Bouteflika et l'annonce de la révision constitutionnelle : Extraits de "Journal d'un homme libre"

Bouteflika et l'annonce de la révision constitutionnelle : Extraits de "Journal d'un homme libre"
Je connus la prison au début du second mandat de Kaiser Moulay.
Je la quittai sur le refrain d’un troisième :
« Un troisième mandat pour rester jeunes et beaux sous la pluie de pétrole… Un troisième mandat pour échapper au jugement des hommes. »
16 juin. Je suis libre depuis deux jours au Territoire des Frères Ali Gator et je constate que notre chef de gouvernement surnommé Abdoul Aziz Irani par la rue puis Abdoul le Persan par Malek – qui en profita, du reste, pour baptiser Abdoul son nouveau chat persan –, notre chef de gouvernement donc a fait le pari de démentir la formule d’Abraham Lincoln : « Aucun homme n’a assez de mémoire pour réussir dans le mensonge ». En vertu de quoi il prend le risque d’affirmer, ce jour-là, sur un ton sentencieux : « Si Kaiser Moulay décide de se présenter pour un troisième mandat, il aura le soutien du FLN,mais nous n’avons jamais proposé dans notre document une présidence à vie ; d’ailleurs personne n’acceptera un président à vie, c’est insensé ! ».
Son pari s’annonçait incertain : Abdoul le Persan avait choisi le genre de mensonges qui exigent, plus que tout autre, une mémoire redoutable.
4 juillet. Première manche perdue pour Abdoul le Persan : devant la tribu des Têtes-képi, rassemblée pour la circonstance aux Tagarins, le président Tête-nue Kaiser Moulay annonce un amendement de la Constitution avant la fin de l’année afin d’y inscrire le pouvoir à vie. « Conformément aux prérogatives que me confère la Constitution, j’invite les citoyennes et les citoyens à exprimer leur avis sur les amendements proposés à la Constitution. (...) Nous souhaitons que le référendum sur l’amendement de la Constitution soit organisé, avec la volonté de Dieu, avant la fin de l’année »
Tout est pourtant sinistre dans le bilan de Kaiser Moulay. Une coterie usée, vieillie et corrompue s’imposait à un peuple épuisé dans la plus pure tradition absolutiste des joumloukias arabes !
Le Tête-nue Kaiser Moulay parachuté chef de l’État avait-il l’aval de la tribu qui l’avait fait roi ou succombait-il au syndrome de la grenouille en prenant son titre au sérieux ?
Il tentait un passage en force mais je l’ignorais alors. Ce que j’observais, en revanche, c’est qu’il répondait scrupuleusement à sa vocation de chef d’une joumloukia : dans ces fausses républiques arabes, on ne quitte le pouvoir que pour le cimetière.
Kaiser Moulay n’est pas dans la lignée de Jefferson, Kennedy ou de Gaulle, fils de l’alternance démocratique, celle que prescrivait Tocqueville, il y a deux siècles déjà, préconisant que « le plus grand soin d’un bon gouvernement devrait être d’habituer peu à peu les peuples à se passer de lui ». Kaiser Moulay est dans une filiation beaucoup moins prestigieuse : celle de Saddam Hussein, Khadafi, Hafedh El-Assad ou Ben Ali : une créature du despotisme arabe qui compte persuader le peuple de ne pas se passer de lui.
Il a tout de ces tyrans pittoresques et cyniques : comme eux, c’est un homme d’origine fruste, un peu rustaud, un peu godiche, qui se voit pris par le vertige de la toute puissance absolue qui s’offre soudain à lui. Un parvenu qui se voit en monarque archaïque ; un fier-à-bras, à l’image de tous les autres, qui tient en otage un pays, maquillé en fausse république, et qui ne compte pas le lâcher.
Comme eux, il voit grand et veut aller vite en besogne pour inscrire son nom dans l’Histoire.
Comme eux, il n’a pas de contre-pouvoir et ne permettra à aucun de se mettre en place. Comme eux, il veille à l’abolition de toutes les libertés publiques et privées, au règne de la corruption et usera de la répression, c’est-à-dire aux marqueurs universels de la gestion mafieuse de la chose publique.
La belle langue arabe a tout prévu. La royauté s’y dit mouloukia, c’est-à-dire l’appropriation du pays par un seul homme : le malik, littéralement « le propriétaire » Et nos joumloukia ne sont que cela : une propriété privée. Une propriété privée hermétique où le pouvoir absolu est sans limites et où l’autoritarisme se présente à l’état pur. Oh ! certes, écrit Moncef Marzouki, les joumloukias possèdent toutes des Constitutions écrites et souvent bien écrites, des Parlements « élus « à intervalles réguliers, une « opposition » et tout le toutim…
Et le « président » prend même des gants : il a des mandats de cinq ou six ans et il doit « solliciter » du « peuple » le renouvellement périodique de son mandat perpétuel. Nos chefs de joumloukias ont bien saisi que, dans un monde où la démocratie et les élections étaient devenues la seule source de légitimité reconnue, il faut organiser des élections. Mais tout cela n’est que simulacre. Ainsi, depuis 1962, rappelons-le, on organise dans le Territoire des Frères Ali Gator,
des élections à satiété, mais elles n’assureront aucune alternance !
Elles ne feront que légitimer le pouvoir en place. L’important est que les médias en parlent…
Personne n’est dupe de ce mauvais scénario régulièrement joué sous le regard fatigué, désabusé, moqueur ou dégoûté de la population.
Aussi, le 4 juillet 2006, Kaiser Moulay n’inventait-il rien qui n’existait déjà. Les dictateurs syrien Hafez El Assad et tunisien Ben Ali avaient été ses devanciers dans le squat perpétuel des républiques. Quatre années auparavant, Ben Ali, au mépris de sa parole, décidait d’un « référendum » pour amender la Constitution qu’il avait pourtant juré, lors de sa prise de pouvoir en 1987, de respecter et de défendre. Le nouveau texte annulait la limitation du nombre des mandats présidentiels jusque-là restreints à trois, offrant ainsi le droit au président sortant de se présenter autant de fois qu’il le désire.
C’est la légalisation de la présidence à vie !
Il faut dire que le dictateur ne faisait lui-même que suivre l’illustre exemple de Bourguiba, le père de l’indépendance de 1956, et fondateur de la « République « de 1957, qui s’octroya la première modification de la Constitution en vigueur pour se faire nommer président à vie.
Hafez El Assad abusa lui aussi de la Constitution à plusieurs reprises ce qui lui permit de s’accrocher au pouvoir jusqu’à sa mort en 2000.
Le Territoire des Frères Ali Gator aurait été une monarchie classique, comme celles qui continuent à régner au Maroc, en Jordanie, en Arabie Saoudite ou dans les États du golfe, il aurait eu un roi ! Il aurait été une République moderne telles qu’elles fonctionnent en Occident, en Inde, ou en Amérique latine, il aurait un président élu ! N’étant qu’une monarchie archaïque sur le modèle de l’Irak, de la Libye, de la Syrie, de l’Égypte ou de la Tunisie, le Territoire des Frères Ali Gator aura un roi roturier et éternel que personne n’a choisi et qui règnera par une dictature de la pire espèce, par l’incurie, la gabegie, l’incompétence et le désordre destructeur.
Le pouvoir absolu de la monarchie saoudienne, jordanienne ou marocaine ne ressemble en rien à celui des régimes « républicains » irakien, tunisien, syrien, libyen ou celui des Frères Ali Gator. « Dans une monarchie, le jeu subtil des alliances tribales ou politiques, la longue pratique du pouvoir, permettent de moduler les appétits du monarque. Le président de la joumloukia, lui, n’a aucun de ces freins : le pouvoir est un butin de guerre que le dictateur a conquis pour toujours », nous dit Moncef Marzouki.
Alors oui, nous adorerons « démocratiquement » notre Guide KaiserMoulay comme on vénèrerait le souverain de Babylone, nous oublierons qu’il est aussi inamovible que le Tigre et l’Euphrate, et nous finirons par admettre qu’il est la réincarnation des rois de l’âge d’or, des palais de mille et une nuits et de toutes nos légendes !
Après Kaiser Moulay Premier, nous aurons le privilège du frère, Kaiser Moulay Saïd, ou de l’héritier disponible, à défaut de fils.
En joumloukia, le pouvoir absolu et éternel survit même à la mort. « De la présidence à vie, on glisse subrepticement à la transmission du pays au rejeton » note Moncef Marzouki.
Faute de pouvoir léguer un royaume, on lèguera une « république. »
On appelle même cela « tawrîth al sulta », l’héritage du pouvoir. Transmission héréditaire, au fils, au frère ou, dans le cas extrême, transmission au sein du même clan. L’important est qu’il reste concentré entre les mêmes mains. Peu importe que l’héritier soit du renseignement ou de la caste militaire, l’essentiel est que le peuple soit exclu de la compétition.
Ainsi, en vertu de « tawrîth al sulta », la Syrie fut léguée par Hafez El Assad, à son fils Bashar. L’opération s’accompagna même d’une supercherie historique. Hafez El Assad mourut, en effet, trop tôt et l’héritier n’avait que trente-quatre ans. Pas assez pour monter sur le trône au
regard de la Constitution qui fixe au président un âge minimum de 40 ans. Peu importe ! Le « parlement » syrien modifia en juillet 2000 la constitution lors d’une brève séance et abaissa l’âge réglementaire à trente-quatre ans tout juste, ce qui permit le plus légalement du monde à Bashar El Assad de succéder à son père.
Quant à l’Égypte, où le président HosniMoubarak triture allègrement la constitution, elle reviendra à Gamal Moubarak, le rejeton ! Oh !
bien sûr, tout cela se fait avec l’hypocrisie coutumière et les dénégations d’usage. On adapte le discours à un monde qui a changé et qui n’en est plus aux années 20 quand un obscur colonel pouvait se couronner shah d’Iran et laisser « l’Empire » à son fils. Il faut ruser. Ainsi, le Président Moubarak s’est-il publiquement offusqué dans son discours du 1er janvier 2004 que l’on puisse parler de transmission héréditaire du pouvoir. « Si cela a pu arriver dans certains pays, cela n’arrivera pas en Égypte ! » Cela n’empêche pas le fils cadet du président d’entreprendre une ascension fulgurante au sein du Parti national démocratique qui veut bien dire ce qu’elle veut dire : il succédera à son père. Des amendements constitutionnels du début de cette année ont écarté toutes les autres options.
Au nom de « tawrîth al sulta », Kadhafi en Libye travaille à paver le chemin à son fils Seif-El-Islam, très impliqué dans l’exercice du pouvoir et si Saddam n’avait pas été éliminé par la guerre américaine et s’il était mort au pouvoir, c’est son fils aîné, le tristement célèbre Oddei qui lui aurait succédé.
Alors longue vie à KaiserMoulay et bienvenue à KaiserMoulay Saïd !
Mais comment se résoudre à perdre un pouvoir à vie après la fin de la vie ?
JUILLET
Fuir, tuer, prier ou se prostituer…
Je suis redevenu libre l’été où le peuple ne savait que faire de son avenir et Kaiser Moulay de ses deux ennemis : les Têtes-képi et la mort.
Les premiers étaient l’obstacle au pouvoir à vie.
La mort, elle, était la frontière impitoyable au pouvoir à vie : la fin de la vie.
Comment accéder à l’éternité sans paralyser les uns et neutraliser l’autre ?
Chaussé du regard intraitable de mes ex-codétenus, j’assisterai alors à la guerre des gangs et à l’incroyable illusion de l’immortalité.
Contrecarrer les Têtes-képi est une vieille obsession de Kaiser Moulay.
Une obsession compréhensible : contrairement à ses homologues dictateurs des autres joumloukias, contrairement à Saddam Hussein, Khadafi, Hafedh El-Assad ou Ben Ali, il ne dispose pas de la réalité du pouvoir.
Il était d’ailleurs temps d’y penser : à 70 ans, sa carrière de président à vie dépendait toujours de l’humeur des Têtes-képi.
Pour museler la tribu, s’affranchir de sa tutelle et s’assurer un pouvoir à vie, Kaiser Moulay a d’abord soigneusement démembré la tribu. En trois temps. D’abord en remplaçant la génération des généraux «janviéristes » par de nouveaux chefs militaires que nous pourrions appeler des « guerriers professionnels », éliminant ainsi toute source possible de contestation de sa démarche à partir des forces armées. Ensuite, en mélangeant les prérogatives entre responsables du ministère de la Défense nationale de manière que leurs inf luences s’annulent réciproquement.
Enfin, en procédant au découplage entre les services de renseignement et les forces armées.
Il compte maintenant porter l’estocade à l’aide d’un sésame qui a traversé les siècles : l’islamisme.
L’option islamiste ne présente, en effet, pour lui, que des avantages.
Elle est l’alternative idéale aux joumloukias essouff lées ; elle fait contrepoids aux Têtes-képi ; elle garantit l’asservissement de la population.
KaiserMoulay le sait : comme toutes les joumloukias, le Territoire des Frères Ali Gator est condamné et n’a plus d’avenir que dans la République islamiste ou la République démocratique.
Oh ! il ne l’ignore pas, l’époque lui dictait de transformer sa joumloukia finissante en une République démocratique. Son peuple, tout comme la majorité des classes moyennes arabes, à l’écoute du monde et de l’Occident, ne rêve pas d’un mythique État islamique pur et dur, mais d’une démocratie qui respecte ses droits et libertés. Rien n’est plus comme avant : l’alphabétisation a fait reculer l’ignorance, le niveau de vie a progressé, le statut de la femme a évolué, tout cela a radicalement modifié les données sociales. À voir l’inf luence des chaînes satellitaires arabes, qui ont délié les langues et désacralisé les pouvoirs, on saisit que les sociétés arabes sont déjà dans le débat démocratique. Les régimes mènent une course perdue d’avance : les sociétés civiles s’organisent et se renforcent alors que le discours et les anciennes structures d’encadrement des joumloukias sombrent dans le ridicule et l’impuissance.
« Si le projet de République islamiste tire sa force du passé, celui de République démocratique tire la sienne de la force du présent », note Marzouki.
Kaiser Moulay va préférer le passé au présent.
Car l’inconvénient avec une république démocratique est qu’il n’y a plus de place pour le pouvoir absolu, plus de place pour les tyrans pittoresques.
Pas de place pour Kaiser Moulay. En revanche, la République islamiste lui offre une exceptionnelle opportunité de se régénérer : elle n’est rien d’autre qu’une joumloukia à masque religieux.
On y retrouve, en effet, la possibilité de gouverner sans partage sous le couvert du même formalisme que celui des « Républimonarchie » arabes (promulgation d’une constitution, tenue d’élections régulières ou statut de « citoyen » magiquement octroyé aux sujets de l’État despotique…) auquel s’ajoute le couvert de Dieu ! « En Iran, nous rappelle Marzouki, le pouvoir n’émane pas de la volonté du peuple mais de celle du Fakih, ce souverain pontife de Qom, tout aussi inamovible et aussi infaillible que celui de Rome, à la fois, dépositaire, gardien et seul interprète de la parole de Dieu et de la tradition de Médine. La République islamiste ne sépare donc pas les pouvoirs et ne les répartit pas. Elle les unifie et les concentrent dans les mêmes mains. Il n’y a pas de transmission héréditaire nous dira-t-on. Oui mais il y a transmission au sein du même clan. » Ici aussi, il importe peu que le successeur vienne du milieu du renseignement, d’une caste militaire ou d’une école religieuse, l’essentiel est que le peuple en soit exclu.
Alors oui, pourquoi blâmer Kaiser Moulay ? Quelle importance que le pouvoir n’émane pas de la volonté du peuple ? Nous adorerons « démocratiquement » notre Fakih KaiserMoulay comme on vénèrerait le souverain pontife de Qom, nous oublierons qu’il est tout aussi inamovible que celui de Rome, et nous finirons par admettre qu’il est dépositaire, gardien et seul interprète de la parole de Dieu et de la tradition de Médine !
Mais comment s’associer avec les islamistes ?
Kaiser Moulay va d’emblée leur faire miroiter une coalition d’avenir, une sorte de république islamiste dans laquelle il espère retrouver le même rôle majeur.
Il donne des gages de bonne foi : l’amnistie pour les terroristes, la nomination d’Abdoul le Persan à la tête du gouvernement, le projet de construction d’une grande mosquée au plus haut minaret du monde, l’encouragement à l’islamisation rampante de la société, la chasse aux « hérétiques » et aux tout nouveaux chrétiens… Kaiser Moulay s’en remet à un expert pour exécuter la besogne : Abdoul le Persan.
Le projet islamiste va cimenter entre les deux hommes une de ces relations byzantines qui unissent deux complices à la veille d’un hold-up : chacun a sa propre raison de s’acoquiner avec l’autre.
(...)
Fuir, tuer, prier ou se prostituer… Je découvre, cet été là, un pays dirigé par un roi fainéant et qui pliait déjà sous le poids d’un affligeant paradoxe : les GI’s y entrent sur de gros porteurs pendant qu’en sortent des jeunes compatriotes sur des embarcations de fortune.
Deux vocables nouveaux signent l’ère Kaiser Moulay : harragas et kamikaze.
Le premier grave la rupture de confiance, le second baptise un grand échec : le terrorisme.
Fuir ou tuer…
Fuir, tuer ou se prostituer…
J’apprends que la Joumloukia d’Aligatorie compte 1,2 million de prostituées clandestines et que chaque prostituée fait vivre trois personnes.
« Bien fait pour eux ! Et dire qu’on m’a harcelé toute ma chienne de vie pour mon homosexualité ! À quoi a servi de m’accabler de tant de quolibets pour s’en remettre au final, au pain de la prostitution ? Moi, au moins, j’aimais un homme et je ne le cachais pas… Les hypocrites… »
Ferah avait surgi en pleine nuit dans l’écran de mon ordinateur.
Mon ex-codétenu, que j’avais laissé à El-Harrach, était à la fois furieux et consterné. Il vociférait du « cabanon », l’aile de la prison spécialement aménagée pour les homosexuels, où logent les travestis célèbres, ceux qui se prostituent dans les rues et les night-clubs d’Alger, et les moins célèbres, comme Ferah.
J’imaginais les stigmates de la colère sur son beau visage d’éphèbe.
J’imaginais ses yeux mélancoliques et bridés, finement mis en évidence par une discrète touche de khol, en train de rougir sous ses cils soignés au mascara et de perdre leur forme en amande. J’imaginais de vilaines commissures venir enlaidir ses petites lèvres pulpeuses…
Ferah purge une peine à perpétuité pour avoir assassiné son amant surpris dans les bras d’une femme. Pour ce geste fatal de l’amant trompé, il a déjà passé douze années de sa vie en prison, à regarder f létrir son corps et à lutter désespérément, avec les dérisoires moyens de la prison, contre le vieillissement prématuré et retarder l’insoutenable indifférence des hommes.
- Arrête Ferah ! Tu t’es vu quand tu es irrité ? La colère te démaquille !
Tu vas finir par ne plus plaire à personne.
Ma réplique le glaça. Ne plus plaire serait pour lui le jour de l’apocalypse.
Et il doit d’être entré très jeune en prison, plus qu’à sa persévérance, d’avoir pu conserver à l’approche de la trentaine, cet attrait certain qui fait encore se tourner les têtes des autres détenus et cette authentique grâce féminine qui perle comme une note de douceur dans le pénitencier d’El-Harrach. Il se reprit :
- Je parle sérieusement, Ami Moh. Maintenant que tu es sorti, tu vas remarquer les deux vices fatals de notre société qui nous ont perdus et que nous, les travestis avons subi dans notre chair sans jamais pouvoir nous en plaindre : l’hypocrisie et la pleutrerie.
- Tu exagères…
-Mais ouvre les yeux,AmiMoh ! Tu es libre,maintenant ! Vivre, dans ce territoire que tu as rejoint après tant d’absence, n’est-ce pas comme survivre au pénitencier d’El-Harrach ? La même porte de sortie condamnée par un immense mur noir, les mêmes chefs qui piétinent la dignité humaine, la même rapine, les mêmes mafias…
- Si je comprends bien, tout cela serait dû à…
- … A l’hypocrisie et à la pleutrerie ! Nous, on sait ce que c’est : les pédés, comme vous dites, ont toujours payé la rançon imposée par l’hypocrisie algéroise. Cette population qui vit aujourd’hui de l’argent de la prostitution, n’est-ce pas la même qui applaudissait aux bondieuseries du gouvernement, appelées « campagnes de moralisation » et au nom desquelles on nous incarcérait ? Elle savait pourtant que tout était mensonge et fourberie ; elle savait que ceux qui nous jugeaient étaient souvent nos plus assidus clients ; elle savait que c’était dans le lit des plus hauts notables de la ville et dans celui de ses plus vénérables personnalités, dans l’odeur de l’alcool et du fric, que les travestis passaient leurs plus rentables nuits. Mais qu’avions-nous à dire ? Et à qui ? Alors, on a toujours payé la rançon de l’hypocrisie, payé les policiers qui fermaient les yeux, payé le commissaire qui les couvrait, payé le magistrat qui expédiait l’affaire..
- Où veux-tu en venir ?
- À cette conclusion que vous fuyez tous : c’est à cause de cette bigoterie et cette frime de faux dévots que nous ne cesserons jamais de choisir entre Satan et Lucifer ! Jusqu’à quand se dresseront devant nous ces deux hideuses sépultures : mourir sous un État totalitaire ou périr à l’ombre d’un régime théocratique ? Deux mâchoires sur la même chair. Nous pensions avoir pourtant déjà essayé : le FIS plutôt que le FLN en 1991, le régime plutôt que le GIA en 1995. Au bout de dix ans, cela a donné une mixture diabolique : misère plus terrorisme plus corruption ! C’est la charpente du régime. Compte donc le nombre de personnalités corrompues proches du président et qui sont citées par la justice sans être incarcérées ! Tu seras édifié ! La prison, c’est pour les anonymes comme nous… pendant ce temps, notre société se prosterne devant Dieu et l’injustice !
Ouvre donc les yeux, Ami Moh ! C’est notre hypocrisie et notre pleutrerie qui nous ont perdus !

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Commentaires (28) | Réagir ?

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amlika

helas, tout ça n'est que de la parlote. que faisons nous pour changer tout ça?en fin de compte nous n'avons que les dirigeants qu'on merite.

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mhamed

as t'il le droit de reviser une constitution dans un hemicycle dont les parlementaire n'ont pas ete elus par le peuple, dont le taux de suffrage n'as pas depasse les 19/.., mais c'est quoi cette mascarade monsieur boutef?nous refuson un etat royaume. j'appelle le peuple algerien a ne pas voter.

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