Bouteflika - Merkel : deux ou trois choses que devrait savoir M. Benyounès

Amara Benyounès
Amara Benyounès

TSA a rapporté, hier vendredi, cette toute dernière maladresse de l'ami Amara Benyounès qui a cru avoir trouvé le subterfuge inattaquable pour damer le pion aux adversaires des mandats à répétition du président Bouteflika : "La chancelière (allemande) a annoncé sa volonté de se présenter pour un quatrième mandat, il ne s’est rien passé en Allemagne, vous avez vu ce qui s’est passé quand on a parlé de quatrième mandat en Algérie (...) On a parlé de dictature et on a dit que ce n’était pas démocrate (...) Pourquoi ne critiquent-ils pas le quatrième mandat d’Angela Merkel ?" nous dit, sur un ton de défi, l’ami Amara, tout heureux du parallèle entre une autocratie archaïque et la démocratie allemande.

Il y a des confusions pardonnables pour le commun des citoyens qui le sont beaucoup moins pour un chef de parti, de surcroît quand il se double d'un homme de médias. Mais ce parallèle est erroné : Angela Merkel n'est pas la présidente du pays, elle en est la chancelière, c'est à dire le chef du gouvernement. Le chef de l’État de la République fédérale d’Allemagne, Bundespräsident, s’appelle Joachim Gauck et c’est avec lui que devrait s’établir la comparaison. Elle n’est pas à l’avantage de Bouteflika. En Allemagne, le président fédéral, le Bundespräsident, est élu pour un mandat de cinq ans, renouvelable une seule fois. Eh oui, M. Benyounès ! Et puisque nous en sommes aux rapprochements entre l'autocratie algérienne et la démocratie allemande, précisons que l'actuel président allemand, Joachim Gauck, a annoncé tout récemment, ne pas vouloir postuler à sa propre succession «du fait de son âge» et de «l’énergie et la vitalité nécessaires à la fonction et qui pourraient lui faire défaut.» Cela ne vous rappelle rien ? Le changement à la tête de l’Etat, y compris dans un contexte difficile, est «une normalité démocratique», a simplement souligné Gauck. Eh, oui, cher Amara, ce serait plutôt cela la démocratie allemande ! La décision du président Joachim Gauck a d'ailleurs pris de court la classe politique allemande au point de constituer une crise qui n'a été réglée que ces dernières semaines, avec la candidature de l'actuel chef de la diplomatie allemande Frank-Walter Steinmeier à la succession du président.

Angela Merkel, elle, n'est pas élue par le suffrage populaire, comme le laisse supposer l'ami Amara, mais, désignée par sa formation politique. Le chancelier est choisi parmi les députés élus du parti vainqueur aux législatives majoritaire ou, en l'absence d'un parti majoritaire, par la coalition majoritaire. Méthode classique en démocratie parlementaire. La particularité allemande en fait le pivot central du pouvoir exécutif, lui attribuant de pouvoirs étendus au sein du système politique. C'est probablement ce qui explique la méprise de l'inusable Benyounès : il entend davantage parler de Merkel que du président Gauk.

Merkel est reconduite depuis 12 ans au poste de chancelière parce que la nomination d'un chef de gouvernement relève des seules prérogatives de la formation qui gagne les élections législatives et qui peut désigner le même chef de gouvernement, deux, trois ou dix fois de suite. C'est ce que M. Benyounès appelle le "quatrième mandat de Merkel", abusé sans doute par le terme "mandat". La gouvernance d'un chancelier se décompte en "mandat" parce qu'elle est alignée sur le mandat de l'Assemblée nationale, le Bundestag. Les pouvoirs du chef de gouvernement commencent avec la nouvelle Assemblée et expirent avec la fin de la mandature parlementaire. L'Assemblée allemande est le lieu suprême de la désignation aux postes de gouvernance. C'est pourquoi les législatives sont décisives en Allemagne : le peuple n'élit pas ses dirigeants mais les députés qui les désigneront. Selon qu'il donne la majorité à telle ou telle formation, il influe sur la composante de sa direction politique. La chose est inimaginable dans un pays comme le nôtre où les Assemblées sont décidées en vase clos et où le mandat de député est souvent vendu aux enchères.

Cela dit, l'exercice qui consiste, par le biais des comparaisons hâtives, à justifier l’acharnement du président Bouteflika à s'imposer à ce peuple et d'imposer le pouvoir à vie, est une pratique sans espoir en plus d'être une besogne sans panache. Le président Bouteflika avait le choix de laisser de lui une image plus honorable que celle, pitoyable, que l’on a gardée de ces autocrates de triste mémoire dont l'avidité a conduit aux désespoirs des peuples : Bokassa, Moubarak, Ben Ali, Mugabe... Il avait la possibilité de faire partie de cette catégorie d'hommes qui ont exercé le pouvoir avec noblesse, la noblesse de l'homme que Léon Blum résumait à l'art de travailler pour une cause dont il sait qu'il ne profitera pas lui-même. La race du président allemand Joachim Gauck dont M. Benyounès aurait gagné à mieux connaître et qui, quoique plébiscité par les deux tiers de la population et assuré du soutien des principaux partis allemands, a préféré se retirer dans l'honneur plutôt que de continuer à régner dans la déchéance. La presse allemande a applaudi la décision de ce président qui est "contre la retraite à 82 ans" (âge auquel il aurait fini un second mandat) selon la formule ironique du Bild Zeitung, "une décision avisée, commente la première chaîne de télévision publique ARD, car Gauck ne peut devenir ni plus aimé ni plus jeune."

"Gauck restera dans les mémoires comme un homme honnête, qui a su composer entre la droite et la gauche, les élites et le peuple, la peur et l’espoir. Joachim Gauck a été une chance pour la République" (Frankfurter Allgemeine Zeitung). Bouteflika avait le privilège de faire partie des hommes immortels, ces figures historiques dont il dit vouloir s'inspirer, Mandela, Jefferson, De Gaulle....

Nelson Mandela, du haut de sa stature n’a fait qu’un seul mandat avant de céder la place à la génération suivante ! "Ce n'est pas sympathique de rester au-delà de son temps, a-t-il dit. Il faut s'écarter du chemin et ne pas faire de l'ombre." De son vivant, Mandela n'a jamais rien édifié à sa gloire, ni grande cathédrale dont on aurait pu s’extasier sur la verroterie ni quelque monument colossal qui imposerait à jamais l'évocation de sa personne. Il n'a rien voulu imposer à personne, surtout pas le souvenir de lui-même. Ce n’est pas seulement de la modestie, encore qu'avec ce singulier personnage la modestie est le seul éclat qu'il soit permis d'ajouter à la gloire. Cette indifférence devant l'obsession de l'immortalité, c'est le substrat d'une existence dédiée à la liberté : on ne s'impose pas à un peuple, et encore moins à sa mémoire. Et il le pense, lui qui a écrit :"Etre libre, ce n'est pas seulement se débarrasser de ses chaînes ; c'est vivre d'une façon qui respecte et renforce la liberté des autres." L'homme est parti en laissant à chacun de ceux qui lui ont survécu, la liberté de l'évoquer ou de ne pas l'évoquer, peu ou prou, avec passion ou avec détachement, selon l’idée qu’il se fait de l’œuvre de Mandela. Qui sait, peut-être voulait-il signifier que le vrai secret de la gloire authentique et de n'être réductible à aucun monument aussi pharaonique soit-il, car aucun édifice ne peut restituer la majesté d'une vie admirable. Combien de stèles, de statues, voire de minarets appelés à symboliser une œuvre messianique n'ont survécu dans les mémoires que le temps, dérisoire, que met une supercherie à s’effondrer, écroulés, avec fracas, par la volonté de ceux-là même qui étaient censés les vénérer de père en fils. Comme le dit Benjamin Constant, les peuples qui n'ont plus de voix n'en ont pas moins de la mémoire. C'est pourquoi autour de la seule ville de Paris, on ne compte pas moins de 15 stades baptisés spontanément, naturellement, Nelson Mandela. Si vous êtes de passage à Champigny, Saint-Denis, la Courneuve, Colombes ou Sarcelles, entrez donc au stade Nelson Mandela, vous y trouverez des bandes de jeunes gens jouant au foot sous une ombre furtive et majestueuse qui s’appelle la postérité, la vraie, celle qui se souvient des hommes qui ont changé les empires, pas de ceux qui les ont pervertis.

Thomas Jefferson, dont notre président se revendiquait bruyamment, a quitté son poste de président des Etats-Unis, à la fin de son second mandat présidentiel, après avoir fait voter l'interdiction de la traite des Noirs, et alors qu'il aurait sans doute remporté une troisième élection présidentielle. Il se retira dans sa propriété de Monticello, où il dessina les plans de l'université de Virginie et s'adonna à s'instruire pour satisfaire son immense curiosité. Il est l'auteur de sa propre épitaphe qui ne fait aucune référence à son rôle de président : "Ici repose Thomas Jefferson, auteur de la déclaration d'indépendance des États-Unis. Auteur de la loi sur la liberté religieuse en Virginie. Fondateur de l'université de Virginie".

Quant à De Gaulle, en mai 1968, à Paris, face à une France rebelle, trop jeune et qu'il ne connaissait pas, il proposa, dignement, un référendum : "Si je suis désavoué par une majorité d'entre vous, je cesserai aussitôt mes activités" A 52%, les Français votent "non". De Gaulle démissionna aussitôt et se retira à Colombey-Les-deux-Egiises, laissant à des proches qui lui conseillaient de temporiser, cette cinglante réplique : "Quel homme serais-je si je prétendais me maintenir dérisoirement dans mes fonctions ?"

Mohamed Benchicou

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Commentaires (19) | Réagir ?

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urfane

J'ajouterai une information anecdotique mais non mois révélatrice de l'intégrité de cet homme " en entrant au palais de l'Elysée, il a fait installer un compteur électrique pour payer sa propre consommation, sa cuisine quotidienne n'est pas assurée par le staff de cuisine mais bien par tante Yvonne". Bref, autant de principes et conduites irréprochables sur soi qui en disent long sur la valeur que cet homme accorde à l'honnêteté et la probité intellectuelle qui en découle. Bouteflika ainsi que sa clique et les militaires qui l'ont amené et qui le maintiennent ad nauseam se sont bannis eux-mêmes de cette sphère de la noblesse des Hommes. J'ose simplement espérer que ces voyous sans foi ne sont pas l'émanation de ce peuple (même si, j'en doute un peu!!)

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Rabah IBN ABDELAZIZ

Parce que Ce Président est un Grand Démocrate, pas comme fakhamatouh le voleur qui à détroussé les Algériens.

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Aksil ilunisen

Tres mediocre et lamentable est not Algerie. Puisse la France nous pardonerpour s'etre trompé d'ennemis et les avoir chassés a la place des diables d'Arabie.

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