Pourquoi la joie de vivre a déserté nos rues….

Les rues algériennes n'invitent pas à la sortie.
Les rues algériennes n'invitent pas à la sortie.

Chaque jour la presse et les réseaux sociaux nous dressent le bilan des bizarreries de notre quotidien.

Les "artistes" de ces bizarrerie rivalisent d’imagination pour "charger" leur tableau de chasse. Ce genre "d’artistes" se soucie plus de pourrir la vie des gens que de participer à créer la joie de vivre. Pays avec une jeunesse débordant d’énergie qui ne demande qu’à vivre en s’amusant. Ces jeunes le prouvent en envahissant les plages. Mais l’époque a accouché d’une catégorie de dinosaures qui ne semblent pas apprécier cette joie de vivre. Ainsi, il est des gens qui se désignent comme ''police des mœurs'' pour faire régner le silence des tombes. La presse a rapporté que des énergumènes ont tenté d’imposer leur bigoterie à des estivants qui prenaient le bateau Alger/Jijel pour aller jouir de la vie sur les plages de la corniche jijelienne. Ils se sont autoproclamés maîtres du bateau à la place du capitaine. Ils voulaient ni plus ni moins imposer aux voyageurs le trajet sans musique. Leur tentative de "coup d’Etat" a lamentablement échoué. Le capitaine du bateau devait avoir de l’expérience puisqu’il a fait baisser le caquet à ces énergumènes en leur expliquant que "les hommes ont toute la vie pour s’amuser" comme le chante Moustaki (*) et que les mêmes "hommes ont toute la mort pour se reposer" pour reprendre le titre d’un film Med Hondo sur le Sahara occidental. Ces "policiers des mœurs" sous l’escorte de vrais policiers ont été débarqués se sont retrouvés sur le quai à réfléchir sur leur stupidité...

Je ne suis pas du genre à ressasser le "Zaman ya zaman" qui est la marque déposée de beaucoup d’Algériens nostalgiques du passé. Mais aujourd’hui, devant le fait divers significatif du bateau Alger/Jijel qui s’ajoute au spectacle des rues et des trottoirs colonisés par des vendeurs de tous poils, mon esprit m’a démangé et me suis mis à cogiter pour savoir plus sur la face cachée de ces bizarreries. Pour me calmer, je me suis mis à creuser les notions du rapport du monde, du rapport au temps qui révèlent des choses sur les sociétés. Les grains de sable dans les rouages de ces notions non maîtrisées sont à la source de pas mal de malentendus. Cerner ces notions n’est pas chose aisée car elles ne se laissent pas facilement domestiquer… Je me lance en m’appuyant sur l’observation de l’agitation de nos villes.

Dans nos rues, tout le monde est stressé et nerveux... Heureusement il y a ceux qui tournent le dos aux délires de cette agitation. Le spectacle des zazous au volant de leur voiture qui se pensent en maîtres du monde, les met en colère. Un sage de mon quartier, voyant mon état d’énervement contre ces fous du volant me dit : "ils ont beau s’agiter, le bolide qu’est le temps roulera toujours plus vite que leur carcasse de voiture’’. Les comportements de bigoterie ou bien de l’agitation des "m’as-tu vu" coûtent très cher au pays… Palme d’or des morts sur les routes, plages transformées en dépôt d’ordures, des fils à papa arrogants naviguant avec leurs jets ski au milieu de la foule des nageurs. Et pendant ce temps, d’autres jeunes font grandir l’armée des chômeurs et s’obligent à se transformer en voyous pour gagner leur vie en rackettant des gens dans des parkings sauvages. A défaut de gérer une vraie économie, on laisse faire pour ne pas avoir à réprimer des émeutes de rues. Ce sombre tableau d’une société qui semble voguer dans la mer sans gouvernail ni capitaine est le fruit amer de notre Histoire encombrée d’une faune aux ambitions démesurées et néanmoins incompétente. Si au moins ces ambitieux étaient des capitaines d’industrie qui stimulent la création de richesses. Pas le moins du monde, pire, certains d’entre eux propagent l’ignorance pour faire leur bizness à l’ombre de l’impunité… L’honnêteté intellectuelle oblige à ne pas oublier des pages du livre de l’histoire du monde. On y apprend l’universel exode rural qui pousse les paysans du monde à encercler les villes de bidonvilles, fuyant la misère et la solitude des campagnes pour aller faire l’expérience des illusions créées par les lumières de la ville… Et l’Algérie n’échappe pas à ces phénomènes…

Pour revenir au sujet de l’article, il n’est pas inutile de s’arrêter sur nos spécificités ‘’nationales’’ pour cerner les raisons de la désertion de la joie de vivre de nos rues. Et là, on découvre notre bizarre rapport au monde, à l’autre, à l’environnement géographique et humain. Exemple au hasard ! Pourquoi l’intérieur de nos maisons est nickel, la propreté frisant parfois l’obsession. Mais dès que l’on met les pieds dehors, dans la rue ou sur une plage, on se voit obliger de jouer à saute mouton pour éviter des tas de détritus et autres mares d’eaux nauséabondes. Cette dichotomie entre la sphère familiale et l’environnement public expliquent des comportements symbolisés par la formule ‘’Akhti Rassi’’. Ailleurs on appelle ce comportement ‘’après-moi le déluge’’, attitude égocentrique et infantile. La vie en société en principe engendre une dynamique qui se nourrit du carburant des contradictions au sein de ladite société. Cette dynamique crée un tissu social au sein duquel mijote une conscience sociale, si utile dans la vie d’un peuple. Nous, on donne l’impression de ruminer le bon vieux temps (le zaman) que l’on rend coupable de ne pas avoir perpétué nos repères d’antan. On oublie simplement que le temps est insaisissable car il ne finit jamais de s’écouler. C’est donc à la société de s’adapter et de maîtriser son écoulement. Cette dynamique charrie des nouveautés matérielles et des manières de penser. Force est de constater que les sociétés qui restent prisonnières de leurs archaïsmes culturels ou d’une morale bigote face aux nouveautés d’une époque, voient leur tissu social voler en éclats. Même le puissant Japon coincé entre les murailles des traditions de ses samouraïs et sa haute technologie sans pareille résiste péniblement et commence à connaître des fissures qui hypothèquent déjà son avenir (baisse vertigineuse de la natalité et refus d’admettre une immigration de travailleurs, entre autres).

Chez nous, pourquoi avons-nous un ‘’original’’ rapport au monde et au temps ? Sommes-nous victime d’une ‘’maladie’’ non encore diagnostiquée ? Pas le moins du monde. Cette notion du rapport au temps est complexe. Ce rapport diffère d’une culture à l’autre. Les agités, ceux qui veulent domestiquer le temps sont souvent des narcissiques et sont généralement habités par l’angoisse de la mort. Et puis il y a ceux qui restent immobiles de peur d’être engloutis comme si notre terre était une immensité de sables mouvants. Grosso modo une culture qui se laisse dévorer par des archaïsmes fait dévoyer son rapport au temps. On voit le résultat de ces archaïsmes pendant le ramdhane avec les gaspillages la nuit et les cortèges de bagarres et d’insultes la journée. Cette obligation religieuse n’a jamais signifié de défier ou ignorer la réalité de la vie. Que voyons-nous ? Outre la baisse de la production des richesses et de la productivité du travail qui en temps ‘’normal’’ n’est pas brillante, les accidents et autres bagarres créent une atmosphère lourde loin d’une ambiance sereine qui sied à une fête religieuse. Le temps est une denrée rare au 21e siècle sous les contraintes d’une mondialisation sauvage. Il devient un casse-tête avec le paramètre du Ramadhane non maîtrisé. La prochaine génération paiera cher la facture héritée du dilettantisme des comportements durant le mois de ramedhane. La présente génération est en train de payer la non utilisation rationnelle de la rente pétrolière qui devait servir d’accumulation primitive du capital pour construire une véritable économie. Apparemment cette notion d’accumulation du capital chère à tous les économistes du monde entier ne fait pas partie du lexique de nos gouvernants. En revanche importer tout en payant avec l’or noir rappelle la descente aux enfers de l’Espagne qui volé l’or des indiens de l’Amérique latine et s’est contentée pendant des siècles de tout acheter à l’étranger. On connaît la suite une fois l’Amérique du Sud devenue indépendante et les mines d’or exploitées pour d’autres intérêts.

La réponse à la question du titre de l’article est toute simple. Nos rues sont déviées de leur fonction, de leur raison d’être. Les rues des villes sont en principe des sortes d’Agora où s’échangent en permanence toute sorte de biens matériels ou immatériels. C’est dans les artères de la ville que le peuple clame sa joie pendant les fêtes ou manifeste sa colère pou faire entendre sa voix. Les rues portent en elle l’histoire du pays, l’esthétique de ses arts et de son architecture, accueillent la vitalité de la jeunesse et la qualité des activités culturelles et commerciales… Les artères d’une ville sont à l’image des artères où coule le sang du corps de l’être humain. Elles ne doivent jamais être entravées. Elles ont besoin de cette joie de vivre qui ressemble à l’oxygène nécessaire au sang de notre corps. Le moindre déficit d’oxygène est c’est l’embolie et l’arrêt du cœur. Ce n’est pas en interdisant aux artistes de s’exprimer dans les rues que l’on va favoriser cette joie de vivre. Ce n’est pas pour rien que la ville dans toutes les langues est synonyme de civilisation au sens de sédentarisation de l’homme. Celle-ci a marqué la rupture de l’homme avec le monde animal qui lui est toujours voué à l’éternel nomadisme pour chercher sa pitance. La bataille pour inventer et se familiariser avec un nouveau rapport au monde et au temps n’est pas perdue. Un signe encourageant a été envoyé par le capitaine du bateau Alger/Jijel et par la police qui a rappelé aux adorateurs du silence des tombes que nous sommes sur terre pour vivre et laisser cette terre dans ses merveilles pour ceux qui viennent au monde. Et le chant du métèque et poète Georges Moustaki, "nous avons toute la vie pour nous amuser", sera toujours d’actualité car les poètes se marient avec le temps. C’est pourquoi ils sont éternels.

Ali Akika cinéaste

(*) Moustaki, Grec né à Alexandrie a été un ami de Edith Piaf (Giovanna Gassion) métèque comme lui puisque la môme avait une grand-mère d’origine algérienne. Est-ce un indice qui explique sa présence à la projection des films algériens au festival de Bastia en 1996.

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Commentaires (9) | Réagir ?

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Atala Atlale

Je vous comprends Mr Hend U. I. Nous aimons tellement notre pays qu'on en perd parfois notre self contrôle. Ne m'en tenez pas rigueur. Mais il faut comprendre, les belles choses s'en sont allées, nos valeurs, nos repères, nos rivages sont pollués, nos plages affreusement sales, nos campagnes défigurées par les bidons-villes et le plastique, on coupe les arbres centenaires pour les beaux yeux des parvenus. Nos routes défoncées, nos trottoirs remplacés selon les quartiers, les caniveaux mal entretenus, beaucoup parmi les autorités locales sont occupées à faire des affaires, il est loin où le maire faisait lui même sa ronde dans sa commune pour inspecter et noter tout ce qui peut gêner ou déplaire au citoyen, au citoyen par aux parvenus de Sidi yahia ou Hydra. Alors permettez au moins à quelques uns encore accrochés à la mythique Alger la blanche, à ses chanteurs inoubliables que sont El hachemi Guerouabi, le cardinal (c'est comme ça qu'on l'appelle) El Hadj Mhamed El Anka et son éternel ''L'hmame'' et bien sûr la chanson Dzayère ya l'Assima de Meskoud.

C'est vrai, j'avoue que si la nostalgie nous étreint un peu, elle nous permet de nous évader face à ce grand gâchis qui touche la génération passée, celle du présent et malheureusement celles à venir. Soyons indulgents quand même.

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khelaf hellal

C'est la "névrose de l'indigènat" qui fait que que les gens ne sont pas réellement libres et indépendants, ils ne sont pas réellement décolonisés.

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