"La Sous-France", un récit intimiste de Rachid Oulebsir

Rachid Oulebsir.
Rachid Oulebsir.

Le chercheur et romancier Rachid Oulebsir a publié chez les éditions Ressouvenances "La Sous-France, souvenirs d’un écolier dans la Kabylie en guerre 1959-1962".

Construit en chapitres cours, ce récit à la première personne est un témoignage précieux sur les violences de la guerre de libération nationale. Comme pour chacune de ses publications, Rachid Oulebsir nous offre ici un livre à tiroirs, riches en enseignements. On y trouve bien entendu la guerre vue par l’enfant qu’était l’auteur, ses violences tantôt sourdes et tantôt criardes, le vécu des femmes, leur courage face à l’adversité brutale des soldats français mais aussi et surtout ce souci de transmission des traditions kabyles. Cette flamme inextinguible qui habite le chercheur. C’est la marque d’écriture de Rachid Oulebsir. Comme pour son roman "Les Derniers kabyles", dans ce récit, il s’emploie à donner au lecteur une photographie la plus juste de la vie d’antan.

Utilisant tous les ressorts du récit, l’écrivain se fait comme ce gardien du feu sacré qui traverse le temps et les contrées pour rejoindre sa tribu et lui porter son viatique. Mais pas seulement, il y a aussi ce style, cette prose éclatante, tout en symboles. Lisez ce passage quand il apprit que son chien Blouk mourir après un mot d’ordre du FLN :

Il fit soudain sombre dans ma tête. Il neigeait des flocons de feu sur mon cœur ! Le vertige me fit confondre les étoiles et les lourdes cigognes blanches, la lune faux soleil nocturne se mit à pleurer, ses larmes épaisses irisaient les cimes flottantes des oliviers et les raquettes épineuses des cactus ! Je ne savais plus si c’était le jour ou la nuit ! Blouk allait mourir et c’est à nous de le tuer ! Le chien fidèle ne savait rien.

L’auteur ne tait pas les dépassements, voire les inconséquences de certains moudjahidines. Le récit se veut réaliste. Rachid Oulebsir raconte la triste mésaventure de Dda Bouhou, un paysan torturé pour avoir fumé une cigarette.

L’ami d’enfance de ma grand-mère était méconnaissable. Il avait le visage ravagé. Amoché ! Le crâne à moitié rasé, l’arcade sourcilière ouverte avec du sang séché sur les tempes. Sa moustache, symbole de l’autorité paternelle, avait également été rasée sur le côté droit, les poils du côté gauche pendant sur la lèvre inférieure. Il avait les yeux au beurre noir sous les sourcils arrachés, les joues tuméfiées."

Dda Bouhou a été humilié par un ancien berger devenu chef du maquis local. Cette ignominie a poussé la victime à rejoindre la SAS, raconte l’auteur. La guerre de libération est effectivement émaillée de nombreux actes de vengeance ou des règlements de compte qui ont conduit un nombre important de victimes à "trahir.

Les femmes tiennent une place centrale dans ce récit. Rachid Oulebsir les raconte avec beaucoup de tendresse, de passion, voire de révérence. Les raisons ? Pendant la guerre, il n’y avait pratiquement plus que les femmes, les enfants et les vieillards dans les villages. Aussi, la famille de l’auteur qui vivait dans un village proche de la ville de Tazmalt ne pouvait échapper à constat.

Le père n’apparaîtra dans le récit que vers la fin. L’auteur, se considérant comme "un faux orphelin", confie que leur relation était compliquée, faite d’absence pour cause de lutte de libération, de départ en exil puis de malentendus. A l’indépendance, le père revient à la maison. Rachid Oulebsir raconte : "Allez va, c’est ton père en tenue militaire», me dit le vieux Mustafa. Fodil, plus grand, courut plus vite que moi. Mon père le prit dans ses bras et dit à haute voix : "Ah te voilà mon grand, cela fait neuf ans que j’attends ce moment-là !».

J’étais debout devant lui, il ne me voyait pas ! Il croyait que Fodil était son fils ! Comme dans les contes de ma mère, je sentais la terre qui m’avalait, paralysé par un sentiment que je ne connaissais pas. Comment pouvait-il se tromper, son cœur ne lui disait donc rien !.

Terrible est ce passage où l'auteur va au plus profond de lui-même pour puiser cette vieille douleur.

Truculent, profond, sans concession et plein d’enseignements, "La Sous-France" vaut vraiment le plaisir d’être lu.

Kassia G-A.

Le livre sur Ressouvenances : Rachid Oulebsir • La Sous-France

La couverture de l'ouvrage

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Commentaires (4) | Réagir ?

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Service comptabilité

merci bien pour les informations

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lila laoubi

Construit en chapitres cours, ce récit à la première personne est un témoignage précieux sur les violences de la guerre de libération nationale. Comme pour chacune de ses publications, Rachid Oulebsir nous offre ici un livre à tiroirs, riches en enseignements. On y trouve bien entendu la guerre vue par l’enfant qu’était l’auteur, ses violences tantôt sourdes et tantôt criardes, le vécu des femmes, leur courage face à l’adversité brutale des soldats français mais aussi et surtout ce souci de transmission des traditions kabyles. Cette flamme inextinguible qui habite le chercheur. C’est la marque d’écriture de Rachid Oulebsir. Comme pour son roman "Les Derniers kabyles", dans ce récit, il s’emploie à donner au lecteur une photographie la plus juste de la vie d’antan.

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