Le Roi d’Espagne, une "princesse" allemande et Chakib Khelil

Encore une fois Chakib Khelil éclaboussé par des affaires de corruption.
Encore une fois Chakib Khelil éclaboussé par des affaires de corruption.

Corruption dans le commerce du gaz entre Alger et Madrid sur fond de Panama Papers, annonce l'association algérienne de lutte contre la corruption dans le communiqué suivant.

Après l’affaire Sonatrach 1 en 2010, celle de Sonatrach 2 en 2013, 2016 verra-t-elle l’explosion de Sonatrach 3 entre l’Algérie et l’Espagne ? Fort possible, et ce ne serait pas une surprise, tant la corruption est généralisée pratiquement à tous les grands contrats et marchés à l’international : les relations commerciales, notamment en matière de gaz entre l’Algérie et l’Espagne, ne seraient pas épargnées.

D’ailleurs, ces négociations ont connu de nombreux couacs et ont failli capoter à plusieurs reprises lors de la première moitié des années 2000, puis, subitement, presque tout est rentré dans l’ordre, comme par "enchantement". Une intermédiaire – une fois n’est pas coutume – serait derrière au moins une partie de cette nouvelle affaire. Il s’agit d’une vraie fausse "princesse" allemande de la jet set, Corinna zu Sayn-Wittgenstein, que l’on retrouve dans des négociations cachées de gaz entre l’Algérie et l’Espagne. Elle déclarait d’ailleurs en 2012 au quotidien Espagnol "El Mundo" : "J’ai mené plusieurs missions délicates pour l’Espagne." Rien que ça. Ces propos ne tombent pas dans l’oreille d’un sourd : un juge espagnol courageux nommé Castro, en charge des cas de corruption où des membres de la famille royale sont inculpés (le 8 février 2014, il avait convoqué la fille cadette du roi), a essayé d’élargir son enquête sur le contenu de ces "missions délicates". La presse d’investigation espagnole lui avait même emboîté le pas, et nombre de journaux européens titraient "Des ‘’petits’’ juges espagnols font face aux ‘’grands’’ d’Espagne" !

Du jamais vu, même le patron des services des renseignements généraux espagnols montera au créneau pour mettre un terme à ces enquêtes en déclarant au Parlement que cette "princesse" n’a jamais collaboré avec l’Etat espagnol, façon de tracer une ligne rouge aux juges anti-corruption et à une presse trop curieuse.

1. Mais qui est Corinna zu Sayn-Wittgenstein ?

De père hungaro-danois et de mère allemande, elle habite Monaco pour échapper au fisc : se fait nommer "princesse", car son deuxième ex-époux est un prince de la noblesse allemande. Elle rencontre le roi d’Espagne en Allemagne en 2004. En femme d’affaires avisée, elle crée l’année suivante une société, domiciliée à Malte, "Apollonio Associates" qui a pour objet de "mettre en rapport des institutions, nationales ou internationales, privées ou publiques". Cette intermédiaire "met aussi en contact des chefs d’Etat, des dirigeants politiques et de puissants entrepreneurs, le tout en échange d’émoluments conséquents", c’est-à-dire des commissions et autres pots-de-vin placés notamment en Suisse. 2006 : c’est l’année où les affaires entre la princesse et le roi débutent, la presse espagnole d’investigation démontrant le rôle essentiel de la princesse allemande au profit de grandes entreprises espagnoles.

A titre d’exemple, elle a été l’intermédiaire dans la conclusion en 2011 d’un contrat de près de 7 milliards d’euros pour la réalisation au profit d’un consortium espagnol (la compagnie ferroviaire Renfe, l'opérateur du réseau de chemins de fer Adif, le groupe de BTP OHL, le fabricant de trains Talgo et la société technologique Indra) d’une ligne de chemins de fer en Arabie Saoudite (La Mecque-Médine). Certaines de ces entreprises ont obtenu, ces 10 dernières années, plusieurs marchés juteux en Algérie. Autre révélation qui nous intéresse plus particulièrement : toujours selon la presse espagnole, la princesse allemande est aussi intervenue, nous citons le quotidien français "Libération" (édition du 3 juin 2013, de son correspondant à Madrid), "dans la mise en place d’une alliance stratégique avec l’Algérie pour l’acheminement de gaz". Le juge espagnol Castro est au fait de ces pistes. Plusieurs sources confirment que la princesse allemande "aurait touché à chaque fois de juteuses commissions, à hauteur de 3% sur la valeur d’un contrat obtenu, qui atterrissent sur des comptes suisse".

2. Où l’on retrouve... Chakib Khelil !

Au début des années 2000, les négociations entre l’Algérie et l’Espagne sur le gaz (gazoduc, prix du gaz, complexes pétrochimiques) se sont multipliées, et les échanges de délégations, même au plus haut niveau, n’ont jamais été aussi nombreux.

Chakib Khelil, comme ministre de l’Energie et aussi comme patron de Sonatrach, a reçu beaucoup d’officiels espagnols et a souvent pris l’avion pour Madrid. Le président Bouteflika se rendra en Espagne en juin 2002 (la dernière visite d’un président algérien remonte à 1985).

Le roi d’Espagne, Juan Carlos, lui rendra la pareille en 2007, du 13 au 15 mars (sa dernière visite en Algérie ayant eu lieu en 1983), accompagné d’une très importante délégation de chefs d’entreprise. Parmi ces entreprises, il y a Repsol YPF, Cepsa, Gas Natural, Iberdrola et Endesa (secteur de l’énergie), OHL, ACS, Acciona et Abengoa (construction, services et ingénierie), la banque Sabadell, CAF et Talgo (transport ferroviaire), Cofares (pharmacie), Telefonica et Indra (télécommunications et technologies de l’information). Mais ce n’est qu’en 2013 que l’on apprendra — plusieurs sources espagnoles nous le confirmeront, notamment médiatiques — que notre "princesse" allemande sera du voyage royal sur Alger : ce que le roi avait déjà fait avec elle pour une visite officielle et d’affaires en Arabie Saoudite. Le déplacement du roi d’Espagne en Algérie avait été précédé quelques semaines auparavant d’un voyage de Chakib Khelil à Madrid (7 et 8 février 2007) où "il a fait part du soutien de l'Algérie à la participation de l'entreprise espagnole "Gaz Natural" dans le projet Medgaz, affirmant que Sonatrach allait réduire sa participation dans ce projet pour faciliter l'entrée de Gaz Natural", (dépêche APS du 9 mars 2007). A-t-il été reçu discrètement par le roi durant son séjour ? Une chose est sûre, et c’est bien étrange, c’est Chakib Khelil, ministre de l’Energie, qui sera désigné officiellement pour accompagner le roi Juan Carlos à Djanet pour une escapade pas uniquement touristique, loin des regards, en présence de notre "princesse" allemande. Il eut été plus conforme au protocole que le roi, en pareil cas, se fasse accompagner par le ministre algérien de l’Intérieur ou par celui du Tourisme. Ce fut le début du commencement du règlement des contentieux algéro-espagnols….

3. Etouffer à tout prix cette affaire

En 2012, la princesse allemande disparaissait des "écrans radars" espagnols. Tout est fait au plus haut niveau du gouvernement espagnol et de certaines officines pour empêcher que les juges aillent trop loin dans leurs investigations, notamment sur les nombreux contrats signés ces 10 dernières années entre l’Algérie et l’Espagne : des milliards d’euros de marchés, de commerce et d’achats en tous genres sont en jeu. La presse espagnole d’investigation, du moins celle qui est indépendante, subit elle aussi toutes sortes de pression pour ne pas aller trop loin dans ses enquêtes. De nouvelles révélations ne sont pas à exclure.

Quant à notre "princesse" allemande, elle a multiplié les mises en garde et autres menaces : "…Si jamais les autorités espagnoles ou quiconque lui cherche querelle, a-t-elle averti, elle n’hésiterait pas à riposter : elle a fait savoir qu’elle possédait des copies de "tous" les documents officiels liés à ses missions très spéciales."

4. Avril 2016 éclate l’affaire dite "Panama Papers"

Sitôt éclatée l’affaire dite "Panama Papers" le mois dernier, la chaîne de télévision privée espagnole "La Sexta", a rendu publique une liste de personnalités espagnoles, ou ayant fait des "affaires" avec l’Espagne, qui apparaissent dans les registres du cabinet panaméen Mossack Fonseca. Selon les informations qui ont filtré (le quotidien économique français "Les Echos", édition du 20 avril 2016), la "princesse" allemande Corinna zu Sayn-Wittgenstein aurait essayé de vendre des actions d'une société située dans l’Etat du Wyoming aux USA, à une autre située dans les Iles Vierges Britanniques, par le biais d'une société écran située à Gibraltar. Selon le journal en ligne "Bilan.ch" (édition du 13 avril 2016), "le Wyoming est au cœur des Panama Papers car il y accueille 24 sociétés écrans ouvertes par «"M.F. Corporate Services Wyoming», une société liée au cabinet panaméen Mossack Fonseca".

5. Mêmes techniques, mêmes canaux pour les grandes affaires de corruption internationale où l’Algérie est impliquée

Dans les affaires de corruption internationale de ces 10 dernières années où l’Algérie est impliquée (Sonatrach 1, Sonatrach 2, SAIPEM Italie, Autoroute Est-Ouest, SNC Lavalin, Ericsson, etc. ; la liste est loin d’être exhaustive), nous remarquerons sans surprise que les mêmes techniques et les mêmes canaux sont utilisés par les réseaux de «corrupteurs-corrompus». Des intermédiaires «internationaux» cachés derrière des sociétés d’affaires, des intermédiaires du côté Algérien agissant sous un couvert informel et sous forme de clans «tribaux», des officiels Algériens en charge d’un secteur donné et mandatés par des commanditaires dans l’ombre ; le tout passant à la fois par des banques internationales ayant pignon sur rue et par des cabinets d’avocats «gestionnaires de fortunes» ayant une existence légale, à charge pour ces 2 «relais» financiers de mettre en place des mécanismes qui permettent de gérer en toute discrétion les commissions , les rétro-commissions et autres pots-de-vin, tout en assurant une totale opacité et en évitant toute traçabilité de ces opérations : sociétés offshore, paradis fiscaux, sociétés écrans, comptes numérotés, acquisitions de biens immobiliers de haut standing, etc.

Mais heureusement que ces "affaires" ne restent pas inviolables et que ces scandales, pour la plupart, finissent par éclater…..

Dans les pays démocratiques les plus avancés, les réformes découlant de l'affaire de Panama dissuaderont les fraudeurs ainsi que les entreprises et les particuliers aux pratiques immorales de dissimuler leur argent sale. Toutefois, sous d’autres moins démocratiques, les dirigeants corrompus continueront à bénéficier de l’impunité…..

Djilali Hadjadj, porte parole de l’Association Algérienne de lutte contre la corruption

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Commentaires (11) | Réagir ?

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lila laoubi

thanks

wanissa

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koceila ramdani

Et pendant ce temps là, que font nos magistrats ???

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