De la misère sexuelle en général et de la misère intellectuelle en particulier

La violence  faite aux femmes est consubstantielle à une grande partie de la société en Algérie.
La violence faite aux femmes est consubstantielle à une grande partie de la société en Algérie.

Cadrons le débat au préalable : tout ce qui suivra ne concernera que les Algériens et les Algériennes, c’est le milieu que nous sommes censés connaître le mieux.

Données de base, irréfutables :

1) Pour sortir avec des hommes, beaucoup de filles en hidjab (mais pas nécessairement imbues d’une quelconque conviction religieuse), changent de tenue dès qu’elles s’éloignent du quartier où elles résident (s’il s’agit d’une ville), ou dès qu’elles quittent leur village pour se rendre ailleurs avec les mêmes intentions. Précisons cependant que, dans bien des cas, le port du hidjab est imposé seulement par la vétusté du budget "habillement".

2) dans certains endroits clandestins, on peut procéder à des curetages pour "libérer" les filles d’une grossesse non désirée, à des accouchements quand il n’y a pas de moyen de faire autrement, ou recoudre des hymens. Moyennant de fortes sommes d’argent. Que ces filles aient fait l’amour volontairement, par erreur, ou à cause de promesses de mariage non tenues, importe peu pour l’objectif de l’essai. Filles de bonne famille, fils de bonne famille, tous jurent en être, mais nous savons bien que cette notion ne veut plus rien dire de nos jours.

Poursuivons. Le téléphone portable, les études, le foisonnement des moyens de transport, les ressources financières, l’internet et ses immenses offres, et même les appartements qu’il est possible d’acquérir par le biais de connivences avec les autorités, sont autant d’atouts qui permettent à une femme, si elle le désire, de faire la connaissance d’un homme, d’organiser une sortie avec lui, puis une autre jusqu’à, éventuellement, l’acte fatal qu’en général elle devra assumer seule, la fourberie de l’espèce mâle étant légendaire. La religion est là, bien sûr, qui peut tenter de l’en dissuader par la crainte de l’Enfer ; le déshonneur aussi, et les sévices, si ses parents venaient à le savoir ; la société peut également se manifester pour crier à l’atteinte à… blablabla (mais moins pour d’autres questions comme le Savoir,le respect, la propreté corporelle et l’environnement). Ce que nous ne devons jamais oublier, nous algériens, c’est que beaucoup de nos femmes ont défié la barbarie intégriste, au péril de leur vie, pour ne pas céder au diktat de cette dernière (très peu d’hommes peuvent se vanter d’en avoir fait autant), et sans armes. En d’autres termes, à moins de l’égorger, personne ne peut empêcher aujourd’hui une femme d’avoir des rapports sexuels si celle-ci se met en tête de le faire. Il est très difficile également d’empêcher quelqu’un de se droguer, ou de se suicider.

L’Histoire est donc là là qui affirme que c’est la prohibition qui entraîne la clandestinité, laquelle, à son tour, engendre les plus grands méfaits sociaux, et des dégâts incommensurables du point de vue de la santé physique. En France, la morale hypocrite a fait fermer les lupanars, elle s’est retrouvée avec le Bois de Boulogne et l’accostage ‘’discret’’ dans les rues ; nombre de pays occidentaux sont d’ailleurs en train de constater que la répression mène systématiquement à plus grave. Chez nous, on fait de nuit des descentes violentes, illégales, dans les débits de boissons pour ‘’casser du buveur’’ en pensant résoudre un problème par le feu et l’agression physique ; le matin, les éboueurs ramassent des quantités fantastiques de cannettes et de bouteilles de vin et de bière sur les trottoirs, sous les arbres et les murs, sur les plages aussi. Nous avions appris, lors d’un séminaire au Koweit en 1986, que les taxieurs locaux pouvaient fournir, à la demande, vins et liqueurs (eux-mêmes se ravitaillant dans les ports), et que certains rendez-vous galants étaient possibles dans de discrets appartements sur coup de fil. En usant de prudence, bien sûr.

Pourquoi tout ce préambule, eh bien pour dire que c’est manquer d’honnêteté intellectuelle que d’incriminer l’Islam pour les tares de notre société, car si celles, chrétiennes et juives, avaient attendu la réforme de la Bible et de la Thora, elles vivraient encore au Moyen-Age. Impuissant, le Vatican constate (sans cautionner) une liberté des mœurs qui aujourd’hui autorise l’union libre, celle entre personnes du même sexe, l’avortement, le sexe sans la procréation, et s’aperçoit, anathème insupportable, que ses propres prêtres ne sont pas exempts du péché de la chair sur mineurs (comme parfois nos chers imams). On peut aller plus loin et dire que sans la révolution industrielle (grande consommatrice de bras féminins), sans l’école, sans la contraception, sans de grands noms comme Simone de Beauvoir, et bien d’autres opiniâtres pionnières, telle Simone Veil ou Gisèle Halimi, les françaises n’auraient pas les droits qu’elles ont obtenus (et il leur reste pourtant bien du chemin à faire) ; on peut même ajouter que l’homme n’a pas été, et continue de ne pas l’être, d’un grand secours pour elles (sauf dans la conception de l’électroménager, ou autres aspects à caractère mercantile). Donc, qu’on l’admette ou non, c’est la femme qui est dans le rôle de locomotive de la société dans le domaine de la sexualité, l’homme en profite quand ça l’arrange, mais tient à la cantonner dans le statut de pourvoyeuse de plaisir ; dès qu’elle prétend à d’autres fonctions, auxquelles l’université la qualifie amplement, celui-ci brandit le carton rouge de la religion ou d’autres billevesées.

Aussi, nous considérons que parler de misère sexuelle en Algérie est inexact si on ne se place pas sur le référentiel occidental, c’est-à-dire marcher la main dans la main, ou se bécoter en public. C’est l’Etat qui, à des fins politiques, fausse le jeu le premier en accordant à une partie de la population le droit d’imposer sa vision des mœurs ( et ses commandements) à une autre partie de la population, au lieu de réguler et de protéger par la loi seulement, et par l’application juste de la loi ; l’Etat prouve également sa duplicité en laissant pourrir la situation dans le domaine de l’Education nationale : en un mot, l’Etat crée, à dessein, l’anarchie en s’immisçant dans pratiquement tous les domaines, politique, économique, social, culturel au lieu de laisser le peuple trouver sa voie par la confrontation des propositions. Nos femmes se battent seules, admirables. Elles réussiront, en avançant centimètre par centimètre, année après année, en agissant, sans pérorer comme le font certains de nos intellectuels dont l’indigence des réflexions fait peine. Quand on dit, devrait-on rappeler à ces derniers, il faut avoir le courage de défendre ses idées, mais surtout de proposer des alternatives sans se limiter à sublimer une culture par rapport à une autre. Trop facile, et sans mérite. Une religion ne se réforme pas, par définition, puisqu’elle n’émane pas de l’homme. Par contre, une société est condamnée à évoluer sous peine de disparaître, et pour cela, on a besoin de grands esprits qui proscrivent l’amalgame entre l’humain et le divin, et s’engagent résolument à accoucher de projets audacieux pour le bien de leur société.

Tout le monde sait que c’est l’Etat qui est responsable de la condition déplorable de sa société ; par conséquent, il s’agit de ne pas se tromper de cible. Alors, quand certains parlent du courage de tel chroniqueur célèbre à ‘’enfoncer des portes ouvertes’’, nous ne pouvons qu’au mieux sourire ; quand nos journaux ouvrent leurs colonnes à des vociférateurs qui vilipendent universitaires nationaux et étrangers dans de piteuses et stériles logorrhées, et écornent la pseudo-réputation d’objectivité des dits-journaux, nous ne pouvons que nous attrister de notre misère intellectuelle ; quand des lecteurs s’en prennent par l’invective à quelqu’un qui ose s’impliquer dans le débat par une approche lucide mais différente, ou parce que tout simplement il ne porte pas un nom connu, alors il faut craindre que l’intolérance n’ait gagné plus de terrain ; quand la liberté d’expression n’est admise que d’un côté des Pyrénées (ou juste pour des personnes sélectionnées sur on ne sait quels critères), et muselée de l’autre, non pas par le Pouvoir mais par les médias qui se réclament de la liberté d’opinion, c’est le signe que les nuages sombres ne sont pas près de quitter notre ciel. Il y a néanmoins dans ce vaudeville de mauvais goût, et contre toute attente, un point porteur d’espoir de nous en sortir un jour, c’est lorsque l’initiateur de cette stupide polémique de quat’sous nous avoue qu’il s’est défait de son endoctrinement passé par la lecture. Et là nous tombons en admiration devant cette franchise, ce courage, et nous nous frappons la tête en nous écriant: diantre, mais la voila cette recette magique qui va nous extraire de notre misère intellectuelle. Lire, sacrebleu, lire ! Tout simplement. Pour un peu, nous serions passés à côté d’un magnifique message qui nous aurait évité ces querelles fratricides entre fils de bonnes familles. Alors, lisons mes frères et mes soeurs, lisons, et faisons lire nos enfants et nos épouses, nos amis et nos voisins, nos journalistes et nos enseignants, nos députés et nos gouvernants ! Alléluia !

Bacha Ahmed,

Universitaire

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Commentaires (4) | Réagir ?

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Toufik KLOUL

Cachez ce corps qui me pèse, cachez ce corps que je ne saurai regarder !

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Caton L'ancien

Bonsoir

Vous parlez d'intellectualité dans notre pays, je pense que pour trouver des personnes répondant à ses critères, il faudrait peut-être se munir d'une lanterne comme l'a fait Diogène dans son pays pour trouver un Homme. Instruits c'est déjà excellent pour l'engeance que nous sommes.

Pour ce qui est de pousser les gens à la lecture, c'est une initiative très honorable, seulement il faudra faire très attention car il y a lecture et lecture; ne dit-on pas que : "Science sans conscience n'est que ruine de l'âme".

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