Tlemçani.

Le politologue Rachid Tlemçani donne quelques clés de compréhension des dernières législatives.

Le Matindz : Les résultats officiels du scrutin du 4 mai 2017 ont-ils été pour vous une surprise ?

Rachid Tlemçani : Les résultats officiels du scrutin de mai 2017 n’ont guère surpris les observateurs avertis en Algérie ou ailleurs. Si dans les pays démocratiques, les élections réservent toujours des surprises aux électeurs et à l’opinion publique, ce n’est pas le cas dans les pays autoritaires. Les résultats dans ces pays sont connus avant même la tenue des élections. L’enjeu électoral n’est pas l’alternance pacifique au pouvoir mais la consolidation, voire la légitimation, du groupe dominant au détriment de la promotion de la démocratie et des règles de jeu transparent. Les résultats officiels expriment en réalité le dénouement d’une lutte obscure des clans au sein du sérail et des groupes d’intérêts, ces derniers ayant fait main basse sur l’économie de bazar et les rentes de situation. Le rétrécissement drastique des revenus énergétiques ces dernières années a exacerbé ces luttes qui étaient contenues au sommet de l’Etat. Leur férocité ces derniers temps est telle qu’elles ont envahi, lors de la confection des listes des candidats, la sphère publique et médiatique où tous les coups-bas sont permis au vu et au su de tout le monde. Il n’y a pas de partis politiques qui sont à l’abri des luttes intestines, byzantines. L’intérêt particulier prime sur l’intérêt du parti et de la collectivité. La violence, physique et symbolique, devient dans un tel contexte l’instrument de prédilection des rendez-vous électoraux. Les électeurs se détournent ainsi visiblement des urnes, les véritables enjeux sont ailleurs. Les rêves de la jeunesse ne rentrent pas dans les urnes, ils sont noyés en Méditerranée ou ailleurs.

Le successeur du président Bouteflika sera manifestement coopté dans le sérail, la famille, bien que plus de 70% des électeurs se sont détournés des unes.

Quelle est votre analyse suite aux résultats de la cinquième législative de l’ère du multipartisme?

Comme attendu, le FLN et son excroissance le RND ont obtenu la majorité absolue des sièges. Le FLN dirigé par Djamel Ould Abbes que le scandale des listes électorales qui l’a entre autres éclaboussé ne l’a pas empêché de remporter 164 sièges. Le FLN veut être ainsi perçu comme la première formation politique du pays et "peut gouverner encore pendant 100 ans", affirme Ould Abbes. Ce résultat dans l’ensemble était prévisibles puisque la campagne électorale a été menée au nom du président Bouteflika coopté comme le président d'honneur de ce parti en janvier 2005 alors qu’il s’était présenté aux présidentielles de 1999 comme le "rassembleur" de tous les citoyens dans une Algérie dominée, paradoxalement, par l’émergence d’une classe de nantis sans scrupules revendiquant haut et fort une forte représentativité dans les centres de décision. L’alliance FLN/RND totalisant 264 sièges sur 462 reste la formation politique du pouvoir et de l’administration. Elle a officiellement recueilli à peine 11% du total des inscrits. Même en y ajoutant les groupes islamistes, le TAJ et le MPA, le pouvoir n’est appuyé que par moins de 20% du corps électoral. Ce score ne l’empêche pas de parler au nom du peuple algérien. Un néo-FLN, appelée alliance présidentielle, s’est reconstitué au fil de la crise sécuritaire. L’ouverture démocratique du système autoritaire s’avère être très limitée après un quart de siècle de "pratiques démocratiques". Le successeur du président Bouteflika sera manifestement coopté dans le sérail, la famille, bien que plus de 70% des électeurs se sont détournés des unes.

Tout compte fait l’on assiste à la re-traditionnalisation du pouvoir politique dans son ensemble. Des candidates voilées apparaissent sans visage sur les affiches de plusieurs listes partisanes (FFS, FNA…) exprimant très clairement l’islamisation par le bas.

Ce scrutin a-t-il donné un nouvel éclairage sur l’islam politique dans notre pays ?

Sans grande surprise, la mouvance islamiste est classée en troisième position bien que sa base sociale se soit rétrécie ces dernières années dans notre pays et ailleurs. Elle a remporté entre 70 et 80 sièges justifiant ainsi l’attribution de quelques sièges ministériels. L’islam politique dit "modéré" ne fait plus recette aujourd’hui. Par contre, le salafisme gagne du terrain et s’implante en douce dans des sphères idéologiques (éducation et médias) tandis que "l’islam de marché" domine plusieurs secteurs d’activités commerciales (informatique et pièces de rechange). Tout compte fait l’on assiste à la re-traditionnalisation du pouvoir politique dans son ensemble. Des candidates voilées apparaissent sans visage sur les affiches de plusieurs listes partisanes (FFS, FNA…) exprimant très clairement l’islamisation par le bas. Selon le président de la HIISE (Haute instance indépendante de surveillance des élections), "la loi a donné la liberté aux candidats de choisir la manière de se faire connaître aux électeurs ( …) Avec le nom seulement ou le nom avec la photo, le choix est laissé au candidat qui doit respecter néanmoins les dimensions de l’affiche".

Comment expliquez-vous les erreurs commises par le Ministère de l’Intérieur lors du dépouillement ?

Les chiffres des législatives donnés par le Conseil constitutionnel montrent des écarts très importants avec ceux annoncés par le ministère de l’Intérieur. Le taux de participation est ramené de 37,09% à 35,37, soit près de deux points d’écart. Le plus surprenant concerne le nombre de bulletins nuls. Il est ramené à la baisse, à 1.757.043. Les services du département de l’Intérieur se sont trompés également dans le nombre de votants avec un écart de 398.976 entre leur chiffre (8.624.199) et celui du Conseil constitutionnel (8.225.223). Autres couacs, des chiffres annoncés avec beaucoup de retard, d’autres totalement absents, un site web officiel inefficace. Le Ministère des Affaires Etrangères n’a pas fait mieux. Les résultats de la diaspora n’ont pas été livrés à temps… A ces problèmes techniques, il faut ajouter la falsification des PV et le bourrage des unes, tel que des vidéos l’ont dévoilé. Très étrange, l’Algérie a vécu pourtant le 4 mai 2017 sa première élection législative à l’ère de la 3G et de la 4G. La numérisation du processus électoral évitera manifestement tous ces couacs. Mais quel est le groupe politique, pouvoir et opposition, qui souhaiterait une transparence totale des élections ?

La gestion de la crise de légitimité par la peur ne fonctionne plus. Désormais, rien ne fait peur à la jeune génération.

Lors de la campagne électorale, le gouvernement ainsi que l’opposition politique ont appelé les citoyens a voté massivement le 4 mai. Mais en vain. Comment expliquez-vous la faible participation, un record historique ? Quels sont les enseignements à tirer de cette participation ?

Il y a plusieurs niveaux d’analyse pour expliquer la désaffection électorale. Pour beaucoup d’Algériens, les élus, aux niveaux local et national, n’apportent pas de réponses à leurs problèmes quotidiens. Les députés ne se préoccupent que de leurs honoraires et des rentes de situation. L’APN est une simple chambre d’enregistrement, elle n’a pas de réels pouvoirs pour influer un tant soit peu sur les décisions du gouvernement. Les députés ne se font pas d’ailleurs d’illusions, l’absentéisme est devenue problématique lors des plénières. Tout compte fait, ils n’ont pratiquement initié aucune loi durant les quatre législatives précédentes ! Les députés sortant ont concédé sans résistance des prérogatives à l’Exécutif mais ils ont pris le soin de bien négocier leur prime de départ. Le projet de loi de finances de 2016 a accordé, entre autre, à l’Exécutif le droit de réviser en toute discrétion des crédits déjà votés.

Paradoxalement le pouvoir ainsi que l’opposition officielle encouragent d’une certaine manière un fort taux d’abstention. Une forte mobilisation électorale remet en cause inéluctablement le statu quo ambiant et par conséquent engendre une dynamique conflictuelle susceptible de prendre en charge autrement la gestion des affaires de la cité. Plus problématiquement, l’opposition institutionnelle n’a pas jugé utile de rejoindre le mouvement social qui ne cesse de prendre de l’ampleur à travers tous le pays. Elle préfère tout bonnement se positionner en marge du mécontentement populaire. "Wait and see", telle est la politique mise en application. L’étude sociologique du profil des candidats révélerait que des repoussoirs, corrompus, opportunistes et incompétents, sont présentés aux électeurs. La plupart des députés sortant sont reconduits, les jeunes militants sont souvent absents des listes. Le chef d’Etat a probablement remis un bulletin "nul", il est bien admis aujourd’hui qu’il ne croit pas beaucoup à la démocratie. Il ne faut pas donc s’attendre à ce que les électeurs votent en masse. Comme autre profil, les hommes d’affaires et les oligarques sont nombreux à se présenter à ces élections. Les responsables des partis sont même très fiers de soutenir le capital informel et spéculatif. La "chkara", l’argent douteux, a envahi les centres de décision quand une politique rigoureuse d’austérité et des restrictions budgétaires est imposées à l’ensemble des Algériens.

Les slogans officiels, tels que "La menace aux frontières", "la main de l’étranger qui veut déstabiliser le pays", "la nécessité de préserver la sécurité du pays", n’ont pas persuadé les Algériens à aller voter en masse. La gestion de la crise de légitimité par la peur ne fonctionne plus. Désormais, rien ne fait peur à la jeune génération.

Pour rappel, Said Sadi, SG du RCD à l’époque, avait soutenu que l’armée est le seul parti authentique dans le pays. Le scrutin de 2017 a clairement dévoilé que les abstentionnistes constituent un autre grand parti. Ce dernier est constitué de jeunes actifs et engagés pour le bien de la collectivité. Désormais il faut faire avec ce nouveau parti d’insoumis de la société anti-système "L’Algérie du marteau" et "l’Algérie de l’enclume" risquent de s’affronter si une ouverture sincère et authentique n’est pas amorcée rapidement.

Les autonomistes et les séparatistes gagnent du terrain à chaque événement tandis que les partis traditionnels se trouvent discréditer un peu plus. La jeunesse leur tourne le dos.

Les partis démocrates (FFS, RCD et PT) n’ont pas fait un bon score. A quoi attribuez-vous ces faibles résultats ?

Le FFS a remporté 14 sièges, le PT,11 et le RCD, 9. Aucun de ces partis ne peut constituer un groupe parlementaire. Ces partis ne se sont pas positionnés dans le camp présidentiel lors de la lutte au sommet qui s’est soldée par la mise à la retraite du chef du DRS. Par contre, le TAJ et le MPA ont soutenu le clan présidentiel sans ambigüité pour ne pas dire d’une façon grotesque ont obtenu respectivement 19 et 13 sièges. Pour des partis dont leur base sociale est virtuellement insignifiante, ils ne pouvaient pas espérer mieux.

Déconnectés de la réalité, les partis dits "démocratiques" ont appelé les Algériens à voter massivement comme ce fut le cas du pouvoir. Ce qui est important à relever c’est que ces partis n’ont pas été écoutés même dans leur fief de prédilection. Le SG du FFS n’a pas été élu dans son propre douar ! Dans les circonscriptions de Tizi-Ouzou, Bejaia, Bouira, Boumerdes ainsi qu’en France, perçues comme le fer de lance de la démocratie algérienne, le taux de participation est le plus faible. Il est officiellement de l’ordre de 17%. Par contre, la consigne de "boycott" émise part le MAK et les autres groupes a été bien suivie. Les autonomistes et les séparatistes gagnent du terrain à chaque événement tandis que les partis traditionnels se trouvent discréditer un peu plus. La jeunesse leur tourne le dos. Le pouvoir les a finalement piégés. Par contre, les partis qui ont appelé au boycott, comme Jil Jadid de Sofiane Djilali et Talaie El Houriat dirigé par Ali Benflis, candidat aux élections présidentielles de 2004 et 2014, gagnent en crédibilité. En tirant les enseignements de l’élection présidentielle de 1999, Ali Benflis a jugé utile d’investir le champ politique contrairement aux candidats qui se sont retirés de cette élection plébiscitant de facto le candidat de l’establishment sécuritaire.

Quelle a été la particularité de cette campagne électorale ?

Cette campagne dans l’ensemble s’est déroulée comme les précédentes, sans incident majeur. Il est de tradition lors des grands événements que le pouvoir ne lésine pas les moyens (équipements, allocations financières et personnel). On a assisté à 3 semaines d’une parodie, une campagne morne, sans contenue et sans substance. Les espaces réservés par le gouvernement ont été désertés par les électeurs. Des grands meetings ont été annulés… Ce désintérêt est légitime lorsque la question sociale est absente du discours "démocratique" ainsi que du discours islamiste cette fois-ci.

La plus grande particularité de cette campagne a trait à l’intervention d’un nouvel acteur, les internautes. Le clip du youtubeur DZjoker titré Mansotich ("je ne saute pas", jeu de mot avec manvotich, "je ne vote pas") est devenu l’hymne des partisans du boycott. Cette vidéo a été visionnée à plus de 4 millions durant la campagne.

Au regard de ces résultats électoraux, l’expérience démocratique est-elle un échec en Algérie ? N’est-il pas opportun de faire le bilan de l’expérience démocratique ?

La démocratie politique a aggravé les inégalités sociales en Europe, aux USA ainsi qu’en Tunisie, l’exception du printemps arabe. Les dernières élections dans ces pays ont clairement montré que cette forme de représentativité est arrivée à ses limites. Le modèle de sortie de crise mis en place au lendemain des émeutes d’octobre 1988 a été vendu au rabais aux élites, rentières et autoritaires. L’infitah sous contrôle avait pour objectif ultime la légitimation d’un autoritarisme électoral. La transition politique algérienne doit se baser sur la mise en place d’un processus graduel et apaisé devant aboutir à un autre modèle de développement politique et économique. La démocratie délibérative s’adaptant facilement à certaines valeurs traditionnelles est l’instrument privilégié devant contribuer à l’instauration d’un nouvel ordre social plus juste et équitable. Cette démocratie est à construire avec la génération des réseaux sociaux, les nouvelles élites décomplexées du récit de la légitimité révolutionnaire et historique.

Entretien réalisé par Hamid Arab

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Commentaires (10) | Réagir ?

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algerie

merci

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msilaDSP DSP

merci bien pour les informations

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