Entretien avec Rachid Nekkaz : "Je suis pour l'autonomie mais après la fin du pétrole" (I)

Rachid Nekkaz
Rachid Nekkaz

Rachid Nekkaz, homme d’affaires, activiste et homme politique algérien, ne laisse pas indifférent. Après un intermède dans la scène politique française émaillé de polémiques et de controverses. Né en France, il demande la déchéance de sa nationalité française. Ce qui fut fait en août 2013. Il s’investit dans la politique algérienne avec une tentative de candidature à la précédente présidentielle. Dans cet entretien, il revient sur son parcours sur les deux rives de la Méditerranée. Première partie.

Le Matindz : Avec l’affaire d’El Khabar, pensez-vous que la liberté de la presse soit menacée en Algérie ?

Rachid Nekkaz : La liberté de la presse est menacée financièrement mais pas politiquement, une stratégie qui consiste à briser les reins de tout organe de presse qui ne serait pas neutre par rapport à la politique gouvernementale. Pour cela, il utilise l’ANEP comme outil de pression, et El Khabar a vu ses recettes publicitaires coupées parce qu’il n’avait pas soutenu la candidature de Bouteflika pour un quatrième mandat.

Tout est fait pour que la presse ne fonctionne plus librement, donc ce sont des actions politiques et non financières ?

Vous savez, en Algérie, tout est fait d’une manière subtil. Le régime algérien entretient une façade démocratique, mais a une réalité autoritaire. Rien n’est direct, ce n’est plus à la soviétique, mais ça reste autoritaire.

Vous avez déclaré vouloir racheter El Khabar alors que vous vous êtes refusé jusque-là, d’investir en Algérie

Mais là c’est différent, investir dans le rachat d’El Khabar, fait partie de ma stratégie de préparation des législatives et des présidentiels, je ne fais pas ça pour faire plaisir à El Khabar, mais je veux seulement dire à ce gouvernement qu’il ne peut pas faire n’importe quoi avec n’importe qui, et surtout pas par les pressions financières pour ne pas laisser les gens travailler. Je ne veux pas également que des organes de presses comme Ennahar dans les moments délicats des législatives et des présidentielles se mettent à me calomnier. Je soutiens donc en ce sens, Monsieur Rebrab dans sa démarche, ça devrait apporter un équilibre sur la scène médiatique algérienne.

On vous a vu très en colère lors de la visite de Chakib Khelil à la zaouïa de Ain M’rane. Avez-vous réussi à saboter son déplacement ? Pourquoi selon vous Chakib Khelil continue sa tournée des zaouïas ?

J’ai déjà dit que la place de ce monsieur est dans les tribunaux algériens, et qu’il ne fallait pas qu’il utilise les lieux de cultes à des fins politiques. J’ai rebroussé chemin depuis l’aéroport d’Oran, suite à l’appel du cheikh de la zaouïa de ma ville, un copain de mon défunt père, qui me demandait d’être là dans l’heure qui suit. Il y avait 400 policiers et gendarmes qui me connaissent, et qui ne m’ont pas empêché à accéder à la zaouïa. Il était hors de question que ce monsieur vienne m’humilier dans la ville de mes ancêtres.

Des proches de Bouteflika, tel que Bouchouareb, ou l’épouse de Chakib Khelil sont cités dans l’affaire des Panama papers. Sommes-nous condamnés en Algérie à être gouverné par des voleurs ?

On n’est pas condamné. On a la chance d’avoir des organes internationaux qui font de telles révélations, relayés sur tous les réseaux sociaux. Ça nous fait prendre conscience de l’énormité du vol qu’il y a en Algérie. Ce n’est pas tant le fait que des hommes d’affaires cachent leur argent dans des paradis fiscaux qui dérange, mais que des personnes tel que Bouchouareb le fassent en tant que ministre d’un pays dans l’exercice de ses fonctions. La seule attitude à prendre dans ce cas c’est la démission, comme cela était fait par le Premier ministre islandais ou le ministre de l’Industrie espagnol. Le sentiment d’impunité qui règne en Algérie encourage finalement ce genre de crimes.

Pourquoi le peuple algérien ne réagit pas à de telles révélations, Un sentiment d’impuissance ?

Le problème du peuple algérien est qu’il ne paie pas d’impôts. Il a donc le sentiment qu’on ne vole pas dans ses poches, que l’argent du pétrole et du gaz, au final, ce n’est pas du vol. C’est pour ça que l’opinion publique ne réagit pas, car ce n’est pas l’argent de ses impôts qui a été volé, voilà la différence avec les sociétés occidentales, où lorsqu’un ministre est accusé de corruption, il y a tout de suite derrière une réaction populaire.

Abdeslam Bouchouareb aurait demandé à vous voir, à discuter. Pourquoi ?

Vous savez, j’ai beaucoup de défauts mais pas celui de raconter des histoires! J’attends quelques jours pour faire une déclaration officielle, en gros ça s’est fait par nos avocats respectifs. Donc oui, il m’a été demandé de surseoir ce rassemblement devant chez lui, afin d’avoir plus de précisions. Croyez-moi ce ne sont pas des allégations, contrairement à ce qu’affirme Ennahar.

Le gouvernement ne négocie pas avec le MAK alors que c’est un mouvement politique pacifique. Pensez-vous réellement comme le répète le pouvoir que le MAK menace l’unité du pays ?

Vous savez, huit wilayas seulement apportent la richesse en Algérie, et ce n’est pas les wilayas de la Kabylie! Si on donne l’autonomie à 2, 3 ou 4 wilayas, on serait obligé, dans un souci d’équité, à donner l’autonomie à ces huit wilayas qui produisent 98% des richesses du pays, ce qui serait catastrophique pour les autres régions! Pour répondre à votre question, je suis pour une Algérie fédéral mais il faudrait attendre qu’il n’y ait plus une goutte de pétrole, et de mettre en place une vrai politique économique dans toutes les régions. Oui à une Algérie fédéral, oui à l’autonomie des régions, mais le jour où il ne restera ni pétrole, ni gaz! Sinon, dans l’état actuel des choses c’est un suicide!

Le Docteur Fekhar est en prison depuis 10 mois, avec 22 autres codétenues. Est-ce que la répression est la seule réponse que propose le pouvoir face à des revendications identitaires?

Pourquoi vous dites identitaires? Ce sont des revendications politiques. Je suis le premier à dire qu’il faut libérer tous les prisonniers politiques en Algérie, mais je reproche à Fekhar d’essayer d’internationaliser la question du M’zab, ce que je refuse! J’accepte qu’il dise que les M’zab sont victimes de discriminations, mais de dire qu’il y’a un génocide de son peuple, ça je ne peux pas l’admettre et je ne l’accepte pas.

Vous ne pouvez pas nier que les violences survenues dans le M’zab ont un caractère ethnique ?

C’est un problème politique, ce sont des gens qui ont joué avec le feu, en essayant de développer la haine des uns envers les autres. Vous n’avez pas remarqué que tout d’un coup, ça s’est arrêté? Parce que tout d’un coup il n’y a plus d’enjeu. Vous savez que les arabes et le Mozabites ont vécu ensemble pendant 1000 ans en paix. Je vous dis que c’est une instrumentalisation de la haine des uns envers les autres, ce qui est pour moi inacceptable. Je refuse qu’on dise qu’il y a un problème ethnique en Algérie, dans ce cas on n’est pas sorti de l’auberge. L’Algérie est plurielle, il faut reconnaître sa diversité, officialiser tamazight et ne pas jouer avec le feu des différences cultuelles. (A suivre)

Entretien réalisé par Hebib Khalil

Lire aussi : Entretien avec Rachid Nekkaz : "Je n’arrêterai jamais de payer les amendes du niqab" (II)

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Commentaires (32) | Réagir ?

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lila laoubi

merci

wanissa

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adil ahmed

merci

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