MECILI ET LES BONS DE CAISSES : 3. Zid ya Bouzid !

Dans l'affaire Mecili, les dirigeants algériens font preuve d'une érudition juridique épousstouflante. Ils donnent des leçons à la justice française.
Ainsi, le président de la Commission nationale consultative de promotion et de protection des droits de l’homme (CNCPPDH), Me Farouk Ksentini, a souligné hier à Alger que la procédure judiciaire dont le diplomate algérien Mohamed Ziane Hasseni est l’objet en France «doit être close par un non-lieu», au regard des derniers témoignages. «Les derniers témoignages auditionnés par le juge d’instruction ont établi qu’il s’agit d’une erreur sur l’identité et que le diplomate algérien (Mohamed Ziane Hasseni) n’est en rien impliqué dans cette affaire. Le premier juge a mal instruit l’affaire” , a constaté le président du CNCPPDH. «On a porté atteinte à la liberté d’une personne qui n’est absolument pas concernée par cette affaire», a-t-il déploré.

Voilà comment à Alger, le juge "instruit bien" les affaires.
Histoire d'une « atteinte à la liberté d’une personne qui n’est absolument pas concernée par cette affaire»

Benchicou raconte :

« Avant d’être présenté à Aidouni, je fus d’abord présenté devant le procureur Bouzid, un homme au regard fuyant et qui me reçut dans un vaste bureau impersonnel, décoré avec ce goût affreux par lequel les commis du système ont l’art d’aggraver la mauvaise image du régime. C’est de cet homme que dépendait mon avenir immédiat. Il m’apparut visiblement mal à l’aise : je le devinais déchiré par les ordres et les contre-ordres me concernant et qui avaient dû pleuvoir sur lui tout au long de la journée. Le procureur Bouzid, comme tous les auxiliaires du régime, ne devait pas obéir qu’à une seule autorité. Or en cet été 2003, en pleine période préélectorale qui voyait les clans s'entre-déchirer, les foyers de pouvoir s’étaient multipliés au-dessus de sa tête, les uns, Bouteflika et ses proches, décidés à m’incarcérer, les autres, le candidat Benflis du FLN et une partie de la hiérarchie militaire résolus, certains pour des motifs tactiques, à déjouer le plan du chef de l’Etat.
C’est donc un personnage se débattant sans panache dans la mare boueuse de l’indignité qu’il m’a été donné l’occasion de rencontrer cet après-midi-là. Accroché au téléphone, il attendait l’instruction salutaire et ultime qui lui indiquerait, enfin, le sort décidé en haut lieu pour mon encombrante personne. La plus récente, confortée par l’absence de charges contre moi, exigeait de lui qu’il me libérât et de remettre au lendemain l’audition par le juge d’instruction. Allait-elle être contredite, comme toutes celles qui l’avaient précédée ? Le procureur Bouzid, en prudent connaisseur des mœurs du Palais, avait choisi de gagner du temps. Et il comptait satisfaire à ce délicat exercice en se livrant à une longue et stérile causerie sur l’avantage qu’il y avait à cultiver la pondération en tout, et particulièrement en matière de journalisme. Sa conférence dilatoire n’ayant été interrompue par aucune nouvelle consigne annulant la précédente, il conclut donc que la dernière instruction était la bonne et qu’il était l’heure de me libérer. Il prit un air raisonnablement enjoué pour me l’annoncer :
– Monsieur Benchicou, on va vous laisser passer la nuit chez vous. Le juge vous entendra demain matin. On compte sur vous pour être à l’heure...
Alors qu’il me tendait la main pour me signifier la fin de l’entrevue, heureux d’être enfin venu à bout de cette harassante journée, le téléphone vint perfidement le rappeler à l’ordre. C’était l’instruction qui annulait la précédente. Le procureur Bouzid écoutait tomber les ordres en hochant mécaniquement de la tête, bafouillait pitoyablement, puis, réalisant que j’assistais au spectacle dégradant d’un homme pris en flagrant délit de servilité, m’invita à sortir et à attendre dans le couloir. Quand il revint me chercher, son visage était décomposé. Il prit un ton moins rayonnant pour m’instruire des nouvelles volontés de ses chefs :
– J’ai bien peur, Monsieur Benchicou, d’être allé vite en besogne. Vous ne pouvez pas partir chez vous. Vous passerez la nuit dans les locaux de la police. Rassurez-vous, je donnerai des consignes pour qu’on vous traite bien…
– Comme vous l’entendez, répondis-je d’un air entendu.
Il me tendit de nouveau la main pour me saluer quand le téléphone, avec une intacte perfidie, vint lui rappeler que la réputation des procureurs tenait décidément à une petite sonnerie : c’était le contre-ordre qui annulait le précédent contre-ordre. Le sieur Bouzid, le combiné collé à l’oreille, écoutait sans broncher, me fixant étrangement d’un regard confus, hochant toujours la tête avec une égale assiduité, mais sans oser, cette fois-ci, me demander de quitter le bureau. A la fin de la conversation, il accrocha un sourire surfait sur sa mine malmenée et m’informa brièvement des dernières nouvelles du front :
– Finalement, vous allez passer la nuit avec vos enfants, Monsieur Benchicou. On se dit à demain ?
Le destin venait de contrarier le président Bouteflika : je ne dormirai pas en prison et mon journal allait reparaître.
Ce mercredi 27 août, je quittai tôt la maison pour le tribunal. Il faisait déjà chaud. Le soleil impitoyable qui brûlait Alger chassait ses premières cohortes de voitures vers la plage. Dans son bureau kitch, le procureur Bouzid m’attendait, un peu moins pincé, un peu plus souverain mais avec le même rictus matois. Il semblait avoir bien récupéré de son triste numéro d’obséquiosité et m’annonça d’un ton emprunté l’alléchant programme de la matinée :
– Le juge d’instruction se prépare à vous entendre. Vous savez, la décision lui appartient. Les policiers vont vous y conduire.
La comédie judiciaire était bien huilée. Le juge reçut d’abord, aux fins d’enregistrer la « plainte », la partie civile en la personne du directeur de l’Agence nationale du Trésor, un personnage plat, tout heureux de servir de porte-flingue à son ministre et de remplir une sale besogne pour les besoins d’une machination d’Etat. Le juge Aïdouni, coutumier des affaires d’infraction à la législation des changes, savait parfaitement qu’en la matière seule l’institution douanière était compétente pour déposer plainte auprès de la justice. Mais en acceptant de déroger à la règle, de fouler aux pieds la justice algérienne et de recevoir un plaignant qui n’en était pas un, il choisissait son camp : celui des puissants du moment. Il en sera, plus tard, bien récompensé.
Mon audition dura moins d'une heure. En dépit de l'égard qu'il vouait à ses maîtres, le juge Aïdouni dut abdiquer devant l’inconsistance du dossier vide et l’absence de charges sérieuses : il n’y avait pas matière à m’incarcérer. Et l’aurait-il voulu qu’il n’avait pas de couverture politique pour cela : le pouvoir, en dépit de la hargne du président Bouteflika et de la détermination de Zerhouni, n’était pas unanime, en cette période préélectorale, à pousser la grossière mascarade jusqu’à des extrémités incontrôlables. Au bout d’une audition très formelle où je dus répondre à de banales questions sans intérêt, il prit son air le plus docte pour m’annoncer sa décision :
– Le procureur a demandé de vous placer en mandat de dépôt mais je ne vois pas, dans les arguments de la partie plaignante, ce qui pourrait justifier cela. Je vous place néanmoins sous contrôle judiciaire, en attendant d’approfondir l’instruction, et je vous confisque votre passeport. Vous serez obligés de venir, chaque samedi, émarger sur un registre de présence chez ma secrétaire.
Par cette formule, - « en attendant d’approfondir l’instruction » -, le juge donnait le temps à la situation politique de se décanter et à la décision de m’incarcérer de mûrir. Mon procès attendra donc la fin des élections présidentielles. Inutile d’avoir des dons d’oracle pour deviner que mon sort dépendait de la réélection de Bouteflika.

L.M.

A suivre

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Commentaires (4) | Réagir ?

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Belaid

Monsieur Benchicou, tout le mon, de a compris que si on vous a mis en prison, c'est par vengeance. Dieu merci, voue en êtes sorti indemne et en bonne santé, que Dieu vous garde. Si je vous disais qu'à un moment, je ne vous portais pas dans mon coeur, mais maintenant, la majorité du peuple vous soutient et vous admire pour votre courage. Votre plume les hantera et nous, nous somme avides de lire vos écrits et livres prochains. Bon courage et merci.

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megdouda

Les dirigeants algériens devraient organiser des stages de recyclage à la justice française: La dépendance d'une justice aux services suivi d'un débat sur l'incompétence mise au pas. Quant à l'Affaire Mécili, laissons-la suivre son cours.

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