De la difficulté à comprendre le malaise algérien

Les hommes du pouvoir feignent d'ignorer les raisons de la panne structurelle du pays
Les hommes du pouvoir feignent d'ignorer les raisons de la panne structurelle du pays

Le plus dramatique dans notre situation en Algérie est que certains de nos officiels feignent encore d'ignorer pourquoi le pays n'avance pas!

Ils s'entêtent aussi à ignorer pourquoi cette Algérie que nous rêvons tous, prospère et développée, est aujourd'hui vraiment épuisée, découragée, fataliste et, si l'on ose forcer un peu le propos, au bord de la déprime. Bref, ils ferment les yeux à dessein sur la triste réalité dont souffrent au quotidien leurs compatriotes et, le moment venu, ils se mettent à s'en plaindre à leur tour (le cas des ministres du tourisme et du commerce), prenant, comme si de rien n'était, la presse et l'opinion publique à témoin des graves dérives auxquelles ils font face en plein cœur de leurs secteurs respectifs, terrible! Il va de soi, que ce syndrome de régression aux contours indéfinis, lequel frappe d'ailleurs tout le système (pouvoir, opposition, patronat, syndicats, société, etc.,) est révélateur de la gravité de cette crise morale, la nôtre bien entendu, à laquelle nous devrions tous apporter en urgence des solutions concrètes.

A l'origine, on se rend compte que l'esprit de solidarité, la volonté, la pugnacité et l'énergie ayant animé la vieille-garde nationaliste se sont effilochés, sinon morts. Non pas parce que nos jeunes manquent du culot pour puiser dans le réservoir de la nation le carburant idéel, la force et l’engagement nécessaires pour faire bouger les choses mais que ces derniers sont, semble-t-il, très déçus et gagnés en profondeur par le désespoir diffusé par une société démissionnaire qui ne motive pas. Ainsi commence pour nous l'insolvable dilemme de la relève. Qui va remplacer l'ancienne élite aux affaires ? Qui va gérer l'Algérie de demain ? Comment donner la chance à la nation d'aller de l'avant si notre jeunesse, de nos jours mal-formée, démobilisée et en perte de repères, n'est pas encore prête ni intellectuellement ni matériellement, encore moins psychologiquement à en prendre le pari? Comment raviver la flamme et la verve de cette "lost generation" pour une nouvelle épopée d'édification nationale?

En réalité, il y a un éventail infiniment varié d'indices (corruption des élites, bureaucratie, freins à l'investissement extérieur, lenteur des réformes promises par le président Bouteflika, etc) qui montrent que nous sommes loin de ces défis-là. Et puis, cette question de la relève, but réel ou illusoire soit-il, est un atout de taille pour tenter d’échapper à l'impasse qui nous guette au tournant alors qu'elle est malheureusement fort négligée à l'heure présente. Face à des rentiers calculateurs, lovés dans une bulle de privilèges, parfois serviles jusqu'à l’obséquiosité aux cercles affairistes de l'argent "Compradore", autistes et sans horloge d'époque, il ne sert pratiquement à rien de se lancer dans des rêves utopiques avec des grands épanchements d'enthousiasme mais de prendre vite les devants pour changer. Car, si tout le monde se doute du travail que ce devrait d'être de construire une société et des nombreux écueils que quelques responsables véreux et malintentionnés à différents échelons de la hiérarchie administrative ou institutionnelle peuvent dresser sur leur route, nombreux sont ceux qui ne réagissent pas du tout, en se barricadant, soit derrière leur incompréhension des enjeux de notre époque (l'exigence de la souplesse de l'Etat, la démocratie, la diversité, les droits de l'homme, etc), soit derrière leur peur du changement ou en raison des différents intérêts matériels, corporatistes, politiques, etc., que leur garantit le statu quo. Or, quoi de pire que de ne pas agir ni rien comprendre à la marche du temps ni moins encore aux motivations de ceux qui aspirent à autre chose que cet immobilisme qui stérilise l'innovation, le génie et les énergies créatrices du peuple. Il est vrai en effet que, quand on ne comprend pas nos réalités sociales, on aura souvent tendance à les interpréter faussement à notre guise. Ce qui finit à terme par nous épuiser nous-mêmes et, aussi, repousser de notre projet tous ceux qui nous entourent. Ce même phénomène s'est répété d'ailleurs plusieurs fois en Algérie.

Dans les années 1960-1970 par exemple, l'idée triomphaliste du "tiers-mondisme", lequel est perçu comme porteur d'un idéal économique, social, mondial et alternatif à même d'assurer aux "nations prolétaires" (le terme est du franco-égyptien Pierre Moussa) une rémunération équitable et conséquente de leurs produits bruts, en particulier les hydrocarbures, aurait achoppé parce que, d'abord, mal-comprise, mal analysée et mal-interprétée par les uns et les autres des acteurs internationaux concernés et, puis ensuite, au niveau local. L'Etat-Providence qu'il aurait mis comme priorité au progrès social n'aurait accouché, hélas, que de paralysies structurelles partielles de la machine économique. Les pannes sont partout présentes, dans la planification des projets comme dans la gestion de la chaîne de production, la main-d’œuvre, la compétence des cadres, la ponctualité du personnel, la discipline, etc., parce que l'idéologique aurait pris largement le pas sur le pragmatique, le sens de la productivité et de la rentabilité. On remarque ici que l’interprétation des notions du progrès, du socialisme, du pays "en voie de développement", de la justice sociale, la répartition des richesses, etc. chez l'Algérien (officiels et citoyens) était complètement erronée. Ainsi les réflexes d'assistanat ont-ils ruiné les rapports sociaux entre les masses et l'Etat au nom même de ces idées-phares du «progressisme» et «socialisme»! Or, il est bien évident que, même dans cette époque-là, ce fut l'économique qui décidait de l'orientation générale du mouvement de la société et non pas l'inverse, c'est-à-dire, le politique. Inexorablement, nos problèmes jusque-là circonscrits au volet épineux de la guérison des séquelles mémorielles dues à la colonisation, ont passé à un stade plus complexe, celui de la justification de la "sujétion" du citoyen. Or, qu'appelle-t-on un citoyen, celui qui est sorti vainqueur d'une histoire tumultueuse et traumatisante sans être en mesure de réaliser son autonomie économique ou celui qui garantit cette autonomie-là, tout en conservant l'héritage de la mémoire comme un legs inestimable ? On penche plutôt pour la seconde hypothèse sans doute. Certes, le régime, même populiste à haut décibel, n'a pas eu l'heur de mécontenter toutes ces masses qui regardent, ambitieuses, vers le progrès social mais n'en restait pas moins sur la mauvaise piste. Car, le résultat est qu'aujourd'hui les vraies valeurs du patriotisme sont emportées dans les arcanes de l'oubli. Et, curieusement, cette terre algérienne, jadis traversée par des énergies vibrantes, est maintenant lasse et n'arrive pas à s'affranchir des fers et des vieux démons tribalistes qui empêchent sa démocratisation, son ouverture et son évolution .

Bref, inutile de s'attendre à ce que les choses changent d'elles-mêmes sans une prise de conscience réelle de ce que nous étions dans le passé, de ce que nous sommes devenus de nos jours et de ce que nous voulons être dans l'avenir "se lamenter du mauvais temps, dit M. Dagras, n'a jamais eu d'effets sur la météo! Mieux vaut faire le gros dos, se protéger et utiliser ses énergies à tenir le coup sous les bourrasques". En tous cas, une chose étant sûre, cette ignorance active et quasi obsessionnelle de nos réalités nous jette encore dessus de la honte et de l'opprobre. Noircir le trait de nos défaites, en voguant à pleines voiles dans cette culture d'indifférence, d'enfermement sur soi et du déni, et en cultivant un désespoir militant est mortel "hélas! Ne mourrez pas Monsieur! Suivez plutôt mon conseil et vivez encore longtemps parce que la plus grande folie que puisse faire un homme c'est de se laisser mourir tout bêtement sans que personne ne le tue, et que ce soient les mains de la mélancolie qui l'achèvent", crie, euphorique, Sancho Panza à la fin de Don Quichotte. Se prémunir de telles calamités et dépoussiérer nos cerveaux de leurs miasmes étant primordial à l'heure où certains des nôtres se refusent, contre vents et marées, à laisser leur place aux autres, campant sur leurs positions jusqu'à la fin.

Toujours est-il clair, somme toute, que l'entêtement est l'une de nos grandes malédictions après le pétrole et le retard ! Et dès que l'on nous taquine sur ça, on sort l'artillerie de nos galimatias agressifs, méchants, odieux, risibles pour nous défendre dans l'absurdité la plus totale. Je me suis toujours demandé, en fait, pourquoi les Algériens sont presque tous impulsifs, impatients... nerveux. Il y a quelques années un chroniqueur du terroir aurait même parlé de ce tic du "klaxonner", assez fréquent chez nos automobilistes. Lesquels en abusent dans les encombrements et même dans les journées de circulation les plus fluides, juste pour justifier leur présence, se plastronner des fois et se montrer "mas-tu vu, me voilà". Purée! Tout cela cache un objectif inconscient : chasser une angoisse persistante qui monte jusqu'au cou. Celle-ci n'est que la somme de tous les blocages mentaux, sociaux, politiques, etc., qui nous tracassent tous. Demander un simple document dans une administration pose problème, étudier en pose un autre, rester sans rien faire est pire et ainsi de suite. De la négligence du petit fonctionnaire dans le guichet d'une administration publique à l'indécence verbale d'un élu communal, en passant par tous les autres abus d'autorité que subissent nos masses, on ne fait qu’affûter les armes ainsi que les outils pour la soumission définitive des citoyens.

Kamal Guerroua

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Commentaires (1) | Réagir ?

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ryan gormaz

Quelques erreurs de frappe je CORRIGE merci.

Je ferais plus simple concernant le "malaise algérien" ou plutôt le malaise du clan Bouteflikiste s'accrochant éperdument au pouvoir....

Très très rapidement ils vont s'entre-déchirer entre eux, car ce clan n'est pas homogène, assez hétéroclite et composer de sous clans dont deux appartiennent au président.

Les autres sous clans se sentent menacés et se menacent mutuellement, quel lourd arbitrage pour un chef malade et bloqué par ses propres choix.

Ce malaise et plus simple se résume en une angoisse lancinante et une peur panique de chute, de chasse poursuite entre eux d'abord et ailleurs par d'autres, car le porte monnaie Algérie est troué et presque vide, et les "chenapans ministres, militaires, policiers, walis et ambassadeurs" ne peuvent absolument pas stopper leurs tétées aux mamelles d’Algérie.

Nourrir 40 Millions d'individus sans agriculture, assurez le salaire gonflé de millions de fonctionnaires, et assurer les taches basiques de l'état, ne peut aller de pair avec les baronnets devenus loups que bouteflika a crée par ses décrets nominatifs à tour de bras.

Malaise ou veillée d'armes pour que bientôt les "couteaux soient tirés", quelle malédiction plutôt que simple malaise,, ce même malaise devenu aigu à nos frontières aussi, pire un malaise de discrédit total du pouvoir actuel à l'échelle internationale.

Les résultats de la dernière informalité de l'Opep à Alger et l'absence de crédibilité de l’hôte plongera ce Malaise dans un brouillard plus épais encore Alger.

Gare à l'absence de visibilité, tout peut arriver.

Mon Dieu j'aurais une trouille bleue si je faisais de l'empathie à la place d'un ministre Algérien, alors Malaise ou syndrome névrotique du pouvoir d'Alger