Ould Abbes ici, Ould Kaddour là-bas

Abdelmoumen Ould Kaddour intronisé patron de Sonatrach malgré ses années de prisons pour divulgation de secrets d'Etat.
Abdelmoumen Ould Kaddour intronisé patron de Sonatrach malgré ses années de prisons pour divulgation de secrets d'Etat.

Lorsqu’on décide d’enlever un responsable d’un mastodonte de la stature de Sonatrach qui représente les mamelles de toute la nation algérienne, il faut respecter les procédures de fond et celles de la forme. Il est impératif que les deux fassent l’unité.

Dans le dernier limogeage qui s’est opéré le 20 mars dernier il faut reconnaître que même si les 22 mois de gestion du jeune Amine Mazouzi ont montré qu’il a manqué de stature pour prendre en charge les grands dossiers stratégiques qu’ils lui sont confiés pour redonner à l’entreprise son aura à l’international, il s’est tout de même attelé en interne à recoller les morceaux d’un traumatisme qui a démotivé complètement la ressource humaine voilà bientôt près de deux décennies.

C’est un leurre que de croire ou de faire croire que ceci a été fait dans la précipitation. Le secret total, oui mais en aucun cas la précipitation. La preuve, c’est la première fois qu’on implique l’effacé conseil d’administration pour nommer le responsable de la première société du pays. On ne l’a pas fait pour les cinq PDG qui ont eu la charge de l’entreprise depuis 2010. C’est donc bien préparé dans les officines et ceci rentre dans le cadre d’une stratégie bien déterminée. N’oublions pas que si Sonatrach tombe, tout le pays fera de même. Les hydrocarbures c’est 98% des recettes nationales. C’est aussi inédit qu’on mette en exergue les diplômes du nouveau venu et surtout lit-on dans le communiqué du ministère de l’Energie "le soutien des plus hautes autorités du pays et à leur tête Son Excellence le président de la République, monsieur Abdelaziz Bouteflika, qui souhaite que Sonatrach renoue avec la sérénité, la cohésion et l’exemplarité". On n’a pas soufflé mot sur les vrais dossiers économiques pour lesquels le limogeage s’est opéré a savoir : la baisse de la production, les contrats long terme de gaz, la capacité de raffinage etc.

S’il ne s’agissait que de la sérénité, la cohésion et l’exemplarité, l’ex-PDG les a assurés à merveille. L’observateur aguerri qui connaît bien l’entreprise et on a entendu plusieurs qui se sont exprimés n’ont malheureusement pas relevé que l’expérience de 4 cadres dirigeants nommés depuis le début de cette décennie a montré - et ils en sont les premiers responsables - la pénurie de statures valables en dehors des séniors. Après 54 ans de formation tout azimut et d’expérience sur le terrain, l’entreprise n’a rien capitalisé, ni consolidé et encore moins fertilisé un savoir et un savoir-faire pour constituer un vivier de relève capable de résister à toute sorte d’éventualité. Quelle est la lecture objective qu’on peut faire d’un tel événement ? Quels sont les vrais dossiers pour lesquels a eu lieu ce limogeage ? En quoi le nouveau venu serait-il plus capable que d’autres pour redresser la situation ?

1-Faisant d’abord une lecture purement politique de l’événement

Il faut partir de l’hypothèse que tout ce qui s’est fait à Sonatrach, relève des considérations politiques. L’entreprise est chargée d’exploiter le domaine minier national évalué à près de 1,6 million de km² pour mettre des fonds pour le développement des autres secteurs et surtout, sur le très court terme financer les besoins courants de la population (Education, santé, protection sociale, défense etc.). Ce sont des objectifs politiques sur lesquels, le management a réussi à trouver un compromis avec ceux d’ordre économique. Il y a eu quelques légères résistances lors du passage d’Abdelhak Bouhafs durant la décennie 90 ou Sid Ahmed Ghozali de part sa position de membre fondateur, les autres ont obéi aux injonctions de son propriétaire. Aujourd’hui les choses ont changé, il n’y a pas de pilote dans l’avion mais un clan qui l’utilise comme un tremplin. L’ère de feu Boumediene lui a donné vie, celui de feu Chadli l’a déstructuré, Zeroual l’a protégé en la verrouillant, les trois dernières décennies, on a tenté de la privatiser et maintenant on la délaissé aux mains de ceux qui se réclament d’un clan. Pourquoi un tremplin ? On note désormais une capacité inouïe d’utiliser les moyens de Sonatrach pour attraper tout le monde par la barbichette. Recrutement de complaisance, contrats de sous-traitance, contrats de consulting, contrats publicitaires et bien d’autres artifices pour faire adhérer l’opinion publique au dessein du clan. Ceci est prouvé carte sur table par la prudence de certains experts qui s’expriment sur un tel événement grave d’une manière politiquement correcte pour ne pas froisser le système et peut-être de peur d’être privé de certains avantages.

Il se trouve que l’opinion publique n’est dupe, comment peut-on encore une fois croire ou faire croire une seconde voire inculquer l’idée qu’un jeune motivé, fortement diplômé, issue de l’entreprise même, qui a exercé la fonction de la stratégie de l’amont durant plusieurs années n’a pas réussi et un autre dépassant l’âge de la retraite de plusieurs années, traînant un caillou dans son soulier pourrait assurer "la sérénité", "la cohésion" et "l’exemplarité" ? A-t-on oublié que l’Ecole Nationale de Polytechnique est située à El Harrach et n’enseigne pas les spécialités d’hydrocarbures, le Massachussetts Institute of Technology est effectivement l’une des meilleures universités mondiales en sciences et technologie mais non plus de spécialistes pétrolières. Son expérience est surtout ancrée dans les réalisations d’Engineering-Procurement-Construction des hôpitaux, des bâtiments. Ceci n’a rien à voir avec le pétrole. Son lourd fardeau judiciaire et sa nomination très controversée le prive sans aucun doute d’un soutien interne. Il va donc construire un style de commandement tourné vers l’extérieur à la merci des lobbies français et américains dans le seul objectif est d’affaiblir Sonatrach et, partant l’Algérie. Est-ce là le but recherché ?

2- Les dossiers stratégiques de Sonatrach

Le rapport du 6 mars dernier, établi par l’Agence internationale de l’Energie, quand même cette agence travaille pour le compte des pays consommateurs reste crédible et confirme sur ce que les experts algériens n’arrêtent pas d’alerter les pouvoirs publics sur la stagnation de la production. Pourquoi ? La réponse de Sonatrach est non seulement légère mais tangentielle. Il est vrai qu’il n’y a pas mieux que le pays concerné pour évaluer ses réserves mais l’explication scientifique est erronée. Pour convertir les réserves hypothétiques et possibles en prouvées, il faut développer des techniques afin d‘améliorer le coefficient de récupération et ceci Sonatrach ne sait pas le faire ou ne le fait qu’à travers les sociétés de services multinationales qui relèvent de la compétence des pays membres de l’AIE. Donc cette agence reste plus au courant que de nombreux pays dépendant de la technologie.

- La brouille avec les entreprises françaises était une erreur stratégique de Sonatrach et est venue au mauvais moment. D’abord Technip à qui on a résilié le contrat pour le donner aux Chinois avec une perte considérable de temps et donc d’argent. L’approvisionnement cet hiver du client Engie et sa filiale GRT gaz a connu une petite rupture à cause d’une forte demande liée au froid que Sonatrach aurait pu régler autrement que par communiqués interposés et faire ainsi le jeu de ses concurrents.

- Le retard pris dans la renégociation des contrats long terme de gaz est énorme et risque de pénaliser l’entreprise. Le tableau ci-après donne les principaux contrats avec leur échéances :

Embarquement Destination Pays Incoterm Qté 109 M3 Echéance

Arzew

Engie

France

FOB (01)

1.30

2019

Arzew

Iberdrois

Espagne

DES (02)

1.15

2022

Arzew

Botas

Turquie

DES

2.95

2014

Arzew

Botas

Turquie

DES

3.30

2025

Arzew

statoil

USA

DES

0,75

2014

Arzew

GDF Suez

France

FOB

3,70

2019

Arzew-Skikda

DEPA

Grèce

FOB

0,50

2020

Arzew-Skikda

ENEL

Italie

FOB

1,15

2022

Arzew-Skikda

ENI

Italie

FOB

1,33

2014

Arzew-Skikda

CEPSA

Espagne

DES

0,77

2022

Arzew-Skikda

ENDESA

Espagne

DES

0,75

2017

Skikda

Engie

France

FOB

2,55

2019

L’échéance avec les principaux pays européens, client traditionnel et marché de proximité arrive bientôt à échéance mais l’entreprise n’a rien fait pour se préparer aux nouvelles donnes du marché gazier. En effet, l’arrivée du Gaz Naturel Liquéfié (GNL) américain suivi du nouveau venu Australien est en train de changer les règles du marché mondial du gaz. En ambitionnant de devenir exportateurs, les Etats Unis, pays du tout privatisable, contribuera à l'unification d'un marché déjà fortement perturbé par la baisse du prix du baril sur lequel il est indexé. Les nouveaux acteurs et directeurs du marché gazier œuvreront pour libéraliser les prix ; auquel cas s’est posé depuis longtemps la question de l'avenir des contrats longs termes et les investissements consentis dans les infrastructures non encore amortis et celles en perspective. Pourquoi les pays comme l'Algérie ont tardé dans la défense des liens de longues échéances avec ses clients ? Que risqueront-ils dans le cas d'une libéralisation effective ? Doit-on craindre une bulle de GNL ? Les prix du gaz en Europe vont ils baisser ?

3- Conclusions

Tous ces dossiers attendent le nouveaux PDG. Avec ses déboires et sa traversée du désert trouvera-t-il l’énergie nécessaire ? Comment dans sa position va-t-il entrainer les cadres de l’entreprise pour créer une dynamique ? Ou enfin s’agit-il d’une autre perte de temps qui risque cette fois-ci une privatisation totale de Sonatrach ?

Rabah Reghis, consultant et analyste pétrolier

Renvois

  1. FOB Transport assuré par le client

  2. Assurance du risque jusqu’au port de destination

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Commentaires (6) | Réagir ?

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chawki fali

Thank you very nice article

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salah salah

Thank you for everything posted on this excellent website

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