Solder les séquelles de la colonisation et du féodalisme sonnera le glas des dictatures…

La Ligue arabe est devenue une fiction.
La Ligue arabe est devenue une fiction.

L’histoire nous étonnera toujours. Il n’y a que les sourds qui n’entendent pas ses vacarmes. Les aveugles qui ne voient pas les ruines des paysages après guerre. Et les mauvais élèves qui oublient que les guerres engendrent des bouleversements politiques. Et les bouleversements que connaît le monde arabe depuis 2011 sont en train de produire leurs effets.

La Ligue arabe que l’on croyait mériter son nom, apparaît aujourd’hui comme une fiction. La guerre en Syrie a fait voler en éclat son unité de façade et a laissé la place à deux blocs. Quand on interroge l’histoire, on s’aperçoit que ces deux blocs grosso modo se rattachent pour les uns au mouvement national qui a libéré les pays de la colonisation, les autres ont été délivrés de l’empire ottoman avec l’aide de la Grande Bretagne payée en retour en bases militaires et surtout en puits de pétrole. Une autre nouveauté, c’est le rééquilibrage des rapports de forces entre puissances étrangères dans le Moyen-Orient (Iran et Russie dérèglent le jeu et calment les appétits de l’Occident). Mais les effets attendus dans ce monde que l’on croyait vouer à une hibernation permanente seront encore plus décisifs. Le titre de l’article annonce la couleur. Mais auparavant un regard sur l’histoire et les peuples de la région n’est pas inutile pour comprendre le pourquoi de l’inéluctable changement du paysage politique dans ces pays.…

Le Moyen-Orient, une contrée qui a vu naître l’agriculture, l’écriture, les religions, la vie en société, n’est que champs de dévastations par les temps qui courent. Objet d’agressions par des ennemis venus d’ailleurs mais aussi à cause d’acteurs locaux. Il y a d’abord ce monde qui, longtemps vautré dans son confort, semble être angoissé par une éventuelle disparition de ses privilèges. Il a accumulé sa richesse par la violence et l’injustice et chaque fois que ses victimes ont dit barakat, basta, il a pratiqué la politique de la canonnière. De nos jours, fatigué ou paresseux, dans ses bureaux au chaud et en sécurité, il se contente de lancer avec un grand courage ses canons modernes appelés missiles…. Mais ce Moyen-Orient ne serait pas une proie facile sans la trahison de seigneurs s’ennuyant dans leur désert au point de s’impatienter pour rejoindre l’éternité d’un paradis fantasmé.

Les auteurs de ce sinistre théâtre (étrangers et locaux) se connaissent déjà, ils ont même fait alliance au début du XXe siècle. Les premiers arrogants et repus, attirés parce que connaissant les fabuleuses richesses du sous-sol de la région offrirent leur aide à leurs obligés voulant se débarrasser de leurs maîtres ottomans de l’époque. On retrouve aujourd’hui cette faune dans la même tranchée pour tenter de redessiner la carte de cette contrée désirant en finir avec les séquelles d’un passé douloureux. Les habitants de ces contrées en avaient assez de ces vassaux qui protégeaient cette domination étrangère. Leur indignation et leur colère les vomissaient et une fois l’incendie allumée et se propageant, les maîtres du monde furent surpris par l’audace des peuples. Leurs sentinelles-informateurs aux sigles bizarres CIA, DGSE, Mossad, ayant perdu leur latin ne purent leur fournir des analyses qui tiennent la route. Ils ont dû improviser leurs attitudes en fonction de la nature des relations avec les régimes en place(*).

Parallèlement, ils firent appel à leurs fidèles médias chargés de rameuter l’opinion pour faire le bon choix devant les évènements en cours. C’est ce qu’ils firent à propos de la guerre en Syrie. Sauf que ces médias chantent les louanges des vrais barbares qualifiés d’opposants ‘’modérés’’. Chaque jour ils s’échinent à chanter leur victoire pour le lendemain, à trouver une astuce pour justifier le retard à l’allumage, à déverser des tombereaux de mensonges et d’insultes sur l’histoire de cette région qui ne veut pas se plier à leur bon vouloir. Les petits lutins du monde se réjouissaient des bras d’honneurs envoyés par Dame Histoire aux féodaux-intégristes rétifs au temps qui passe. Ah ils n’aiment pas l’écoulement du temps les faiseurs des contes à dormir debout. Les petits lutins, évidemment patients n’ont pas les handicaps des prédateurs toujours pressés de jouir de leurs butins. Les prédateurs ont toujours peur d’être dépossédés de biens qui n’ont jamais été le fruit de leur labeur mais du vol légitimé par les vieilles lunes d’une idéologie aussi âgée que Mathusalem…..

… La guerre n’est jamais jolie mais elle renferme toujours un secret qui surprend les esprits les plus retors. Dans ce Moyen-Orient réputé compliqué, la guerre a fait tomber les masques. La mosaïque des communautés religieuses servait à faire oublier les inégalités sociales et les relations douteuses avec des puissances étrangères. Quel ‘’jolie’’ spectacle et inattendu paradoxe de voir ce beau monde patauger dans un champ de bataille dont l’issue va signer leur défaite. On en voit déjà les prémisses… Souvenons-nous, il y a un siècle dans ces mêmes contrées s’affrontaient une sorte de sainte alliance féodaux/occident pour bouter hors de la région l’empire ottoman. Aujourd’hui les héritiers de cet empire, pas rancunier pour un dinar ont rejoint l’alliance d’antan pour avoir sa part de gâteau. Dans cette confrontation qui ressemble à celle d’il y a un siècle quand le monde allait basculer dans l’inconnu et l’incertitude, il y a fort à parier que des acteurs de cette alliance vont laisser des plumes.

L’apprenti-sorcier qui trône à Ankara mais cultivant la nostalgie de l’empire, goûte déjà aux affres d’une guerre qui devait lui permettre de résoudre des contentieux légués par l’histoire et s’offrir dans la région des positions économico-politiques. Ces objectifs, il pensait les atteindre par une simple opération de police. Le voilà en prises avec ‘’ses’’ Kurdes qui l’empêchent de dormir. Ses agitations le poussèrent à la faute et réveillèrent son voisin dont le président est un ex-colonel du KGB qui ne rigole pas avec la sécurité de son pays. Avec ses faux amis européens, il voit ses appels restés sans réponse devant la porte sublimée de cette union européenne tant rêvée. Quant au festin jusque-là partagé avec l’oncle Sam, ce n’est plus qu’un souvenir raconté dorénavant au passé selon la formule il était une fois… Cette politique qui se fissure a pourtant été préparée soigneusement, du moins le pensait-il. Souvenons-nous de ses tournées en pèlerin dans ces pays qui dorment sur un océan d’or noir. Régulièrement, lui ou ses collaborateurs se rendaient à la Mecque pour prospecter les souks de la région pour écouler ses gadgets industriels en attendant que la vieille Europe lui ouvre ses marchés, promesses toujours reportées. Il se rendit compte que ces visites allaient souffrir de la guerre qui bouscule ses amis dans leurs forteresses. Ainsi faisait-il les frais des rivalités de ces alliés/clients de circonstances empêtrés dans leurs contradictions. Il ne sut alors sur quel pied danser entre le petit Emirat voulant jouer dans la cour des grands et le grand frère matamore, hôte de millions de pèlerins chérissant les lieux saints. Celui qui se voulait marcher sur les traces du grand Wazir (Vizir) d’Istanbul s’aperçut que ces gens-là regardaient le monde avec des lunettes du Moyen-âge. Il comprit alors que ces cerveaux fâchés avec la "modernité", ne pouvaient résister aux vents violents qui soufflent dans la région. Réaliste, l’héritier de la porte sublime d’Istanbul, se tourna vers les Ayatollah habitant sur l’autre rive du Golfe. Et en si bon chemin, il continua sa route jusqu’au pays de la Toundra pour se réconcilier avec un Tzar dont le verbe est Acte.

Il sait que les Etats ne reconnaissent que le feu et le fer de la puissance. Il opéra alors une volte-face, convaincu que les gardiens des lieux saints risquaient d’être balayés par les secousses de la féroce bataille en cours. Il a en exemple le petit et fragile Yémen qui donne du fil à retordre à ce géant aux pieds d’argile tout en révèle à ses crimes odieux… Ainsi au vu de ces imbroglios, l’héritier Ottoman s’attend à avoir quelque surprise et inquiétude. L’alerte fut chaude la nuit du 14 au 15 juillet quand les bras armés de son Etat (serviteur de l’OTAN) voulurent lui rappeler qu’ils se reconnaissaient en Atatürk et non en sa fumeuse ‘’modernité’’ à la sauce ‘’islamiste’’. Alerté par les joueurs d’échecs avec qui il venait de renouer des liens, il sortit vainqueur d’un coup d’Etat mal pensé et mal préparé. Il a dû penser que ces joueurs d’échecs, les Iraniens qui ont inventé ce jeu et les Russes(**) qui n’ont jamais été détrônés du titre de champion du monde de ce jeu millénaire, sont plus fiables que ses amis de l’OTAN qui ne sont certainement pas étrangers au putsch qui a failli mettre fin à son pouvoir.

Qu’en est-il du pays du Cham d’où se sont propagées les flammes qui dévorent actuellement ce pays ? Ce pays petit par sa géographie mais immense par son histoire est le seul dans la région qui n’a pas voulu cautionner par un traité de paix, une ignoble injustice historique contre un peuple que l’on condamne à se ‘’perpétuer’’ dans l’errance. Le pays du Cham en dépit de cette noble attitude était, est néanmoins dirigé par un régime que ne portaient dans leurs cœurs beaucoup de Syriens. Le pays resta sous la direction d’une dictature de père en fils durant 40 ans. Cette longitivité, le régime outre sa police politique, il la doit à un héritage de l’histoire. Il est en effet un petit fils de la Nahda (renaissance culturelle) qui fit franchir une étape à l’histoire à la région en consacrant l’idée de la nation qui cimente une société plurielle mieux que la notion de la Oumma (communauté) qui privilégie l’appartenance à une religion dominante. La guerre d’aujourd’hui va mettre sur la table les problèmes enfouis par la dictature mais aussi par les fidèles d’une conception figée du monde, une conception qui se proclame l’unique détentrice de la vérité. A l’évidence la guerre en Syrie va ouvrir une nouvelle ère car il est inimaginable qu’une telle tragédie maintienne le statuquo d’avant guerre. Toute société subissant pareils dégâts ne peut que réfléchir sur les causes qui ont engendré sa descente aux enfers. Si la dictature dans le pays du Cham a résisté aux féodaux intégristes, ses attaches avec le mouvement national anticolonial ne la protègent pas pour autant contre les aspirations démocratiques du peuple. Même en sortant vainqueur sur le plan militaire, le régime actuel va devoir se dévêtir de ses habits de dictateur. Hier, le père de l’actuel président syrien a pu mater à Hama les frères musulmans. Aujourd’hui c’est une autre société qui va surgir du chaos de la tragédie actuelle. Car les batailles d’aujourd’hui du Golfe arabo-persique jusqu’à l’Atlantique opposent des forces qui veulent perpétuer un passé (fait de dictatures-nationalistes ou de dictatures "monarchistos" féodales) et celles qui veulent construire leur avenir en s’appuyant sur d’autres paramètres, ceux notamment de l’intelligence du binôme histoire/présent...

Ce voyage dans les méandres des politiques des pays impliqués dans la guerre actuelle fait ressortir quelques leçons. Il suggère que le monde arabe est en train de solder son histoire coloniale mais souffre encore des séquelles d’un féodalisme conforté par une lecture médiocre de la religion. Ce monde vit donc une étape dont la finalité est de régler les problèmes idéologiques et politiques restaient en suspens. Solder la période coloniale signifie simplement faire émerger dans le récit de leur histoire les forces politiques qui n’ont jamais pactisé avec le colonialisme et qui sont à l’origine de sa défaite. Ces forces sont issues du mouvement national dans toutes ses diversités idéologiques… Irak, Syrie, Liban, Egypte, Tunisie, Algérie, Maroc. Régler les problèmes en suspens qui sautent encore aux yeux et qui sont à l’origine des déchirures actuelles, c’est construire une autre société laquelle devra statuer sur la séparation de l’Etat (souveraineté du peuple) et de la religion (qui n’appartient à personne). En un mot comme en mille fonder et définir la souveraineté populaire comme unique source de la légitimité politique. Quant à ceux qui veulent attendre le messie, qu’il ne perde pas leur temps. Becket l’auteur de la pièce de théâtre "en attendant Godot" a indiqué que les hommes sur notre bonne vieille terre ont suffisamment de problèmes pour occuper leurs journées. Quant aux nuits elles sont faites pour les distraire de leur ennui.

Ali Akika, cinéaste

Renvois

(*) La chaine d’Arte a diffusé début octobre un documentaire sur le bilan de Barack Obama. Les agents de la CIA ont expliqué dans ce film qu’ils ont simplement téléphoné à leur homologue Egyptiens pour qu’ils poussent Moubarek vers la sortie. En Libye et en Syrie, ce scénario n’était pas possible. Pour ceux qui connaissent la nature des liens des régimes arabes avec l’Occident, ces révélations de la CIA ne sont pas des scoops. Il suffisait de décrypter les déclarations publiques des responsable américains pour comprendre la différence de traitement de l’Egypte par rapport à la Syrie /Libye (voir mon article dans le soir d’Algérie du 14 aout 2012)

(**) La Turquie et la Russie viennent de conclure un accord sur un gazoduc qui livrera le gaz russe à l’Europe pour éviter l’Ukraine. Il faut savoir que la Turquie devait recevoir le gazoduc du Qatar et d’Arabie qui tomba à l’eau devant le refus de la Syrie de le faire traverser sur son territoire… ce fut le début de l’implication de ces deux pays dans la guerre actuelle pour faire payer le régime syrien… Ah le pétrole et le gaz qui porte en lui la guerre comme la buée porte l’orage. (Jaurès paraphrasé)

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