Une montée en singularité artistique assujettie à la quadrature du cercle de Bouteflika

Oeuvre du street-artiste Yasser Ameur.
Oeuvre du street-artiste Yasser Ameur.

À la source d’une pensée pythagoricienne percevant dans les formes et les nombres les principes de toute chose, la quadrature du cercle est autant un problème mathématique (construire, à l'aide de la règle et du compas, un carré de surface équivalente à celle d’un cercle), qu'un exercice transcendant par lequel l’individu essaie de passer du visible à l'invisible, de l’organique vers le divin.

Liée à la quête alchimique qui cherche à élever du côté du céleste, la part sombre et animale de l’être (la matière), cette dernière tentative consiste à métamorphoser l’ancêtre profane en un Homme neuf, en une Unité supérieure. Reposant sur une symbiose entre la Terre, l’Air, l’Eau et le Feu, l’opération symbolique demeure une étape compliquée que Bouteflika a pourtant résolue au bout de quatre mandats. Lors de ceux-ci, il remémorera en effet les séquences d’une contrée ancestrale (Terre) pervertie par le colonialisme français, orchestrera les connotations millénaristes, essentialistes et messianiques d’une mystique verbale (Air) synonyme d’immobilisme, noiera l’intelligibilité historique dans le bain (Eau) de mémoires tronquées, proférera à l’occasion de la dernière "Journée nationale du Chahid" que sans lui, c’est le chaos (Feu), que l’effondrement de son régime est dangereux pour l’avenir du pays.

Sous couvert d’une allocution communiquée en son nom, le 18 février 2017 à Khenchela par le conseiller Mohamed Ali Boughazi, l’impotent Président identifie les partisans de la rupture progressiste à des pyromanes sans foi ni loi, à des instigateurs malveillants piétinant l’abnégation d’une Armée nationale populaire (ANP) debout contre les "(…) détracteurs à l’intérieur et autant d’autres conspirateurs à l’extérieur", niant la pertinence d’une jeunesse qui ne doit pas succomber à des "(…) complots ourdis outre-mer et relayés par divers supports médiatiques", ni aux sirènes de Printemps arabes susceptibles de compromettre la concorde civile ou réconciliation nationale. L’autoproclamé dauphin d’Houari Boumediène n’en finit pas de l’avertir de pseudos traquenards fomentés par la main étrangère, de tirer les ficelles du schisme endogène-exogène, d'entretenir et réguler un clivage psychologique réduit aux catégories mentales du hallal (autorisé) et du haram (interdit), lesquelles tiennent pour l'essentiel du vocabulaire polémiste légué par le Livre sacré.

Tout est couplé sous le croissant et émaillant le discours du 18 février 2017 d’intonations et références coraniques, ses rédacteurs emploieront de pieuses intonations (le laïus débute du reste par la formule consacrée "Au nom d’Allah Clément et Miséricordieux, Que les prières et la paix d’Allah soient sur son Messager") de manière à interpeller l’esprit d’outre-tombe de martyrs "(…) que le Tout-Puissant a gratifiés de l'éternité au Paradis, (…) qui ont (…) sacrifié leur vie pour affranchir la patrie de la profanation d'un colonialisme qui a semé le mal sur terre". Adeptes du renouveau dans l’authenticité révolutionnaire, culturelle et cultuelle, ces scribes officiels confineront l’entendement de la jeunesse à la logique cosmique du Bien et du Mal, au monde binaire des gens "du dedans", de la Oumma, et ceux "du dehors", les mécréants laïques. S’en remettant aux manichéismes ou "bicéphalismes" primaires, ils incitent les générations montantes à refuser le principe cosmopolite de "l'izdiwâjiya", c'est-à-dire de la double culture, les assurent par ailleurs que leur Algérie viendra à bout de la crise du fait d’une énième croyance, celle en la belle fluctuation des marchés internationaux, qu’elle se hissera aux rangs des contrées émergentes avec l’aide d’Allah. İl s’agit là d’une perspective irrationnelle établie en vertu de l’intangibilité irréductible "(…) de Dieu le Clément, le Miséricordieux (Rahmàn, Rahïm), l’impénétrable non engendré et qui n’a pas engendré puisque n’est égal à lui personne". İl est Un (ahd), donc le centre d’une courbe fermée à partir de laquelle tout doit s’orchestrer, d’où rayonne l'énergie d’un musulman pour lequel la quadrature du cercle s’est réalisée spirituellement puisqu’à la Mecque, sa circonvolution s’effectue autour du cube de la Kaaba. Ainsi, et par la seule démarche circulaire, un sujet au départ archaïque muera en être de lumières. La condition liminaire de quidam imparfait devient dès lors celle d’une créature accomplie soumise à la force d'un Dieu unique qui aura aménagé ici-bas son univers bipolaire.

Cette parabole renvoie au Maître-manipulateur Bouteflika, et signifie que pour lui le glissement du paradigme tradition au moderne ne peut en Algérie s’inscrire dans le cycle de la transgression aux constantes nationales mais venir de sa stabilité territoriale (assise ontologique obtenue par la synthèse des quatre éléments cités plus haut). Positionné sur le trône de la stagnation Suprême, le gardien du temple rentier enjolivera (Air) à maintes reprises le bilan d’un interminable pouvoir lors duquel plus d’un million de personnes capitaliseront en Europe, Amérique ou au Canada le visa économique de leur abandon topographique (Terre) alors que, moins chanceux et diplômés, de jeunes clandestins se risquent toujours, souvent en vain, à traverser la Méditerranée (Eau) sur des radeaux rapiécés. Ce n’est alors plus à la définition emblématique d’une autre existence mais à celle du désenchantement que s’applique la quadrature du cercle, impasse sociale, professionnelle, politique, culturelle et artistique de laquelle veulent s’extirper des filles et garçons convoqués à élire les prochains députés de l’Assemblée populaire nationale (APN), à choisir des représentants déjà cooptés en quotas selon la coloration spectrale (Feu) souhaitée par la "Famille révolutionnaire" et sa nomenklatura de bons dévots.

Pendant que Djelloul Merhab, Sofiane Day et Salim Rekah, trois peintres respectivement originaires de Mascara, Batna et Sétif, peaufinaient les figures de trente héros de la Guerre de libération, parachevaient les portraits de l’exposition "İls ne sont pas morts" montée à la galerie "Baya" du palais Moufdi-Zakaria (non pas par le ministère des Moudjahidine mais l'Agence algérienne pour le rayonnement culturel, ce qui renseigne sur l’inquiétante situation de l’art contemporain en Algérie) en regards là aussi à la "Journée nationale du chahid", étudiantes et étudiants de l’École supérieure des Beaux-Arts d’Alger poursuivaient un mouvement de grève.

İls persévéraient dans leur approche de la lutte syndicale, se fichaient complètement des hypothétiques "factieux du dehors" parce que s’inspirant justement et concrètement de sacrifices de chouhada décédés au maquis afin qu’ils puissent grandir libres et égaux en droits, à l’abri des maffieux et baltaguia (nervis ou hommes de mains exécutant des tâches malsaines) au service du système militaro-capitaliste- étatique. S’apprêtant peut-être à débarquer le ministre de la Culture, Azzedine Mihoubi, cette autorité ordonnatrice n’est pas à l’écoute de leurs revendications, de légitimes doléances ou exigences oubliant cependant ce point essentiel : lorsqu'à la fin des années soixante, les architectes quittèrent le Parc Gattlif, ce départ ne marquera pas la plénitude de leur îlot de modernité mais le début de sa mutation en ersatz d'École des arts décoratifs.

Née en octobre/novembre 1985, l'École supérieure des Beaux-Arts n'est donc qu'une pâle copie de l'institution de la rue d'Ulm à Paris (l'École nationale supérieure des Arts-Décoratifs). Pour saisir tous les travers de la méprise, il faut retracer l'historique d'un lieu duquel doivent dorénavant s'en aller les designers (mobiliers, textile, etc...), architectes d'intérieur ainsi que ceux affiliés à la miniature ou enluminure. Si ces convertis aux esthétiques dites musulmanes rejoindront un collège des arts et métiers, les premiers ont à fonder leur école supérieure des Arts-Décoratifs. Le décloisonnement permettra aux trois pôles de se nourrir mutuellement. C'est la diversité des secteurs et tendances qui assurera l'émulation de la singularité plastique, garantira l’apport de performeurs au sein des deux Musées d’art moderne que compte pour l’instant le pays.

En ce qui concerne les cours théoriques (histoire de l'art, philosophie, sociologie et anthropologie de la culture), des doctorants travaillant en France (au sein d'instituts reconnus internationalement) sur le terrain maghrébin peuvent transposer leurs contributions positives si se manifeste la volonté de bâtir de réels ponts cognitifs, d’explorer des thématiques différentes de celle proposée depuis le 15 février (vernissage prévu le 21) à la Maison des arts de la Ville d’Anthony. La monstration L’art algérien entre deux rives que valident ses agents culturels nous semble être un titre stéréotypé reprenant une vision étroite et rudimentaire d’une création artistique à appréhender selon des concepts plus polysémiques ou polyvalents. İci, la quadrature du cercle relève non pas du mystère de l’Unique ou de règles cosmiques mais d’un simple rapport géométrique gommant la complexité des interlocutions artistiques et, pire encore, arrêtant l’élargissement du champ en question à des protagonistes des années 90 alors qu’est apparue depuis 2000 une flopée de vidéastes, installateurs ou graffeurs.

Saâdi-Leray Farid, sociologue de l’art

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gestion

verry nice post, thanks for share

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Le Matin d'Algérie

Tout est couplé sous le croissant et émaillant le discours du 18 février 2017 d’intonations et références coraniques, ses rédacteurs emploieront de pieuses intonations (le laïus débute du reste par la formule consacrée "Au nom d’Allah Clément et Miséricordieux, Que les prières et la paix d’Allah soient sur son Messager") de manière à interpeller l’esprit d’outre-tombe de martyrs " (…) que le Tout-Puissant a gratifiés de l'éternité au Paradis, (…) qui ont (…) sacrifié leur vie pour affranchir la patrie de la profanation d'un colonialisme qui a semé le mal sur terre"