Salon du livre d’Alger 2008 : la schizophrénie nous gagne…

Cette année le SILA s’ouvre dans une ambiance schizophrénique bien caractéristique du climat qui prévaut actuellement dans notre pays.

D’un côté, la fête du livre, la soif de lire et d’apprendre qui fait à l’Algérie, depuis les années 80, la réputation d’un pays « bookivore »

De l’autre le sentiment d’un immense gâchis pour des lecteurs assoiffés qui s’en retourneront déçus de n’avoir pu trouver les livres de leurs rêves, trop rares, trop chers, trop « interdits » ou

trop « pas importés ».

Le public n’aura pas d’explications convaincantes pour soulager ce sentiment de malaise, malgré moult rodomontades des organisateurs qui vont les assommer de chiffres : 400 000 visiteurs (au fait comment savoir puisque l’entrée est gratuite ?), des centaines d’exposants, des centaines de milliers de livres, des flopés de prix ou de cafés littéraires etc...

Où est mon roman ? Où est mon manuel universitaire ? Où est ma BD ? Comment lire Fadhma nath Mansour Amrouche ou Mouloud Mammeri puisque les éditions « La découverte » sont frappées d’interdit ? Sansal et Benchicou sont des pestiférés !

Par contre des livres prétendument religieux envahiront 80% de cet espace, illustrant en cela cette autre caractéristique de notre cher pays : la scholastique chasse la science, les processions mimétiques des bigots surclassent le flamboyant défilé des poètes, des troubadours et des professeurs tournesols qui hantaient naguère les allées de la foire du livre d’Alger. Autres temps, autres mœurs.

Comment en est-on arrivé là ? Pourquoi tant de gâchis, pourquoi tant d’imposture ?

Outre les causes fondamentales qui ont tant fait régresser la pensée, la création, l’esprit critique dans nos écoles et universités et qui ne font pas l’objet de ce billet d’humeur, je veux noter juste quelques points essentiels qui peuvent éclairer sur le marasme qui frappe le monde du livre, de l’édition et de la librairie.

Une série de malédictions héritées de notre histoire récente hante le domaine de la culture et du livre car nous vivons de façon conflictuelle ces rapports :

1- secteur public/secteur privé,

2- censure/liberté,

3- production nationale/importation,

4- sciences exactes/sciences sociales,

5- Langue arabe/langues étrangères

Alors que ces couples diaboliques évoluaient vers de meilleurs équilibres au bénéfice d’une société qui émergeait de la pensée unique, du terrorisme intellectuel et de l’autoritarisme, voilà que depuis quelques années nous revenons lentement et sûrement vers la prééminence des 1ers termes de ces contradictions. Nous revivons la suprématie de : secteur public, censure, production nationale, sciences exactes, langue arabe.

Dans notre société, dans le monde, et même dans le discours hypocrite de nos dirigeants on affirme que nous sommes à l’ère du secteur privé, de la liberté, de l’ouverture sur les marchés et du pluralisme des langues (nationales et étrangères). Bref, nous chantons le refrain démocratique. Ce sont les mêmes qui nous expliquaient aussi que nous avions le socialisme spécifique le plus abouti, la langue arabe la plus pure et les libertés les plus révolutionnaires. Ces diables se remplissaient les poches, trahissaient les serments les plus nobles et voudraient continuer à nous décerveler tranquillement. Mais ceci est une autre affaire.

Reconnaissons aussi qu’ils savent mettre à leurs bottes une série de prétendus intellectuels au « prêt à penser » affligeant, girouettes honteuses qui vous répètent à loisir que « ce n’est pas la girouette, c’est le vent qui tourne » !

De quelle façon ces contradictions interférent-elles dans le champs éditorial ?

1- L’opposition public/privé est parfaitement illustrée dans l’édition scolaire qui nous fait revivre le code de l’indigénat. Il y a quelques 3 ou 4 éditeurs privés qui « font » du livre scolaire lucratif, en millions d’exemplaires par titres ; et 90% des éditeurs « indigènes » ne sont pas habilités a participer à l’émancipation scolaire. Le gouvernement en a décidé ainsi ! Au nom de quoi? Pourquoi tait-on cette triste réalité ? Or on sait que le vrai moteur de l’émergence de la profession d’éditeur est le manuel scolaire car il enrichit le pluralisme pédagogique et la qualité de l’enseignement en même temps qu’il permet à l’éditeur d’obtenir la surface commerciale qui lui permettrait de réaliser les investissements dans sa créativité et ses moyens de production.

2- Liberté et censure : au Salon du livre de l’an dernier le stand des éditions INAS a été « muré », fait unique dans les annales, le livre de Benchicou, « Les geôles d’Alger » interdit dans l’enceinte du salon et pourtant mis en vente librement dans les librairies en ville. Aucune organisation professionnelle n’a protesté. Elles sont co-organisatrices, elles sont censées défendre les droits des éditeurs et des libraires, donc des écrivains, de la liberté d’écrire et de publier. Mais pourquoi se taisent-elles ? Heureusement l’honneur de la corporation a été sauvé par une dizaine d’éditeurs courageux qui ont publiquement dénoncé l’interdiction.
Cette année le même scandale se répète, dans l’indifférence générale. Un nouveau livre de Benchicou, « Le journal d’un homme libre » est interdit d’impression. Autre fait unique. On connaissait l’interdiction de vendre des livres par décision de justice mais pas d’interdiction « administrative » d’imprimer un livre. De l’art de tuer un livre dans l’œuf ! Le fait est gravissime et doit être dénoncé au nom de ce qui fonde notre métier : la liberté de dire, d’écrire et de publier nos écrivains, nos penseurs, notre trublions aussi. La justice seule peut agir pour les écrits qui contreviennent à la loi.
Autre chose enfin : jusqu’à quand supportera-t-on 3 types de visa, donc de censure, qui étranglent le livre. Visas de la police, des affaires religieuses et de la culture. Est-ce le rôle des administrations centrales de la culture et de la religion de s’encombrer d’affaires policières ? Tous ces visas sont exigés « à priori » c’est-à-dire avant édition ou importation, avec les lenteurs, les retards et les coûts supplémentaires qui seront imputés sur les prix des livres. C’est comme si vous deviez repasser votre permis de conduire tous les matins car vous risquez de brûler un feu rouge ou doubler par la droite ! Qui proteste contre cela ?

3- Dans l’opposition « produit national ou importé » nous nageons dans la même hypocrisie ambiante : qui peut nier que l’essentiel du savoir dispensé dans nos écoles ou nos médias vient d’ailleurs ? Quelle honte à cela ? Combien de Nobel, d’académiciens et chercheurs patentés compte notre pays ? Nous qui revenons de plusieurs siècles de négation de notre culture, de 90% d’analphabètes il y a 40 ans seulement ? De plus, quelles industries culturelles avons-nous édifié, quelles armées d’écrivains ou de traducteurs a produit notre système éducatif ? On veut continuer dans le marasme ? A opposer les cahiers de coloriage mal fagotés de nos chers éditeurs nationaux aux manuels de sciences et ouvrages littéraires que nous sommes dans l’incapacité d’éditer ? Les lobbys qui convoquent le drapeau pour s’en mettre pleins les poches, au détriment de la diffusion du savoir, doivent être démasqués dans l’intérêt général bien compris.
Autre incongruité bien algérienne : « les importateurs » que semblent découvrir les organisateurs de salon du livre! Aujourd’hui, Haro sur le baudet importateur, mot infamant s’il en est ! Mais qui a créé cette engeance dont on peut se plaindre effectivement ? Dans la chaîne du livre, on connaît l’imprimeur, l’éditeur, le diffuseur, le distributeur, le libraire etc… Mais pas l’importateur. Ce sont les lois de finance successives qui ont imposé l’existence de ces importateurs qui sont souvent des parasites entre producteurs, distributeurs et consommateurs. Au nom de quoi ? L’accès à la devise ! Le libraire n’a pas le droit d’accès à la devise pour financer ses achats à l’étranger. Qu’on supprime cet interdit et le marché se régulera de lui-même, la demande se rapprochant de l’offre et la vraie concurrence fera émerger des pôles de qualité et de professionnalisme.

4- Les problèmes nés de l’opposition entre les langues ou les sciences sont de même nature. Le pays a payé un lourd tribut à ces querelles qui ont servi des politiciens qui en font des choux gras et des carrières fort lucratives. Le droit à la traduction des principaux livres qui servent à l’éducation et à l’éveil de la jeunesse doit être garanti et subventionné comme la semoule et le lait. La reconquête des belles traditions littéraires inhérentes à nos cultures orales doit trouver son continuum dans les programmes d’enseignement de la littérature dans tous les paliers pour permettre à nos éditeurs de créer les collections littéraires dignes de ce nom. Mais qui se soucie de ces revendications pourtant ressassées et contenues dans un projet de « Loi du livre » devenu une véritable arlésienne ?

Le salon clôturera dans une semaine, on continuera de chanter victoire du côté des organisateurs, victoire à la Pyrrhus , contre qui ? Au bénéfice de qui ? Et désenchantement de l’autre, côté public, auteurs, monde de l’éducation. Pourquoi avec tant de milliards dans les caisses de l’Etat, tant de talents et de dynamisme dans la société, nous continuons de figurer dans le peloton de queue des pays « en voie d’émergence » ?… Il suffirait juste de consulter pour traiter cette satanée schizophrénie. Pour cesser de se mentir. Notre pays mérite mieux.

Alger, le 26 octobre 2008

Boussad OUADI.

Editeur et libraire

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Commentaires (8) | Réagir ?

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nadir

foire du livre organisee par des dictateurs quoi de plus normale

que dene trouver que du religieux et quelques romans pour la galerie. cest leur foire on na rien

a voir.

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nadir

foire du livre organisee par des dictateurs quoi de plus normale

que dene trouver que du religieux et quelques romans pour la galerie. cest leur foire on na rien

a voir.

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