OPINION : Les raisons d’une polémique

 OPINION : Les raisons d’une polémique

Par Larbi Chelabi

Dans une démocratie saine, le débat contradictoire ne peut être escamoté car il force l’interaction entre des personnes qui ne partagent pas, à priori, les mêmes points de vue sur des sujets qui peuvent intéresser les citoyens ou une communauté d’intérêt en particulier. Le but ultime de ses joutes, qu’elles soient verbales ou épistolaires n’est pas tant de désigner le plus intelligent des débatteurs, ni le plus fin, ni le plus adroit, que de permettre aux gens d’entrevoir, ici et là, des faisceaux de vérités susceptibles de les aider à mieux appréhender et à mieux comprendre des situations plus ou moins complexes.

Il va sans dire que chacun de nous élabore ses réflexions et exprime les choses à partir de son propre vécu, de ses connaissances, de sa rigueur intellectuelle, de la charge émotive ou du détachement qu’il mettra à défendre son point de vue. Cela peut donner une couleur, un rythme, un ton, une teneur qui peuvent alors être plus ou moins vigoureux, plus ou moins désopilants. Et pourquoi pas? Qui a jamais proclamé que les débats démocratiques doivent être forcément sereins? Qui a jamais décrété que les écrivains ont rang de prophètes et que leurs oracles sont, par essence, indiscutables et indiscutés?

Avons-nous encore le droit dans ce pays de nous poser des questions élémentaires sans essuyer les tirs croisés de tous les thuriféraires qui vivent dans et pour la sublimation de simples mortels? Peut-on, par exemple, nous interroger sur le rôle que jouent les élites dans notre société? Est-il encore possible de vouloir comprendre ce qui fait la différence entre un lettré et un intellectuel? Est-ce un délit de savoir si un écrivain est forcément un intellectuel? Doit-on être soi-même écrivain pour apporter la contradiction à un écrivain sur des questions qui n’ont rien à voir avec la littérature? Toutes ces questions qui font souvent de bons sujets de philosophie pour des candidats au baccalauréat semblent ne présenter aucun intérêt sémantique pour une bonne partie de nos concitoyens.

Alors allons-y au fond des choses! Oui, il m’est arrivé de questionner les revirements de Yasmina Khadra et quelquefois même son courage politique mais il n’a jamais été question pour moi de dénigrer son apport à la littérature algérienne. Bien des institutions, de France et de Navarre, l’ont consacré écrivain de talent. Je serai, à fortiori, malvenu de remettre en cause ce statut qui, avant tout, fait honneur à mon pays. La question que nous sommes en droit de nous poser, et nous n’avons pas besoin d’être des écrivains pour le faire, consiste à savoir si, politiquement, la posture de Yasmina Khadra est conforme à celle d’un intellectuel telle que l’histoire nous l’enseigne depuis au moins le 18ème siècle qui fut marqué par le courant des lumières incarné par Voltaire, Rousseau, Condorcet et les encyclopédistes.

Nous sommes un pays en crise profonde depuis bientôt un demi-siècle. Nous avons un régime affreux qui excelle dans l’art de transformer l’or en bronze. Notre peuple revient allègrement aux sources de son tribalisme atavique. Il ne voit plus la forêt, seul l’arbre l’intéresse et son ennemi immédiat c’est la tribu voisine. Les élites, ou ce qui en tient lieu, sont à peu près tous des Rastignac plus ou moins réussis. Alors, quand il nous arrive de reconnaitre parmi toute cette masse en décomposition latente quelqu’un qui peut assumer un rôle de leadership dans la société, on s’attend, au minimum, à ce qu’il ne nous déçoive pas.

Nous avions en effet reconnu en Yasmina Khadra l’un des nôtres au même titre que Mohamed Benchicou. Il savait que le pouvoir algérien était maléfique, oppresseur, corrompu et corrupteur. Et pour cause! Il avait lui-même commis un impressionnant brûlot paru dans le quotidien espagnol El Pais le 1er juin 2007 qui en disait long sur la décrépitude de ce système. Depuis, de l’eau a coulé sous les ponts et Yasmina Khadra a choisi sa voie. De notre côté, nous avions, comme attendu, exprimé clairement notre profonde désapprobation qui, au risque de nous répéter, n’avait rien à voir avec son statut d’écrivain que personne ne conteste.

Cette désapprobation se situe plutôt aux niveaux moral et intellectuel. Nous pouvons à tout moment convoquer l’histoire pour y puiser des exemples d’intelligence, de bravoure et d’engagement qui sont venus à bout de la tyrannie car la tyrannie n’a qu’une seule vocation : celle de disparaître. Nous voulions que notre Yasmina Khadra tienne un peu de Mélina Mercouri, l’ancienne ministre grecque de la culture dans le gouvernement Papandréou (1981-1989). Celle-ci a abandonné une brillante carrière cinématographique et s’est exilée en 1967 pour combattre la junte fasciste des colonels qui a fait main-basse sur la jeune et fragile démocratie grecque. Nous voulions qu’il ait un peu de Vaclav Havel, ex-président de la Tchécoslovaquie (1989 -1992). Ce dernier dirigeait en 1989 le forum civique qui allait abattre, la même année et le plus pacifiquement du monde, le régime communiste de Husak Gustav. Nous aurions aimé qu’il soit notre Soljenitsyne, ce grand russe qui en 1945, au sortir de la 2ème guerre mondiale, ne s’est pas empêché de critiquer le puissant Staline. Cela lui a valu 8 ans d’emprisonnement pour activités contre révolutionnaires puis l’exil mais cela a créé au sein de l’intelligentsia russe une dynamique de la contestation jamais démentie. Nous souhaitions qu’il ait le souffle de Nazim Hikmet qui fut la bête noire du président Ismet Inonu, le successeur de Kemal Atatürk. Le poète maudit passa 25 ans derrière les barreaux pour avoir affiché au grand jour ses idées communistes. Et que dire du père de l’existentialisme Jean-Paul Sartre, fondateur de la revue ‘’Les temps modernes’’ qui dans le premier numéro publié en 1945 écrivit ceci « L’écrivain est en situation dans son époque : chaque parole a des retentissements. Chaque silence aussi. Je tiens Flaubert et Goncourt pour responsables de la répression qui suivit la Commune parce qu’ils n’ont pas écrit une ligne pour l’empêcher. Ce n’était pas leur affaire, dira-t-on. Mais le procès de Calas, était-ce l’affaire de Voltaire ? La condamnation de Dreyfus, était-ce l’affaire de Zola ? L’administration du Congo, était-ce l’affaire de Gide ? Chacun de ces auteurs, en une circonstance particulière de sa vie, a mesuré sa responsabilité d’écrivain. » . Voilà qui résume toute cette polémique ! C’est donc sur le sens de cette continuité historique qui, au demeurant, semble prendre un peu partout dans le monde, sauf chez nous, que nous avions cru utile d’interpeller Yasmina Khadra et uniquement pour cela.

Certains de ses laudateurs nous reprochaient de n’avoir rien compris, d’être des jaloux invétérés, de déverser notre fiel sur l’un des meilleurs fils de cette nation, de manquer de crédibilité sous le seul prétexte que nous ne disposions pas de l’aura et de la stature de Mr Yasmina Khadra. Est-ce par ce concentré d’anathèmes que l’on veut nous faire taire? Ces procureurs savent pourtant que le citoyen Yasmina Khadra a observé un silence quasi religieux quand ce régime de bananes a attenté à la constitution. Ils savent qu’il s’est empressé de jeter, assez facilement à mon goût, l’opprobre sur l’opposition alors qu’il sait pertinemment que c’est le pouvoir qui fait tout pour avoir des cancres en face parce qu’ils représentent la meilleure garantie pour sa survie. Ils savent aussi que leur idole s’est tue quand ce même pouvoir a fait du redressement des partis politiques indociles une pratique brevetée pour se débarrasser illico presto de tous ceux et celles qui font preuve du moindre signe de résistance. Ils savent, sans l’ombre d’un doute, que Yasmina Khadra n’a jamais dénoncé la confiscation par le pouvoir et l’appropriation indue de tous les médias lourds. Ils savent qu’il aurait dû envoyer sa lettre de protestations à Bouteflika car c’est ce dernier qui a toujours proclamé, à qui veut bien l’entendre, qu’il était le seul maître à bord du vaisseau Algérie. Ils savent que Yasmina Khadra ne s’est jamais objecté lorsque Bouteflika a fait de Belkhadem l’un des personnages les plus importants de ses gouvernements successifs alors que ce dernier fut convaincu d’intelligence au profit de l’Iran durant les années de braises.

Yasmina Khadra peut rejeter du revers de la main toutes ces petites et grandes choses qui nous rendent parfois si amers et si désobligeants à son égard. Il peut continuer contre vents et marées à nous prendre pour des demeurés, incapables de saisir la singularité de son destin. Il ne pourra pas, ni ses laudateurs du reste, nous contraindre au silence parce que nous sommes les enfants de la guerre et de la privation qui avions appris à rêver les yeux grands ouverts, parce que nous sommes encore capables de projeter notre regard derrière les lignes de l’horizon même quand celui-ci nous parait bouché, parce que nous sommes des hommes qui refusons de vivre comme des sous-hommes. Oui, par le seigneur des mondes, nous continuerons à dire ce que, en notre âme et conscience, nous croyons être la vérité, à montrer ce que nous croyons être le chemin de la liberté. Rien ne pourra nous y distraire. Nous resterons fidèles au combat silencieux de ce peuple jusqu’à ce que, de gré ou de force, ce régime de la terreur finisse par rendre gorge. Il nous reste à à écrire la dernière strophe de Kassaman pour mériter ce pays. Nous l’écrirons avec la plume ou avec le sang s’il le faut. Yasmina Khadra a encore le temps de se ressaisir et de reprendre la place que nous pensons être la sienne aux côtés de Benchicou, de Sadi et de tous ceux et celles qui souhaitent ardemment que ce pays change pour le mieux. Pour le meilleur! L’initiative lui appartient.

L.C.

Plus d'articles de : Débats

Commentaires (21) | Réagir ?

avatar
Rachid Ait Ali Kaci

Bonjour Larbi,

C'est toujours un plaisir de te lire depuis le début des années 2000 ou vous écrivait dans le journal Le Matin. Puisque on habite tout deux le même pays, j'aimerai bien discuter avec vous de la situation de notre pays de naissance. Pour s'échanger nos coordonnées, pouvez vous m'écrire au courriel suivant: asquced@gmail. com.

ou pourquoi pas prendre un café ensemble.

Merci.

avatar
Abdelmoumen

Conclusion de si Mr Temmar

Le problème c’est le Peuple !

Le ministre de l’Industrie et de la Promotion des Investissements, Abdelhamid Temmar, a déclaré que les problèmes d’investissements en Algérie et les obstacles rencontrés en général ne sont pas dus à l’absence de compagnies ou entreprises productives mais plutôt aux Hommes capables de rétablir l’équilibre nécessaire pour hausser la production…et d’Un !

Temmar a précisé que les obstacles bureaucratiques jouent un grand rôle dans le recul de l’investissement étranger dans ce pays…et de Deux !

Il a aussi indiqué que le système bancaire de l’Algérie n’est pas à un niveau l’habilitant à financer des projets d’investissement capables de relancer l’économie nationale…et de Trois !

Temmar a dit que le problème de l’immobilier est derrière la stagnation dans le domaine de l’investissement…et de Quatre !

En Cinq…ce dernier pense que l’image donnée par l’investissement est due à l’absence de cadres spécialisés et performants…eh oui si le ministre lui-même dit que les cadres qui gèrent l’économie nationale ne sont pas compétents…nous ne savons plus sur quel pied danser ! De quels cadres parle-t-il…de ceux que sa politique a envoyé direct vers les pays industrialisés ou ceux qui n’ont pas réussi à quitter le pays, de manière légale ou illégale?!

Voyons voir…si on a encore un peu de bon sens nous sommes en mesure de dire que le ministre « laisse entendre » que ni lui, ni le Gouvernement auquel il appartient, ni le système politique, ni le programme du Président ne sont responsables de ce qui arrive ! Le seul responsable c’est la Bureaucratie, les banques et les cadres incompétents ! Pas du tout la politique et les politiques !

Jusqu’à quand vont-ils continuer à fuir leurs responsabilités ?

Le Président a déjà annoncé dans un discours officiel que la voie empruntée n’a pas menée à la Terre promise, sans pour autant accabler son staff…une manière détournée de dire que le problème de ce pays c’est ce Peuple…la Terre de ce Peuple et les Entreprises de ce Peuple !!!

Devant autant d’irresponsabilité…nous avons décidé nous commun des mortelles que nous ne faisions pas le poids face à les génies qui nous gouvernent et qui ont notre avenir entre leurs mains…Alors Monsieur Temmar auriez vous l’obligeance de retourner chez vous, et nous laisser décider de notre avenir avec ceux qui respectent les cadres des entreprises issues de la post-indépendance !

visualisation: 2 / 21