L'Amendement Adonis

Une conclusion récoltée au salon international du livre à Alger. «L'Algérie n'a pas pu supporter un poète libre même pendant deux heures». Pour les uns, c'est tout dire, pour les autres, on n'a même pas encore dit l'essentiel de ce qui va suivre. L'histoire retiendra pourtant l'essentiel: l'amendement Adonis, l'immense poète syrien qui fait deux fois la surface du monde arabe actuellement, a coïncidé, presque, avec l'amendement de la constitution. Un texte peut donner donc l'éternité à un Président arabe. Un Poème peut donner donc la mort à un homme arabe. Adonis est parti, Bouteflika est resté, Zaouï est mort décapité même si sa tête continue à discuter, posée loin du reste de son corps devenu immobile. Dans le langage des fleurs, cela veut dire que l'espace se rétrécit entre le Palais et la Mosquée, avec un pont qui enjambe le peuple des avis différents. Cela veut dire que l'Algérie se referme de plus en plus. Cela veut dire que l'on va habiter longtemps cette terre en creusant le va-et-vient entre le vote et l'ablution. Et s'il faut en parler aujourd'hui, c'est parce que cet épisode risque déjà d'être clos et oublié sans procès, ni durable indignation collective. Adonis est venu et on y a cru et pour un moment, il a parlé. Le problème c'est qu'il l'a fait au moment même où les gens qui prétendent parler au nom de l'éternité et les gens qui veulent la décrocher, consommaient leur noce concoctée depuis longtemps. A la fin Adonis a dit puis il est parti.

Le directeur de la Bibliothèque nationale n'a rien dit mais il est parti. Les deux autres, sont restés, et nous au-dessous d'eux comme un peuple enregistré sur une bande vidéo sans son.

C'est dire que malgré ce que l'on dit, un Poète peut rester au travers des gorges et pas seulement sur la langue. On ne pouvait pas l'admettre lui, ce qui se passe à Biskra, ce qui va se passer pendant neuf mois, dans un seul pays de plus de deux millions de km². Le cosmos est grand, les espaces peuvent être petits. C'est un épisode dont on doit parler aussi souvent que possible pour se rappeler que l'histoire algérienne n'est pas seulement faite de martyrs, d'un drapeau, de quarante voleurs, de l'ENTV, de votre salaire et des dos-d'âne. Il existe un autre pays dans le pays et c'est justement celui-là qui devait le rendre habitable. Un pays symbolique, genre Shambala tibétain, où se fabrique votre air, les meilleures heures de votre coeur, où vous vous rendez lorsque vous riez sincèrement et qui donne de la couleur au reste du film en noir et blanc. C'est de ce pays que Adonis a été presque chassé, un écrivain pendu, des lecteurs dispersés et des cadenas placés au bout des meilleures rimes. Pour le reste donc, tout le monde a peur de ce qui va suivre. Vraiment. Pour ce pays et pour ses propres petites libertés.

Par Kamel Daoud - Le Quotidien d'Oran-

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Commentaires (6) | Réagir ?

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sidi mousa

d Aprés quelques journalistes presents au bureau de la ministre appelés pour assister à la rencontre d'Adonis, le troisième et dernier jour de son sejour a Alger, le poète Adonis avait refusé l'invitation du ministère de la culture il l'avait trouvée trés en retard ; ce qui a rendu khalida toumi enragée de colère.

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moussa

Kamel daoud nous a habitués à plus lucide; qui est assez naïf pour croire un seul instant que zaoui a invité adonis sans avoir sollicité et obtenu l'accord de ses chefs; il avoue lui-même avoir soumis le texte de la conférence au président, ce qui suppose qu'adonis a accepté de se plier à cette procédure; de grâce cessez de trouver des héros là où il ne peut pas y en avoir

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