Les "bonnes" perspectives de l'industrie automobile dans un contexte de développement durable

L'usine Renault est déjà lancée.
L'usine Renault est déjà lancée.

Depuis la loi de finances 2014 qui encourage les concessionnaires algériens à investir dans une activité semi-industrielle, industrielle ou en lien direct avec l'industrie automobile, les résultats semblent avoir payé puisque les investissements étrangers dans l'industrie automobile algérienne défraient l'actualité.

On peut notamment citer Volkswagen qui vise 500 000 véhicules par an à partir de 2019, Hyundai qui a récemment produit la première Santa Fe locale à Tiaret et qui vise 100 000 véhicules par an à partir de 2018, ou encore Renault, produisant environ 40 000 véhicules par an entre ses deux modèles phares. Au total, ce sont plusieurs dizaines de milliers d'emplois directs et indirects, du transfert de connaissances et de la formation dans des métiers hautement spécialisés. Bien que le taux d'intégration des usines soit présentement relativement faible, il est raisonnable de s'attendre à ce que ce taux progresse et génère des retombées socioéconomiques de plus en plus importantes et bénéfiques pour le pays avec le temps. Ce processus passera notamment par des initiatives louables telles que celles de Tahkout et Cevital qui se lancent dans la production de moteurs, de pièces de rechange, de plaquettes de frein, de câbles électriques, de pare-brises et de pièces de verre, essentielles pour une industrie dynamique.

Cependant, ce succès ne devrait pas dissimuler la planification stratégique qui doit être réalisée pour l'avenir de l'économie algérienne : l'avenir de l'automobile est électrique. Toutes les études récentes le démontrent et tous les grands groupes automobiles, français, allemands, américains ou encore chinois, investissent stratégiquement dans la voiture électrique. De nombreux constructeurs européens étaient réticents à l'égard des voitures électriques il y a encore quelques années. Mais, les avancées récentes en matière de cadres institutionnels liés au développement durable comme en témoigne la Cop21 et la controverse liée aux moteurs diesel de Volkswagen ont propulsé la voiture électrique et son potentiel. Depuis ces deux évènements majeurs, tous les acteurs de l'industrie automobile voient d'un œil favorable et opportuniste la voiture électrique. Par exemple, la nouvelle stratégie de Volkswagen à l'horizon 2025 accorde une place stratégique aux modèles électriques, qui pourront représenter jusqu'à 25% des ventes du groupe dans la prochaine décennie.

Mercedes - à travers Daimler - prépare un plan stratégique basé sur «l’électromobilité» afin de s'engager davantage dans les voitures «zéro émission», après que l'entreprise ait récemment présenté une voiture électrique dont l'autonomie avoisine les 500 km. Tesla, Porsche et BMW suivent également le chemin des voitures électriques depuis que le gouvernement allemand a pris des mesures incitant la transition vers la consommation de voitures électriques en 2016. Peugeot-Citroën a récemment signé des accords avec des entreprises chinoises pour lancer des modèles électriques. Général Motors, Ford et Renault suivent également la tendance et proposeront des modèles électriques dans les 3 prochaines années. La Chine, plus grand marché avec 27.4% des ventes mondiales de voitures en 2015 (24,5 millions), désinvestit dans les voitures à carburant fossile. Leader mondial de la voiture électrique, la Chine le restera probablement pour longtemps puisque les autorités chinoises finalisent une loi «zéro émission» en encourageant ses citoyens à passer de véhicules à carburant fossile à des véhicules 100% électriques. Surprenant pour qui connaît les affinités chinoises avec l’environnement !

L’industrie automobile est en pleine révolution de l’électrique et selon plusieurs études, les années 2020 seront celles des voitures électriques. Cette tendance rendra toute alternative aux voitures électriques obsolète dans les deux prochaines décennies. À défaut de réfléchir à cette nouvelle tendance qui bouleversera l'industrie automobile dans les prochaines décennies, les autorités publiques risquent d'être face à un sérieux dilemme. En réalité, les enjeux sont doubles : d'une part, prévoir et connaître les tendances et l'architecture de l'industrie automobile dans les prochaines décennies et, d'autre part, être en mesure de positionner l'industrie automobile dans le débat plus large du développement durable et des changements climatiques.

Le premier enjeu est crucial pour l'Algérie qui prévoit une production annuelle d'environ 1,2 à 1,4 million de voitures par an entre les différents producteurs (Hyundai, Volkswagen, Renault, Peugeot-Citroën). Si ces usines concernent bel et bien des voitures "traditionnelles", la question des marchés qui absorberont ces voitures se posera rapidement. Une étude récente suggère qu'en 2040, les voitures éclectiques représenteront environ 35% du marché mondial de l'automobile, soit environ 41 millions d'unités. Sur le plan institutionnel, un nombre grandissant de pays offrent des incitatifs fiscaux afin que les citoyens achètent des voitures électriques. C'est notamment le cas du Canada, des Pays-Bas, de la Norvège, de la France ou encore récemment de l'Allemagne. Ces incitatifs fiscaux, arrimés aux avancées technologiques qui réduiront considérablement les coûts de production des voitures électriques, seront les deux principaux moteurs de croissance de cette industrie.

Parallèlement, les cadres institutionnels se durcissent en Europe et en Amérique du Nord à l'égard des véhicules essence qui contribuent à une part importante des émissions de gaz à effets de serre. C'est par exemple le cas du Québec où les véhicules routiers représentent 42.5% du total des émissions de gaz à effet de serre. Par ailleurs, le récent «dieselgate» a convaincu les acteurs de l'industrie automobile que les avancées technologiques dans les moteurs essences et les véhicules hybrides ne suffisent plus pour répondre à l'évolution des normes européennes en matière d'émission de gaz à effet de serre. Face à ce constat, le développement des voitures électriques à 100% s'impose comme l'unique voie possible.

Bien que les chiffres soient introuvables, il est fort probable que le parc automobile algérien d'environ 5,7 millions de voitures contribue à environ 30-35% des émissions de gaz à effet de serre en Algérie. Sauf que pour faire face à la pollution inquiétante de l'air algérien, pour des raisons de santé publique et en vue de respecter nos engagements internationaux en matière de réduction des gaz à effet de serre, nul doute que le consommateur algérien devra également opter progressivement pour les véhicules électriques. D'ailleurs, il est intéressant de noter qu'une récente étude de l’Organisation Mondiale de la Santé a classé l'Algérie parmi les pays les plus pollués sur la planète.

Ainsi, si (1) la voiture électrique remplace progressivement la voiture essence à l'échelle mondiale, que (2) les cadres institutionnels rendront l'exportation des voitures "made in Algeria" plus difficile à exporter en raison des strictes normes d'émissions de GES, et que (3) les consommateurs algériens adhèreront à la transition progressive vers les voitures électriques, qui achèteront les voitures algériennes d'ici là si elles sont basées sur le paradigme des années 1990 centré sur les énergies fossiles ? D'aucuns diront que le marché africain pourra absorber les voitures essence. Cela dit, le marché africain de véhicules neufs est relativement faible. En effet, l'Afrique a seulement acheté 1,7 million de véhicules neufs en 2014, soit 2% du marché mondial. L'automobile essence n'a pas encore amorcé son cycle de croissance dans le continent africain, tandis qu'elle a déjà amorcé le cycle de déclin dans les pays Occidentaux. Il est fort probable que le taux de croissance du marché automobile africain atteigne les deux chiffres d'ici 2025, à l'image de la Chine durant la dernière décennie.

Cependant, rien n'indique que cette croissance concerne uniquement les voitures essence. Autrement dit, les ventes des voitures électriques, surtout si leur prix devient égal à celui des voitures essence, contribueront peut-être en grande partie à cette croissance. D'ailleurs, en partenariat avec une entreprise chinoise, le Togo a récemment produit sa première voiture électrique et solaire. L'Afrique du Sud a également à cœur cette industrie d'avenir et souhaite se positionner comme un acteur compétitif en Afrique avec son modèle de voiture électrique, la Joule, affichant une autonomie de 300 km. Enfin, après cinq ans de recherche soutenue par le gouvernement ougandais, la voiture 100% électrique de Kiira Motors verra le jour sous peu, après avoir déjà commercialisé le premier bus solaire d'Afrique. Par ailleurs, l'Afrique compte aujourd'hui deux autres grands producteurs de voitures essence : l'Afrique du Sud, premier producteur de véhicules d'Afrique en 2014 (566 000 unités) suivie du Maroc (232 000 unités la même année).

Quoi qu'il en soit, au vu du taux de chômage algérien actuel et du besoin criant de sortir de la dépendance vis-à-vis des hydrocarbures, il faut se réjouir de cette industrie automobile algérienne naissante qui créera des dizaines de milliers d'emplois. Cela dit, gardons en tête que l'avenir est ailleurs que dans la voiture essence, et que la transition se prépare dès maintenant, à l'heure où plusieurs joueurs mondiaux à l'image de la Chine se positionnement d'ores et déjà pour occuper une place centrale dans cette nouvelle configuration de l'industrie automobile. C'est d'ailleurs dans les périodes de transition que les nouveaux acteurs ont le plus de facilité à se tailler des places. Les cartes se jouent déjà à l'international et au sein du continent africain, très longtemps exclu des innovations technologiques qui ont marqué le monde.

L'enjeu est d'autant plus crucial pour l'Algérie en tant que grand producteur de pétrole : chaque voiture électrique additionnelle qui remplacera la voiture essence réduira la demande de pétrole. De récentes études montrent que ce phénomène peut faire baisser la demande de pétrole de deux-millions de barils par jour dès 2023, une chute telle qu'une nouvelle crise du pétrole sera inévitable. D'où l'importance d'accorder simultanément une importance stratégique aux énergies renouvelables, bien que nous commencions déjà à accuser un retard considérable face à nos voisins marocains, mauritaniens et sénégalais.

Sofiane Baba

Doctorant, chercheur et chargé de cours à HEC Montréal

Notes

1- The Bright Future Ahead for Electric Vehicles, in 4 Charts

2- Electric vehicles to be 35% of global new car sales by 2040

3- À ce sujet, intéressant de noter que l'Algérie se classe parmi les pays les plus pollués sur la planète

4- Ambient air pollution: a global assessment of exposure and burden of disease

5- Le marché automobile en Afrique n'est pas encore tout à fait un eldorado

6- Une voiture électrique 100% africaine

7- La voiture 100 % ougandaise verra bientôt le jour

8- Automobile : les promesses des marchés africains

9- Here’s How Electric Cars Will Cause the Next Oil Crisis

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