Les extraits du livre "banalisant les crimes coloniaux"

Les extraits du livre "banalisant les crimes coloniaux"

PAGE 270-271

JANVIER

Il était minuit quand Kaiser Moulay se remit à croire à l’immortalité.

« On gravera mon nom sur le Nobel 2008 et du haut d’un minaret de 300 mètres, le plus haut du monde, on le soufflera à l’oreille de Dieu ! »

C’est tout l’avantage du bunker : on y récupère vite un moral d’acier.
Sans doute parce qu’on s’y offre le privilège de s’épargner les questions désagréables, comme celle de savoir comment ne pas déplaire à la postérité quand on n’a pas eu le génie de plaire à son siècle. Ou parce que, y méprisant les vérités laissées par le temps, celles de Voltaire par exemple, à propos du siècle de Louis XIV, on oublie que les titres ne servent à rien pour la postérité et que le nom d’un homme qui a fait de grandes choses impose plus de respect que toutes les épithètes.

En haut, dans la foulée, les Barbies pleureuses nous firent l’amitié d’improviser un second spectacle.
Habillées en âmes chauvines ulcérées, en islamistes révoltés et en patriotes de la 25e heure repartant en guerre, elles avaient larmoyé, sangloté et même tremblé de rage après le refus de Nicolas Sarkozy, à Alger même, de s’excuser pour les crimes de la colonisation.

Elles furent sublimes de duplicité ! Leurs exaspérations relevant de la tartuferie avaient ce quelque chose de sordidement factice auquel s’identifie si brillamment notre régime.

On aurait dit de l’amour pour le pays, de l’attachement à Novembre, de la compassion pour les victimes des hordes coloniales !

On aurait dit des âmes affligées.

J’observais avec quel talent l’une d’elles, habillée en chef de gouvernement, exigeait, les yeux en larmes, que la France s’excusât pour ses crimes entre 1830 et 1962 et, dans le même temps, avec une splendide magnanimité, dispensait les assassins terroristes, du pays ceux-là, de cette même repentance pour des meurtres plus récents ! Comme si ce n’était pas dans la même chair que le couteau fut planté.

Elles interprétaient avec une telle virtuosité le rôle d’exubérants gardiens de la mémoire et de l’honneur du drapeau, qu’on en oublia qu’elles furent muettes quand cette même mémoire fut souillée par Rabah Kébir, annonçant que le FIS s’inspirait du PPA, s’amusant à l’odieux parallèle entre le parti de la haine et celui du sacrifice, entre Madani Mezrag et Rabah Bitat, entre le fils de Hassan El Banna et le père du FLN. Entre l’assassin et le libérateur.

Nos Barbies pleureuses avaient oublié de pleurer en ce moment là.

Je n’ai entendu aucune de leurs voix mortellement nationalistes, ni même d’ailleurs celle des anciens maquisards qui semblent toutes converties à l’art du possible, je n’ai entendu aucune d’elles protester de ce que Boudiaf soit assimilé à Naegellen. Le premier avait interdit le FIS pour sauver une idée de la République. Le second avait interdit le PPA pour sauver l’occupation coloniale.

Mais comme toujours, elles en firent trop.

C’est le péché des pleureuses : l’excès de larmes.

Alors, le père d’un lycéen qui manifestait, les interpella : « Le peuple n’a-t-il pas autant besoin d’une repentance pour les crimes commis avant l’indépendance que pour les injustices qu’il endure depuis 1962 ? Car vous, messieurs, qui vous pardonnera ? »

Pour reprendre la formule de Jules Renard, on se repent toujours des torts irréparables, des torts qu’on a eus envers des gens qui sont morts. À quel droit ouvre donc le statut des vivants ?

Les Barbies pleureuses ne savaient quoi répondre au père du lycéen.

Une universitaire, accompagnée de sa mère, vieille résistante, se leva alors et répondit :

« L’occupant français n’a pas laissé que les blessures, les deuils et l’écrasement de la personnalité. Il a aussi pondu les oeufs de la future dictature des Frères Ali Gator. Oui, les pouvoirs totalitaires qui se sont succédé à la tête du pays depuis 1962 ne sont rien d’autre que la progéniture hybride de l’occupant. Ils en ont hérité l’art du mépris et la science de l’abaissement.

Il faudra bien qu’un jour on se penche sur la relation filiale entre colonialisme et dictature. »

Quel génie ! Novembre, ce ne serait plus seulement revendiquer la repentance de la France coloniale, ce serait, aussi, obtenir celle des régimes joumloukistes.

L’universitaire qui apostrophait nos Barbies pleureuses me fit penser, de nouveau18, à Jacques Derrida, le philosophe disparu, l’enfant d’Alger qui deviendra par la suite l’un des plus célèbres penseurs contemporains : « Possible ou impossible, le pardon nous tourne vers le passé.

Il y a aussi de l’à-venir dans le pardon. Nous aurions, me semble-t-il « contre l’oubli », un premier devoir : pensons d’abord aux victimes, rendons-leur la voix qu’elles ont perdue. Mais un autre devoir, je le crois, est indissociable du premier : en réparant l’injustice et en sauvant la mémoire, il nous revient de faire oeuvre critique, analytique et politique. Citoyens de l’État dans lesquels nous vivons ou citoyens du monde, au-delà même de la citoyenneté et de l’État-nation, nous devons tout faire pour mettre fin à l’inadmissible. Il ne s’agit plus seulement alors du passé, de mémoire et d’oubli. »

L’éminent intellectuel, qui porte un regard charnel et émouvant sur son pays natal dont il reconnaît à l’héritage qu’il en a reçu « quelque chose qui a probablement inspiré mon travail philosophique », avait tout résumé : « Nous n’accepterons plus de vivre dans un monde qui non seulement tolère les violences illégales mais, viole la mémoire et organise l’amnésie de ses forfaits.Notre témoignage critique doit transformer l’espace public, le droit,

la police, la politique de l’archive, des médias et de la mémoire vive. »

Et l’homme, regardant les Barbies pleureuses qui continuaient de se lamenter, répétait inlassablement sa question: « Et vous messieurs, qui vous pardonnera ? »

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Commentaires (29) | Réagir ?

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menani

ami entends tu le bruit sourd du pays qu'on enchaine?

......

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Allergie

Sur l'un des murs de mon petit bureau se trouve un article intitulé "Nous ferons vos années de prison" datant d'Avril 2001...

C'était un article digne d'un grand homme libre quoique vous ayez fait leurs années de prison. J'espère qu'un jour eux aussi en feront de plus longues.

L'Algérie a besoin de beaucoup d'hommes comme vous, Monsieur pour la sortir de ce cauchemar.

Good luck!

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