Outemzabt Mounir : "La censure en Algérie existe toujours et sous plusieurs formes"

Mounir Outemzabt
Mounir Outemzabt

Une étude sur "Les différentes formes de censure vues par des journalistes algériens de la presse francophone" a été menée par Outemzabt Mounir (*), étudiant-chercheur en sciences de l’information et de la communication à l’université de Nice- Sophia Antipolis, au sud de la France. Le chercheur, qui est également journaliste, nous révèle les résultats de sa recherche dans cet entretien.

Le Matindz : Quelles sont les formes de censure les plus ressenties en Algérie ?

Mounir Outemzabt : Il y’en a plusieurs. La presse écrite privée a vécu des pressions politiques et économiques durant les années 1990 et 2000. C’était une crise politico-médiatique, où les journaux ne trouvaient pas leur liberté. A titre d’exemple, l’information sécuritaire a toujours été strictement contrôlée. Les autorités faisaient pression aussi sur les journaux au travers de l’imprimerie qui va leur servir de levier de censure. La presse algérienne privée et particulièrement la presse francophone a souvent été un contre-pouvoir. Elle s’oppose à la dictature et à l’injustice du régime en place et à ses divers démembrements. Elle dénonce l’arbitraire, divulgue les secrets et touche parfois à l’intouchable, à savoir le cœur du pouvoir. Celui-ci réagit brutalement dès qu’il sent que ses intérêts ou un de ses segments sensibles est la cible de la presse. Depuis quelques années, crise de la pub aidant, les journalistes s’autocensurent beaucoup plus. En outre, les autorités imposent des obstacles dits juridiques à travers la loi contraignante de la liberté de la presse inscrite dans le code de l’information de 1990 et/ou dans les textes incriminants prévus par le code pénal, en particulier après sa modification en 2001. En général, les journalistes s’estiment « libres », ne pas subir de pressions auxquelles ils ne pourraient résister. Et en réalité, ils sont progressivement sélectionnés au fil de leur carrière de façon à ce qu’ils fassent volontairement ce qu’on attend d’eux. Cela est néanmoins le résultat de ma recherche.

Neuf journalistes ont été interviewés dont une femme. Six d’entre eux ont fait l’objet d’une autocensure. Ils ont dénoncé les pressions politico-économiques exercées et par le pouvoir en place et par les sociétés de grande puissance. Ces pressions politiques et économiques sont moins visibles et moins directes mais poussent ces journalistes à s’autocensurer afin de ne pas déplaire aux annonceurs. D’autres raisons de l’autocensure sont liées généralement aux relations des journalistes avec les politiques parfois très amicales et professionnelles.

Qu’en est-il de la censure dite politique ?

Il s’agit d’une censure exercée par le gouvernement. C’est la plus répandue. Il n’est pas difficile de l’expliquer. Les interdictions de diffusion de pages et d’articles du quotidien francophone Mon Journal, en est un exemple, d’autres exemples existent. Le pouvoir a procédé directement à la censure d’un reportage sur l’état de santé du président Abdelaziz Bouteflika. Il y a aussi une censure externe, comme cela se passait dans les années 1990 où les censeurs du pouvoir interviennent directement dans les imprimeries pour vérifier toute information qui pouvait nuire à son image et celle de son système politique. L’autre censure connue est interne. Elle est exercée par la rédaction qui bloque parfois des papiers pouvant d’une façon ou d’une autre déplaire au pouvoir. Certains journalistes se voient interdire leurs articles portant sur un thème politique pour des raisons "d’atteinte à l’Etat". La rédaction censure l’article ou modifie le texte en supprimant les expressions qui contiennent des propos pouvant offenser les autorités. Dans certains quotidiens, il est par exemple interdit de critiquer la gestion de la gouvernance du président de la République. C’est le directeur de la rédaction même qui procède au blocage de l'article sous prétexte qu'il est contraire à la ligne éditoriale du journal.

La censure économique ?

Avant d’aborder cette question, j’ai envie de donner un exemple qui illustre le changement des rapports entre la presse et l’Anep comme annonceur étatique. Avant l’ère Bouteflika, les pages de l’Anep arrivaient dans les rédactions le matin. Les journaux savaient combien de pub ils avaient souvent à midi. Cependant depuis quelques années avec le tour de vis opéré contre certains quotidiens réputés impertinents, l’Anep envoie sa pub à la fin de la journée. J’ai recueilli des cas de journaux qui attendent la pub après le bouclage des pages politiques. Ce qui est hallucinant.

Donc la censure économique est de plus en plus prégnante. Plus sournoise. Celle-ci est liée aux moyens financiers d’un journal directement ou indirectement. Lorsque les limites du budget d’un quotidien sont atteintes, celui-ci se trouve dans l’obligation d’accepter des publicités, par exemple, que de diffuser une information. Dans les médias privés, les journalistes se trouvent souvent dans une position difficile lorsqu’ils traitent d’informations engageant les intérêts des propriétaires d’entreprises réputées comme étant d’importants annonceurs. Durant la décennie noire, elle sévissait plus que la censure religieuse (islamiste), certes, mais aujourd’hui elle est toujours là mais avec un autre visage plus discret. Cette forme de censure est caractérisée par deux types : la censure économique externe, et interne. La première (interne) est exercée directement par les "annonceurs" dans les années 1990.

Les journaux étaient en situation de dettes et donc avaient beaucoup plus besoin d’annonces publicitaires que d’informations médiatiques. Les entreprises financières proposent donc de grosses sommes d’argent pour les journaux. Ces derniers, sont quasiment contraints de tenir à ces annonceurs de publicités qui leur rapportent des recettes. Ils doivent composer avec des préoccupations commerciales pour attirer les investissements publicitaires ; ils se doivent de réunir un large public et/ou de toucher prioritairement des catégories dotées d’un fort pouvoir d’achat. Nul ne peut écrire sur eux car cela risque de remettre en cause les intérêts stratégiques du journal.

Ces nouvelles techniques de pression sur la presse ont inquiété les directeurs de journaux qui ont vite réagi en s’offrant une autonomie dans le choix de leur ligne éditoriale ainsi que les pages à offrir à la publicité. De plus, aujourd’hui certains organes de presse se sont offert l’autonomie d’imprimer à leur propre compte. Malgré tout cela, les risques sont toujours là.

Le second type de censure économique (externe) s’exerce plutôt à l’intérieur de la rédaction. Celle-ci procède par la suppression des articles qui portent sur les annonceurs qui la financent.

Prenant l’exemple de l’enquête d’un journaliste sur l’un des gros annonceurs connus. Le papier rédigé par ce journaliste a été censuré par la rédaction. La cause revient aux relations commerciales et surtout personnelles entre l’homme d’affaires et le directeur du journal. L’article est une enquête qui allait révéler les secrets d’une affaire de business qui tournait du blanchiment d’argent. Le journal a refusé de publier de telles informations contre son annonceur.

La censure structurale

Celle-ci intervient sur le contenu de l’écrit. Plus exactement, sur les formules d’expressions journalistiques. Beaucoup de journalistes se voient modifier leurs écrits, ce qui entraine parfois un changement au niveau du sens des phrases. On ne peut pas écrire ce qu’un autre a déjà pensé et même vécu. Mais, lorsqu’on dépasse les normes journalistiques tel que le nombre de signes exigés pour un article, le rédacteur en chef ou le chef de rubrique se permet de porter des modifications dans le contenu ou même parfois de le refuser sans en parler au journaliste.

Qu’en est-il de la censure religieuse ? Quel effet a-t-elle de nos jours ?

Pour la censure religieuse, elle n’a pas trop d’effet de nos jours. Aucune instance juridique ne procède à la censure n’était-ce la menace. En Algérie, pays majoritairement musulman, c’est le pouvoir qui use de la religion pour interdire certaines couvertures médiatiques. Toute personne offensant Dieu, le prophète et/ou autres messagers de Dieu (sans exception) est traîné en justice. Le code pénal prévoit aussi dans l’article 144, (qui pour rappel punit quiconque offense le président de la république), une punition d’une peine de 3 à 5 ans d’emprisonnement et d’une lourde amende. Il punit aussi tout dénigrement du dogme ou préceptes de l’islam, que ce soit par voie d’écriture, de dessins de déclarations ou de toute autre support de la parole ou de l’image.

La loi punit toute personne qui offense la religion. On a voulu mettre fin à la presse, car elle était majoritairement anti-intégriste, anti-islamiste et anti-radicaliste. Il est interdit, par exemple, de mener un reportage sur la pédophilie, la sexualité ou la vie sexuelle. C’est pêché. Il existe beaucoup de sujets qu’on censure au nom de la dignité, la religion et les principes des croyances. La société musulmane n’a pas l’habitude d’en parler ou d’en lire dans les journaux. La presse arabophone, quant à elle, favorise les sujets religieux en se penchant plutôt sur l’apprentissage de l’islam : conseils, orientations, critiques et points de vue sur les recherches menées par des savants religieux. Les journaux spécialisés dans la religion ne sont pas en reste.

Vous voulez dire que la menace islamiste n’a pas un effet direct sur la presse ?

La menace des islamistes a beaucoup plus visé les dessinateurs de la presse (les caricaturistes). La caricature est un "coup de poing dans la gueule" qui a toujours suscité la colère des salafistes en Algérie. Si on ose donner deux types de censure religieuse : interne et externe, nous dirons que la première est exercée par la rédaction qui évite tout amalgame tout dérapage susceptible de créer des ennuis avec la partie menaçante. La seconde est facilement identifiable. En France en préfère plutôt parler de « groupes mafieux ou terroristes » qui menacent la presse. En Algérie, il n’y a pas que le terrorisme qui sévisse. Même le pouvoir tue. Ali Dilem avait avoué dans une interview au site en ligne Doha Centre que "si tu touches à un général le lendemain on retrouve ton cadavre au fond de l’oued El Harrach".

Entretien réalisé par Sofiane Ayache

(*) Mounir Outemzabt est correspondant du Matindz.

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Commentaires (2) | Réagir ?

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Liberté d'Expression

Je me suis dit, tia tia en lisant j'essayait de comprendre mais la compréhension ne me vient pas alors j'ai décidé d'aller vers elle, mais elle était déjà parti me chercher... On s'est croisé en ligne mais j'ai rien pigé ! J'écris alors :

C'est quoi ce charabia M. Jean ? Vous avez une dent contre le journal, le journaliste, l'interviewé, ou bien le contenu, peut être même les points et les virgules, ou elle est carrément arrachée ? Vous parlez de quoi au juste ? (rires)

Je suis persuadé que la parole échappait à vos mots et les expressions remplaçaient votre vocabulaire devenu simple élocution qui ne sert qu'à narrer un récit virtuel comme celui auquel vous ne donnez aucun signe linguistique ni aucune programmatique ! En tout je le trouve sémantique kamim !

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Dhrifa N'targa

Cet article me rappelle Matéo Falcone.

Non laissez tomber bande d’incultes je ne vous le dénoncerai pas je ne suis pas un délateur.

Le matin nous parle de la censure dont il connait les risques mais il nous livre Kamim son journaliste qui a osé en parler. Si cela ne prouve pas que la censure n’existe pas dans notre Algérie La3ziza je n’oserais point vous en donnez la seconde raison. Car ….

C’est d’ailleurs pour que le Matin n’aille pas me dénoncer que j’ai changé de faux pseudo anonyme et que je vous envoie ce post de Kuala Lampur.

Waouw !!! Quelle prouesse ! La meilleure façon de parler de la censure c’est de rien en dire tout en disant qu’on ne peut pas en dire plus.

Si ce n’était pas pour faire la démonstration qu’Au MatinDz la censure n’existe pas je n’en dirais pas plus que ça. Car la meilleure façon de faire la preuve de la censure c’est de ne pas en parler. Ou d’en parler kamim sans rien dire mais en nous laissant prendre le risque d’ en deviner pourquoi. Si ça ce n’est pas une preuve que la censure existe en Algérie je ne sais pas comment on nous en convaincrait autrement. Parler autant de la censure sans rien en dire du fond, ça c’est du vrai nourjamisme.

J’ai retenu que la pire des censures c’est la censure du second type : « Le second type de censure économique (externe) s’exerce plutôt à l’intérieur de la rédaction. Celle-ci procède par la suppression des articles qui portent sur les annonceurs qui la financent. »

La censure externe qui s’exerce à l’intérieure !!!! Brrr Heureusement qu’on n’a jamais vu ça au Matindz.

Vous imaginez des censures antérieures qui s’exercent après la publication postérieure de posts qui auraient dû être censuré avant ?

Donc : La non publication d’un article censuré avant, dont on ignore qu’il a été écrit, est-ce pire que la non écriture d’un article qui aurait peut-être était publié s’il n’avait pas été écrit autrement ?