Qu’est devenu le FLN du 1er Novembre 1954 ?

L'Algérie est devenue un butin de guerre que  se partage une nomenklatura et ses enfants.
L'Algérie est devenue un butin de guerre que se partage une nomenklatura et ses enfants.

Le spectacle offert ces derniers temps par le parti FLN laisse pantois tous ceux qui gardent dans un coin de leur imaginaire l’épopée d’un groupe de militants qui ont osé se lancer dans une aventure inouïe le 1er novembre 1954.

Ces militants outre le courage physique qu’il fallait avoir pour se lancer dans la lutte armée en dépit de l’évident rapport de force militaire en leur défaveur, n’ont point hésité à envahir un champ de bataille à multiples inconnues. Ils avaient l’intuition, que dis-je la certitude qu’ils ne devaient pas rater ce rendez-vous avec leur pays. Cette certitude on la devine dans la proclamation du premier novembre 1954. Ils sentaient qu’un désastre allait condamner le pays à subir encore et encore l’odieuse domination coloniale si le mouvement national continuait à se laisser ronger par ses contradictions. Ils connaissaient les difficultés à surmonter ces contradictions. Ayant milité dans les partis successifs du mouvement national (Etoile nord-africaine, PPA, MTLD), ces militants étaient au parfum de la réalité de l’intérieur de ces partis. Il leur était donc facile de cerner les blocages dus à des facteurs subjectifs aggravés par la culture féodale du zaïma. Militants aguerris bien que jeunes, ils ne voulaient pas perdre leur temps en assistant aux chamailleries des ‘’anciens’’ alors que la situation internationale (défaite de la France à Diên Biên Phu et insurrections en Tunisie et au Maroc) invitait à exploiter cette conjoncture.

Le dépassement des propres difficultés du mouvement national ne pouvait produire ses fruits que s’il était accompagné d’une analyse rigoureuse de la société algérienne y compris les habitants d’origine européenne ou juive qui pouvaient s’engager ou aider à la libération du pays. C’est cette vision qui collait à la réalité coloniale et aux aspirations du peuple que les pères de la révolution ont mis en musique dans la déclaration de novembre 54. Cette brève introduction pour dire que le FLN a rempli son contrat (indépendance nationale) avec le peuple algérien à qui il a adressé la déclaration du 1° novembre 1954.

Le passé de ce FLN qui a rendu sa dignité à un peuple, d’aucuns se soucient de préserver son image pour résister à la machine du temps qui broie tout sur son passage quand la mémoire des hommes se laisse gagner par la léthargie. On se souvient de l’opinion de Kateb Yacine au lendemain des émeutes de 88, émise dans le journal ‘’Le Monde’’ : le FLN appartient au peuple algérien. Cette idée ne semble être encore à l’ordre du jour. Ce sont les futurs évènements et les hommes qui détermineront le statut de cet acteur qui a fait l’histoire de la reconquête de la souveraineté du pays. Finirons-nous par entendre l’avis de Kateb ou bien le sigle glorieux du FLN va être écorné, abimé par la politique de ceux qui persistent de croire qu’il est non la propriété de tout un peuple mais d’héritiers autoproclamés. Pour connaître le sort que réservera l’histoire aux trois lettres de ce sigle, il n’est pas inutile de se poser la question de la nature du parti FLN actuel qui se veut être toujours la matrice politique et idéologique du pouvoir. Rappelons que jusqu’au fameux ‘’coup d’Etat scientifique’’ qui a démis Abdehamid Mehri de son poste de secrétaire général, l’élection des instances du parti de la Kasma au bureau politique, se déroulait ‘’normalement’’ c’est à dire loin des regards curieux. La politique du secret et l’opacité de l’information étaient les signes phares de sa ‘’carte d’identité’’. Mais depuis Mehri jusqu’à Saâdani en passant par Belkhadem, les secrétaires généraux de ce parti ont été intronisés en faisant appel si besoin à la justice fut-elle de nuit et sont débarqués d’une façon tout aussi cavalière. En art comme en politique, la forme utilisée révèle le fond d’une œuvre. Un deuxième évènement important s’est déroulé parallèlement aux tumultes du FLN que je viens de signaler. C’est la mise à la retraite du chef du DRS alors que jusque-là ce dernier passait dans l’imaginaire des gens pour Rab Edzaïr. A l’évidence, ces évènements (au FLN et au DRS) sont l’expression de profondes contradictions politiques qui traversent et déchirent les sphères sensibles du pouvoir. La violence verbale et la nature des accusations jetées en pâture dans la scène publique qui ont accompagné ces turbulences ne peuvent que refléter un glissement notable des rapports de force. Ce glissement peut paraître comme du déjà vu, donc non pertinent. Certains commentateurs y ont vu un simple jeu de chaise musicale où des acteurs de ce jeu étaient remplacés sans que cela ouvre des brèches dans l’architecture politique du pouvoir. On était en effet habitué à ce genre de manège et les changements étaient en quelque sorte des lubrifiants pour faire disparaître les crissements de la machine institutionnelle. Mais le déballage public auquel le pays avait assisté, les propos forts désobligeants ne pouvaient qu’humilier les personnes visées et risquaient de déstabiliser les appareils politiques de base du régime. Ce genre de fautes politiques n’est pas en général sans conséquences. L’avenir le dira. On peut néanmoins se risquer dans des hypothèses en se référant à des exemples historiques avérés. La situation créée par ces événements va-t-elle se traduire par une implosion du parti comme ce fut le cas du mouvement national avant la naissance du FLN de 54 ? Comparaison n’est pas raison d’autant plus que la période historique coloniale intimement liée à la question nationale avait engendré une dynamique qui avait balayé les egos et autres ambitions politiciennes. Ce scénario à l’évidence a peu de chance de se concrétiser. Aujourd’hui nous sommes en présence d’une autre dynamique. On a affaire à des groupes sociaux (adeptes de la chkara selon l’humour populaire) dont les intérêts ne se confondent pas et c’est un euphémisme avec l’intérêt national. Ces nouvelles catégories sociales ont tout intérêt à garder un appareil politique auquel est associé un nom d’un parti prestigieux. Garder jalousement le prestige d’un parti révolutionnaire, ce genre de combine s’est vu ailleurs. Ainsi, au Mexique où un parti issu de la révolution de 1910 se transforma en parti ‘’révolutionnaire’’ institutionnel et qui s’est maintenu au pouvoir sans discontinuité pendant plus de 70 ans. Devenu un parti conservateur et autoritaire, son passé révolutionnaire ne l’empêcha pas de noyer dans le sang la révolte des étudiants en octobre 1968. Ce massacre fut le début de sa descente aux enfers puisqu’il finit par perdre les élections et aujourd’hui son nom n’est connu que par les historiens.

Si l’on ne peut pas faire des analogies entre les deux FLN de 54 et celui d’aujourd’hui, on peut néanmoins s’appuyer sur l’histoire des crises du FLN pour comprendre le glissement d’un parti qui a conduit une révolution et qui finit par être le protecteur de catégories sociales excitées par d’autres ambitions aux antipodes de la déclaration du 1er novembre 1954 qui prônait la justice sociale. La nature de la prise du pouvoir au lendemain de l’indépendance, le coup d’Etat du 19 juin 65, les émeutes de 1988 pour ne citer que ces séismes/événements ont tous engendré peu à peu une autre dynamique. Celle-ci a entrainé l’émergence de visions politiques et d’intérêts contradictoire qui ont cohabité par nécessité ou par opportunisme politique. A chaque fois que la loi de la nécessité s’évaporait sous la pression d’autres contraintes impérieuses et féroces, le clash devenait inévitable. Il n’y a rien d’étonnant à ça, l’histoire regorge de pareils chocs et les essais de philosophie politique les ont théorisés.

Il y a une autre "chose" mystérieuse qui participe à la crise du FLN d’aujourd’hui. Ce "mystère" n’est autre que la difficulté de trouver en cas de coups durs des hommes disponibles de prendre les rênes de l’Etat. On se souvient que l’on a été cherché un Boudiaf dans son exil, un Zéroual homme tranquille à la retraite que l’on a ‘’supplié’’ de se sacrifier pour le pays quand Bouteflika avait poliment refusé la charge de l’Etat en 1995. Les candidats au poste de chef d’Etat sont peu nombreux car la charge implique quand même quelques qualités d’homme d’Etat (notamment sur la scène internationale) et nécessite d’avoir les coudées franches pour appliquer une politique. L’exemple de la difficulté de trouver un candidat au poste de chef d’Etat est un symbole. Celui-ci peut nous renseigner sur une autre difficulté du régime, celle de son incapacité à se reproduire socialement*. Pierre Bourdieu éminent sociologue-philosophe (connu chez nous pour ses travaux sur la paysannerie algérienne) a bien montré comment historiquement les classes aisées se reproduisent socialement pour occuper les postes clés de la société (politique et/ou économique).

Apparemment les "fils à papa" préfèrent pour l’instant les délices des affaires que le travail ‘’ingrat’’ de la politique d’autant que chez nous les sièges ‘’politiques’’ sont facilement éjectables. Les crises à répétition et la tragique période de la terreur intégriste sont là pour rappeler qu’un régime ayant une base sociale réduite à certains fonctionnaires d’une bureaucratie envahissante et des entrepreneurs qui ne créent pas de richesses mais importent celles produites ailleurs, ce régime là risque à la longue de finir comme le PRI mexicain.

Pour finir, espérons que les vœux de Kateb Yacine soient exaucés et que le FLN entre dans le Panthéon de l’histoire du pays pour que nul n’hérite de son prestige pour des intérêts personnels et forcément mesquins au regard de l’aventure titanesque enclenchée à la veille du 1er novembre 1954 par le groupe des militants réunis dans un quartier populaire des hauteurs d’Alger.

Ali Akika, cinéaste

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Commentaires (11) | Réagir ?

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adil ahmed

merci

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msilaDSP DSP

MERCI

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