Evocation d'El Hachemi Cherif par Ahmed Meliani

Un responsable imperturbable, un homme simple, désintéressé, sensible.
Un responsable imperturbable, un homme simple, désintéressé, sensible.

La première fois que j’avais connu El Hachemi Cherif c’était en 1977, si ma mémoire est bonne. Il était alors SG de la section syndicale de la Radio et Télévision Algérienne (RTA) et réalisateur. Nous organisions un stage d’animateurs de ciné-clubs à l’école des cadres de la jeunesse et des sports de Constantine.

I. Ma Rencontre avec Hachemi

J’ai croisé l’homme de culture puis le dirigeant politique

L’activité était organisée par la cinémathèque, le mouvement de la jeunesse et le mouvement étudiant. Rachid, Hamid, Kamel, Farida.., s’en souviennent certainement. On avait reçu dans le cadre de cette activité pas mal de cinéastes et de spécialistes du cinéma. Lamine Merbah, Bouabdallah, Ahmed Bedjaoui et El Hachemi Cherif.

Ce dernier était resté deux jours et nous avait présenté le film "Octobre" de Serguei Eisenstein. Il avait procédé à une analyse cinématographique du film et les techniques cinématographiques chères au réalisateur et devenues par la suite universelles comme la représentation du mouvement, la plongée ou la contre-plongée, le panoramique… J’ai insisté sur cette première rencontre avec El Hachemi parce que j’y avais connu l’homme de culture avant de rencontrer plus tard l’homme politique et l’homme tout court.

Je le revis un peu plus tard en 1981 dans une conférence sur la culture et les questions identitaires organisée par l’UNJA de Constantine à la salle Ibn Badis (ex- Université Populaire).

A partir de 1989 et la sortie du PAGS de la clandestinité, nos rencontres étaient devenues plus fréquentes, à la Conférence Nationale des cadres du PAGS, au congrès du PAGS et au camp de vacances organisé par la fédération du PAGS de Constantine ainsi que d’autres nombreuses occasions.

La période 1992/1996 a été une des plus denses à tous égards, en douleurs, en émotions et en expériences. Les expériences de décennies, voire de siècles, pour notre pays semblaient être cristallisées dans cette première moitié des années 90 du vingtième siècle et favorisaient grandement la réflexion théorique qui s’était traduite dans les nombreuses sorties de Hachemi Cherif : publications, interviews, conférences de presse, ses animations lors de ses tournées à l’intérieur du pays.

Un responsable imperturbable, un homme simple, désintéressé, sensible.

C’était aussi les années où j’avais pu connaître Hachemi Cherif sous des facettes de l’homme politique et de l’homme tout court jusque-là inconnues pour moi. La vie permanente au siège d’Ettahaddi-Tafat et les nombreuses tournées à l’intérieur du pays où je l’avais accompagné m’avaient permis de connaître mieux l’homme simple, désintéressé, toujours à l’écoute et capable d’empathie. L’homme que la presse avait qualifié d’imperturbable se révélait être d’une grande sensibilité. On riait beaucoup dans l’adversité et on blaguait souvent entre cette bande de rescapés de la mort ou de futurs rescapés. Comme on se battait souvent entre nous sur des concepts, sur des pistes de recherche théorique et les alternatives possibles à cette crise sans précédent qui touche dans son âme et dans son existence même notre pays comme nation, société et Etat.

La bête immonde, longtemps cultivée et alimentée par des discours irresponsables voire criminels, s’était réveillée et semait la mort. Elle traquait la vie sous toutes ses formes et menait une entreprise d’éradication contre ce peuple et ses élites.

Le terrorisme, bras armé de l’islamisme politique, semait la mort quand des forces à l’intérieur et à l’extérieur du pouvoir relayées par des officines et de lobbys à l’étranger qui se préparaient à la victoire du Front Islamique du Salut (FIS).

Des forces qui se réclamaient de la démocratie et de la modernité, voire même de la gauche s’évertuaient à trouver des justifications au terrorisme islamiste et prônaient une réconciliation devenue caduque entre des forces antagoniques et antinomiques, c’est-à-dire réconcilier l’irréconciliable.

Les cohabitationnistes, les réconciliateurs de tous bords défendaient au fait un statut quo et une reproduction pure et simple de l’hybridité d’un Etat porteuse de tous les dangers. Les islamistes eux refusaient toute réconciliation et jouaient sur tous les fronts de la rupture avec l’Etat nation et la République jusqu’à l’entrisme favorisé par l’attitude de forces dites démocratiques.

Au cœur d’une organisation de combat

C’est sur ce fond tragique qu’avaient vu le jour les principaux écrits de Hachemi Cherif, la littérature du Mouvement Ettahaddi-Tafat, les contributions de Abderrahmane, les réponses cinglantes de Salah Chwaki à Lhouari Addi, à Benjamin Stora et à Mouloud Hamrouche. En assassinant Salah Chwaki, le terrorisme islamiste avait montré une fois de plus qu’il n’était pas aveugle.

La perte de valeureux militants aux côtés des milliers de citoyens, ouvriers, paysans, journalistes, syndicalistes, penseurs, artistes, femmes, gynécologues, imams… ce qui faisait dire à Leila Aslaoui, dans son réquisitoire contre le terrorisme islamiste au "Tribunal contre le terrorisme" organisé RAFD en 1995 : "On t’assassine pour ce que tu es et non pour ce que tu fais".

Au siège de Ettahaddi-Tafat, précédemment siège du PAGS puis après siège du MDS, devenu symbole de lutte contre le terrorisme intégriste et la Qibla de tous ceux qui étaient menacés par le terrorisme et pas forcément militants du mouvement, se tissaient des liens indéfectibles de luttes et d’espoir.

J’avais passé des années dans ce siège avec d’autres copains et amis, parmi eux El Hachemi Cherif, Abderrahmane, Noureddine, Zazi, Hocine, Sellami et sa famille (sa femme et sa fille ainsi que ses deux frères) et ils sont nombreux.

La solidarité n’avait jamais manqué de la part de camarades et d’amis qui nous rendaient visite régulièrement bien qu’eux-mêmes menacés, certains allaient périr sous les balles assassines du terrorisme islamiste comme Rabah Guenzet ou Salah Chwaki, d’autres allaient tomber en martyrs les armes à la main comme Mohamed Sellami, alors que certains allaient échapper miraculeusement, parfois avec une balle au corps comme Zizou.

Une solidarité indéfectible de la part des copains de Tizi Ouzou, de bejaïa, de Constantine, d’Oran, de Blida, de Saïda, de Bechar, de Aïn Sefra… Bref de toutes les régions d’Algérie, une solidarité qui n’avait jamais démentie

Il me semble que Hachemi Cherif avait donné le meilleur de son âme et de sa pensée dans ces conditions éprouvantes.

Des écrits et une pensée de lutte

«C’est ici qu’est la rose, c’est ici qu’il faut danser» Karl Marx.

Ces conditions historiques expliquent en grande partie la genèse de son livre "Modernité, enjeux en jeu". La gestation du livre et sa genèse commencées après l’assassinat du Président Mohamed Boudiaf et du syndicaliste et militant du PAGS Abderrahmane Benlezhar allait puiser les ressorts dans d’autres événements douloureux. Hachemi Cherif lui même allait échapper à un attentat meurtrier avec sa famille et feu-Bouazza, l’assassinat de Tahar Djaout, l’assassinat de Abderrahmane Chergou et d’autres symboles de l’Algérie qui se battaient et qui pensaient pour cette Algérie comme Sanhadri, Boukhobza… Moi-même j’avais échappé miraculeusement à une tentative d’assassinat.

Le rapport à l’écriture de Hachemi Cherif n’avait jamais été un rapport personnel. Il s’arrangeait toujours pour créer un rapport d’interactivité avec ses amis et ses compagnons de lutte. Il faisait lire ce qu’il écrivait, il poussait ses amis et ses camarades à leurs derniers retranchements pour mieux en soutirer la quintessence de leurs pensées sans jamais renier leur apport dans sa pensée. Abderrahmane, Noureddine, Kamel, Zazi peuvent me contredire. Malheureusement Rabah et Salah ne le peuvent plus, l’islamisme et son bras armé en avaient décidé autrement. Ce que les islamistes ne savaient pas c’est qu’ils ne pouvaient empêcher l’éclosion d’autres Rabah et d’autres Salah.

Ces conditions expliqueront plus tard et en grande partie ses contributions sur l’ANP et sur le Mouvement citoyen en Kabylie, ses positions sur le dépassement de la classe politique dans sa configuration d’alors jalonnées par des événements de 1994/95 et la tentative de rassembler le potentiel démocratique, républicain et moderne, malheureusement phagocytée par des démarches partisanes étroites.

La situation inédite du retrait anticipé du Président Liamine Zeroual et ce qu’elle pourrait provoquer comme vide mortel, la «popularisation» de la ligne de rupture du mouvement Ettahaddi et la nécessité d’initier une issue de sortie de crise avaient fait peser légitimement la balance pour transformer un instrument politique de combat qu’est le mouvement Ettahaddi et qui semblait être à l’étroit pour porter une ligne politique beaucoup plus large vers un mouvement plus large pouvant porter cette ligne. C’était le passage vers le MDS.

Un passage qu’il faudra certainement interroger sous plusieurs angles et qui ne peut faire l’économie d’une réflexion sérieuse.

Hachemi, l’audace, le courage

Les interrogations ne remettent nullement en cause la tentative audacieuse et juste de passer à une nouvelle étape qui ouvrirait de nouvelles perspectives salutaires au pays. Mais que signifiait réellement le retrait anticipé du Président Liamine Zeroual, question que Hachemi avait abordé dans sa dernière lettre adressée au précongrès du MDS ?

D’où nous venait ce sentiment, d’ailleurs largement justifié par une large adhésion à la ligne de Ettahaddi-Tafat, que cette transition serait la bonne ? D’où venait cet engouement pour un processus de transition perçu par certaines forces politiques que c’était le consensus politique du moment et qu’Ettahaddi-Tafat serait certainement une option des institutions de l’Etat ?

Les défections par la suite après le choix du pouvoir de la candidature de Abdelaziz Bouteflika avaient lesté le nouveau sigle. Le MDS n’était-il pas devenu Ettahaddi sans ne plus l’être ?

Quand El Hachemi déclarait à la fin de sa vie : "Je peux m’en passer du sigle et exprimer publiquement ce que je pense", il exprimait à la fois la stature d’un homme politique qu’on ne peut emprisonner dans un sigle et qu’il peut transcender et une vision critique dont il saisissait merveilleusement les limites.

Je reviendrais sur ces questions dans la deuxième partie réservée à Hachemi Cherif, le parcours d’un homme politique entre les continuités et les ruptures et la troisième partie, l’homme et les idées forces. (A suivre)

Ahmed Meliani

Cadre de l’enseignement en retraite

Ancien SG du MDS

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Commentaires (4) | Réagir ?

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algerie

Great info, good thanks.

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algerie

merci

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