Université d’Alger-2 : Territorialité et pédagogie de "l’insignifiance comparée" du savoir en caserne

Université d’Alger-2 : Territorialité et pédagogie de "l’insignifiance comparée" du savoir en caserne

Nous empruntons la notion de l’"insignifiance comparée" à Umberto Eco, dans un contexte qui ne serait nous éloigné du contenu de la présente contribution.

Par Mohamed Karim Assouane (*)

La construction ou la réhabilitation de bâtiments universitaires montrent bien que les territoires ne constituent pas de simples lieux d’implantation et de réception de projets : ils sont, ce que Isabelle Pailliart (1), nomme des acteurs qui influent sur ces projets.

Le cas s’est présenté à nous lors de nos enseignements à l’Université d’Alger-2 (campus central de Bouzaréah), où nous l’avions abordé auprès d’étudiants de méthodologie du travail universitaire (2). Nous orientions nos apprenants en direction d’une recherche monographique sur la genèse et l’histoire de ce lieu, son développement et la fonctionnalité de ce cadre de vie sociale estudiantin. C’est aussi un espace de confrontation et de partenariat dans lequel émergent deux conceptions celle de la société et celle de l’université.

Le travail de documentation et d’information sur le lieu de la formation universitaire (LFU), en question, fait apparaitre des niveaux de lectures de la pratique universitaire telle qu’elle est envisagée au sein de cet établissement de formation et d’éducation. Des niveaux de pratiques universitaires ritualisées et codifiées.

1. Du casernement du savoir au savoir en caserne

L’actuel campus universitaire est situé dans un véritable belvédère de la capitale algérienne, perché à 269 m d’altitude. L’environnement entourant le campus plusieurs institutions pédagogiques et scientifiques de premier ordre : le Centre de Recherche en Astronomie, Astrophysique et Géophysique (CRAAG), un Observatoire astronomique datant de la fin du XIXe siècle, aujourd’hui rénové et équipé, la Télédiffusion Algérienne (le centre TDA), le siège de l’Agence Spatial Algérienne (ASAL) et enfin l’illustre École Normale Supérieur (ex- École Normale d’Instituteurs, datant de 1865).

Le site de l’Université d’Alger-2 fut un territoire que nous pouvions inscrire comme "nouveau lieu de formation" (NLF), toujours selon la réflexion d’Isabelle Pailliart. Historiquement, d’un terrain servant à la DCA des Forces Alliées, lors du débarquement anglo-saxon en Afrique du Nord pendant la Seconde Guerre mondiale, à celui d’un établissement de formation des sous-officiers des Transmissions de l’armée française (EMAT-AFN) pour devenir celle de l’Armée algérienne et ce jusqu’en 1987.

Aujourd’hui, cette ancienne "caserne" des Transmissions ne connait pas de grands changements par rapport à sa genèse édificationnelle, que par le nombre, toujours croissant, des étudiants qui poursuivent leurs formations dans les domaines des sciences humaines et sociales.

Il est édifiant de signaler que les deux annexes dépendantes du campus central et situées à quelque 2 à 3 km furent des campements militaires durant la présence coloniale française. L’Université d’Alger-2 se territorialise dans un espace initialement pensé sur la base d’une répartition de tâches et configuration des fonctions qui n’adhèrent nullement aux exigences de la formation universitaire.

A cet effet, l’institution universitaire en question finit par délocaliser les départements des langues étrangères, de sociologie, de psychologie, d’histoire et de philosophie, de l’historique Fac centrale en plein cœur d’Alger, vers des hauteurs toujours marquées par le domaine de la signification.

2. Blocs et "techniques" de la dispersion

Le campus universitaire d’Alger-2 est né en octobre 2009 après une autonomisation sous la seule forme de scission de biens immobiliers de l’ancienne Université d’Alger, en 03 "universités" distinctes. En juillet 2010, le présent LFU est destiné aux langues, sciences humaines et sociales. Administrativement, l’espace de formation du supérieur est récent, territorialement il ne fait qu’occuper les lieux d’un casernement qui perdure.

Le découpage administratif est bien éloquent. Le bâtiment B, dit de la Faculté des langues étrangères (allemand, anglais, espagnol, français et italien) est un édifice datant d’août 1958, et qui abritait les services Techniques de l’EMAT coloniale. Les autres, 04 blocs dits des "Troupes" (anciens dortoirs pour élèves en formation et datant d’entre 1955 et 1958), abritent aujourd’hui les départements de philosophie, d’histoire et de bibliothéconomie.

Nous signalerons au passage que 40% du bâti dégagent une urgence de renouvellement et de réhabilitation des moyens de la formation permettant une profonde réorganisation interne, devant l’amplification d’un discours qui entremêle l’idée d’une synergie entre les domaines de la formation, de la recherche et de l’économie locale ou nationale. Un discours qui s’enferme de plus en plus dans le rituel du cérémonial et de l’inaugural.

Ainsi la question est posée. La réalisation des lieux, cités précédemment, en lieux de formation, correspondent-ils à une réelle évolution profonde de l’université qui, souvent appréhendée comme une structure imposée au local, se présente comme un "acteur" d’un développement urbain et devient partir prenante de la vie locale. Nous pensons que la territorialisation du secteur universitaire se heurte à des logiques largement extérieures au secteur de la formation et en particulier à ces stratégies qui animent la gestion politique d’un territoire.

N’est-ce pas que depuis les événements qu’a connus l’université algérienne de 1980 à 1986, ont poussé les acteurs politiquesàe mettre sous haute surveillance les exercices de la formation universitaire. Et la délocalisation des départements et instituts les plus "rebelles" et foyers de la contestation politique et culturelle vers le belvédère démilitarisé de Bouzaréah, entre dans l’esprit du casernement du savoir en délimitant ses champs d’interventions dans son espace social.

Nous croyons que derrière l’importance que l’on accorde au savoir, se manifeste une conception de la société. Mais délocaliser des départements estimés historiques d’une faculté centrale qui a contribué à la reconfiguration de la sphère du savoir au-delà du territoire national, c’est réduire ces espaces de confrontations du savoir et des idées à des nucléides locaux et "vocaux" que personne ne sent, ni écoute, ni entend. Une localisation dépourvue de sa territorialité sociale et économique.

La localisation de l’Université d’Alger-2 aurait dû s’accompagner d’une politique d’équipement en matière de nouvelles techniques d’information et de communication, afin de faciliter l’entretien des relations, non seulement avec d’autres antennes ou même d’autres services au sein de la même université. Rien de cela ne s’est fait depuis 06 années d’existence juridique. Bien au contraire les nouveaux lieux de formation mettent bien en évidence la manière dont les différents espaces et les différents acteurs qui les animent coexistent ces mêmes acteurs (enseignants, enseignés et administratifs) et les stratégies sont bien disparates.

3. Formalisation de l’enfermement

Nous ne sommes pas sur un campus, mais devant un désert et le sens donné se refuse à nous. Ce n’est ni Babel ou le chacun pour soi, ni Grand récit utopique fédérateur, mais bien un désert qui devient chaque jour notre ordinaire. L’Université d’Alger-2 est l’espace même de la crise, le temps de l’infidélité.

Si le désert est dans sa symbolique première, est cet espace de liberté, introduit par l’épreuve du vide et des silences, la campus en question, conjure l'angoisse, fuyant par les séductions, les divertissements et les délégations à une autorité faisant semblant d’être déjà là. Les illusions d’une maitrise quelconque indiquent bien des risques qui ne cessent d’être développé par le verbalisme et la dissociation illimitée du savoir.

En tentant d’historiser ce LFU, nous avons été pris d’avance au mois de février 2016 par le classement ministériel (la voix officiel) des établissements de la formation du supérieur. Alger-2 est à la 58e place sur les 84 autres universités, centres universitaires, Instituts et Écoles. A-t-on jeté une pierre dans la marre ? Ou jette-t-on les clefs sous le paillasson ?

Loin des propos que nous empruntons à l’édifiante étude de Jean Agnès (3), il y a un vécu qui surpassa tout constat. Le malaise au travail ne se fait plus que ressentir, il est une permanence de la pratique ritualisée au rythme de l’abandonne. Les édifices témoignent d’une cadence de vie organisée aux rythmes des règlements uniformisés, certes, mais enrichis à chaque fois que l’institution militaire évolue dans ses formations (dans le sens le plus large du terme), ses besoins et ses stratégies. En changeant de mains, les présents édifices traduisent aujourd’hui dans leur fond, la réglementation de l’arbitraire, imposée par les nouveaux décideurs ou gestionnaires, indiquant des prescriptions, explicites ou implicites, dont la transgression s’accompagne de sanctions diffuses.

Les règles qu’ils instaurent ne cessent de tracer des limites et des frontières, comme dans l’action entre ce qui est permis et ce qui est interdit, vis-à-vis des identités formées entre des groupes d’appartenance, métiers, fonctions et qualifications. L’objectif est d’intégrer toutes ces composantes dans une totalisation et donc, la formalisation de la sphère universitaire.

La science sociologique n’a cessé de le montrer et de le démontrer, la formalisation d’une institution sociale, telle l’université, induit une série de conséquences fâcheuses qui prêtent le flan à la critique et provoque un dysfonctionnement organisationnel multiple. La réglementation, devenant fin en soi, se transforme en un "ritualisme"des règles, donnant à la vie universitaire un repli défensif sur les procédures prescrites, non par l’institution de tutelle universitaire, mais par de "gourous", à la solde d’un développement de processus informels qui paralysent, en réalité, le circuit officiel des décisions. Elles ne cessent d’engendrer des fictions, voire même des fissions, laissant le corps enseignants et enseignés complètement détachés des pratiques effectives de la recherche et d’enseignement. Il est certainement nécessaire de penser (et non de repenser machinalement et loin des «assises» qui ne font qu’assoir les assaillants des lieux du savoir) l’institution de la connaissance, qui est basée sur les deux critères fondamentaux, celui du travail partagé et de l’apprentissage collectif.

La question renvoit certainement à des aspects "politiques" de l’institution universitaire. Le campus d’Alger-2 fut aussi le talon d’Achille des faiblesses politiques du renouveau des valeurs du changement social. Il est aujourd’hui, l’expression de la pression que réalise le conformisme intellectuel, par la standardisation des savoirs, l’exclusion des critères de reconnaissance de la recherche scientifique novatrice et l’enfermement cavernicole dans la seule gestion des carrières.

M. K. A.

(*) Maitre de conférences. Université d’Alger-2.

Note :

  1. Isabelle Pailliart, «Formation universitaire et territorialisation», Études de communication, 19 | 1996, 101-110.

  2. C’est dans le cadre d’un travail sur la méthodologie de la recherche universitaire, que deux travaux, en l’occurrence celles de Mlles. Nadine AZIZEN et Imène ARAR (Département de français,Université d’Alger-2), ont brillées par la pertinence de leurs contenus. Travaux dont nous recevions l’aimable autorisation d’utiliser les données historiques cités plus haut.

  3. Jean Agnès, «Utopie et pédagogie : le paradoxe du désert», Le Portique, 6 | 2000.

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Commentaires (2) | Réagir ?

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adil ahmed

merci

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Kacem Madani

Je n'ai rien, mais alors là rien de chez rien, compris à ce texte ! Mais c’est quoi ce pataquès analytique ? Bon ben, si d’autres lecteurs ont compris de quoi il s’agit, je demande à être interné de mon plein gré pour une « rehab » accélérée (au sens Emily Whinehouse) ! Allah ghaleb, wakila Alzheimer ra ou idour biya ou mazal ma fekt’ch