Si Mohand Ou Mhand, l’amour voyageur : La terre et la femme (I)

Tedeschi Marguerite "Femmes de Aït Hachem", Kabylie 1913, Huile sur toile 80 x 100 cms
Tedeschi Marguerite "Femmes de Aït Hachem", Kabylie 1913, Huile sur toile 80 x 100 cms

La terre et la femme sont dans une dialectique fondatrice de la pensée et du dire clairvoyant de Si Mohand constituant toutes les deux la nourriture permanente de sa sensibilité.

Marcher pieds nus pour sentir la poussière, prolonger le contact et l’illusion de la réappropriation de la terre des ancêtres, le sentiment de lutter contre la dépossession, retissait dans le cœur du poète le lien avec les entrailles de notre mère la terre. Akal, la terre, notre provenance et notre dernière destination, était indissociable des ancêtres - Akal N lejdud- la terre des ancêtres ! -Pas d’ancestralité et de continuité culturelle et identitaire sans le lien à la terre - Et dans l’imaginaire kabyle habitant l’âme de Mohand, l’ancêtre mythique était une femme, Yemma-s n ddunit, la première mère du monde, notre première génitrice, celle qui fonda la société berbère matriarcale et matrilinéaire !

Si Mohand parlait à la terre comme on parlerait à un humain et la conjurait de garder intacte le visage de la bien-aimée. Son haut degré de respect de la terre qu’il déifiait comme le faisaient les ancêtres dans leur cosmogonie ancienne et de la femme qu’il vénérait et sans laquelle la vie ne valait surement pas d’être vécue, est illustré par ce poème associant la femme et la terre dans le rapport de Lanaya, un concept bien kabyle qui fantasme le refuge protecteur de la beauté éternelle.

Morte est mon aimée sans que nous nous soyons revus

La mort l’a choisie

Dieu aime nous contrarier

Terre, n’altère pas sa beauté

la fille aux yeux de faucon

Anges pardonnez lui ses écarts

Elle ne méprisait pas le fils de Bohème

la fille au grand cœur

n’ira jamais en enfer.

Temmut taɛzizt ur nemẓiṛ

Lmut att textiṛ

Rebbi iteddu di nneqwma

Ay akal ur ttettɣeyiṛ

M laɛyun n ṭṭiṛ

Taɛfumt as a lmuluka

D aẓawali ur teḥqiṛ

D yeli s n lxiṛ

Meḥṛumet si ǧahenama

Dans de nombreux autres poèmes, il réclamait carrément la liberté pour la femme notamment du choix de son époux. En appelant à l’ancêtre symbolique, donc à la conscience locale, il demande expressément que l’on laissât la femme choisir son amoureux.

Moi je n’ai que les mots

toi prends la décision

la fille épousera celui qu’elle aime

Nekwni nheddar d awalen

Keč č gzem-d imraren

Taqcict attaɣ win tebɣa

Réduire le sexisme ordinaire

Si Mohand célèbre la femme dans des centaines de poèmes. Dans certains il dénonce la piteuse condition d’exploitée dans laquelle elle était maintenue par des reflexes d’un autre temps. Comme ces deux femmes qui reviennent

De cette contrée impitoyable

Où elles étaient prisonnières sans délit

Ɣef snat a d iṛṛuḥen

I tmurt i waɛṛen

Tt imeḥbas mebla ssiya

Si Mohand jouait au médiateur et remplissait le rôle dévolu à l’agora, Tajmaat, interdite par l’administration française. Il réglait par sa poésie magique, par sa connaissance des ressorts profonds de sa société, son érudition, des conflits sourds qui minaient l’entente et la vie villageoise solidaire

De passage dans un village de haute montagne, il fut invité à donner son avis sur un conflit qui minait l’entente des hommes et des femmes de la cité ! Une jeune femme venait de donner naissance à un garçon, l’héritier tant attendu ! Durant ses neuf mois de grossesse, elle força la main au père pour promettre au mausolée du village un bélier aux cornes de sept empans, soit des cornes géantes d’un mètre et demi de longueur ! Une fois le garçon né, les villageois avaient attendu les sept jours imposés par la tradition puis réclamèrent le bélier aux cornes monstrueuses ! La viande importait peu, mais les cornes, on en ferait une vingtaine de blagues à tabac ! Et puis mettre le mari dans l’embarras c’était tellement excitant ! Le mari devait relever le défi ou répudier sa femme qui venait de lui donner son unique héritier. Et puis d’où sortirait-il un tel bélier ? Le pauvre homme pris entre deux feux avait fait tous les marchés en vain ! Il se rendit à l’évidence en se pliant aux caprices ruineux des villageois ! Chacun y allait de sa revendication. Si Mohand fut donc sollicité pour sauver le couple menacé de désunion et l’entente villageoise qui allait imploser tant les avis étaient contraires et exorbitants d’incurie ! Il déclama un poème qui calma les ardeurs et ramena la sérénité, en proposant une solution brillante et accessible.

Dieu, nous sommes tes enfants

On évoque ta miséricorde

Cette femme est sur le point d’être répudiée

Le mari comme possédé

par un mauvais esprit

A lancé un défi insurmontable

Prend ton bébé dans tes bras

Mesure avec sa main

Je prends sur moi l’offense du ciel

Allah nekwni d arraw ik

Nendeh s isem ik

Taqcict ɣef tizi inebran

Aqcic ikcem it uɛfrit

Llah inaɛl it

Yeger ed limin d amuqṛan

Eṭṭef mmi m s lekmal is

Qis as s ufus is

Ma yela ddnub a t nemɛawan

Le poète proposa donc que la mesure des cornes se fasse avec la main du nouveau-né ! L’idée géniale ramena la concorde dans le village et la mesure des cornes à la normale. Le mari offrit donc un bélier cornu au mausolée et les villageois se réconcilièrent autour du couscous convivial.

Vivant à la campagne près d’Alger, travaillant comme ouvrier agricole ; il était amoureux d’une femme qui avait de nombreux enfants ! Il entretenait la famille de son mieux en fulminant. Il n’arrivait plus à joindre les deux bouts malgré une multiple activité mais son attachement était plus fort.

Je n’arrive plus à nourrir ses gosses

Par boisseaux, par paniers

Achète encore et encore

Prend tes escarpins

Comme tes frères

A Alger il y a du boulot

Si tu n’en trouves pas

Va vite

Les rejoindre à Blida

Tenɣa ddrya n medden

Tiǧǧaw d immuden

Mi g fuk rnu d a xuya

Tenna yi ddem arkasen

Ttbaɛ atmaten

G lezzayer tela lxedma

M’ur tufiḍ ara dayen

Aɛjel iḍaren

Atten Leblida tella

Amoureux d’une belle sétifienne Si Mohand travaillait pour elle. Il se plaint mais s’en presse de la rejoindre en amoureux transi

Me voilà comme le buisson de la berge

qui s’agrippe péniblement

je brûle au su et au vu de Dieu

Je travaille en plein été

Bronzé comme un nègre

Au zénith les jours de canicule

Fatima reine de Sétif

Au pouvoir indiscutable

Cette nuit je rejoins ta couche

Aqlay am ṭṭejṛa bbwasif

Issegmen s lḥif

ḥeṛqaɣ Ṛebbi d lɛalem

Cbiɣ axeddam n ṣṣif

Sewdaɣ am llewṣif

Ger unebdu d smayem

Fatima leḥkum n Sṭif

Iḥekmen feli bessif

Iḍ agi lembat ɣuṛem

(A suivre)

Rachid Oulebsir

Lire la suite : Si Mohand Ou Mhand, l’amour voyageur : ouvrir la cité à la poésie interdite (II)

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Commentaires (10) | Réagir ?

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fateh yagoubi

merci bien

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Service comptabilité

merci bien

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