Aziza Brahim : grâce, passion et tragédie d’une hirondelle sahraouie !

Aziza Brahim
Aziza Brahim

C’est l’histoire d’une femme de 40 ans. L’âge de la convoitise suscitée par la terre de ses ancêtres, au départ des colons espagnols. Une terre pourtant bien désertique pour attirer onques appétences de la part de voisins, censés vibrer aux rythmes d’une "rahma" céleste, et qui au lieu de tendre une main fraternelle à ces peuplades, malmenées par moult conquérants, pour leur apporter assistance, soutien et chaleur humaine, ont préféré user et abuser de moyens et de recettes farouches pour envahir et remplacer les colons précédents.

Par Kacem Madani

Les moyens d’une force et d’une supériorité guerrière disproportionnées, tout en convoquant des antécédents historiques, ces ultimes références et justifications que l’on brandit pour s’approprier la terre pourtant ingrate des hommes du désert. C’est une histoire dont la grandeur et le caractère féérique sont bien supérieurs à ceux de nos dirigeants musulmans. Ces monarques qui s’octroient des rangs surélevés par rapport à ceux des tribus qu’ils sont censés diriger avec attention, affection et assistance. C’est une histoire qui amplifie, en musique et en émotions vocales exceptionnellement puissantes, la dimension tragique du destin de ces peuplades ballotées par des souverains conquérants programmés pour confisquer des contrées proches ou lointaines, quitte à décimer les populations d’origines millénaires.

Ces peuplades pourtant paisibles sont justes bonnes à sacrifier sur l’autel de messages supérieurs qui ordonnent force, ruse et armées pour imposer une paix divine, leur paix à eux n’étant pas cautionnée par une estampille céleste purifiante. C’est l’histoire d’une femme née il y a 40 ans, dans le camp de réfugiés sahraouis, à proximité de Tindouf, que l’Algérie avait installés dans les années 1970 pour accueillir celles et ceux qui avaient fui la Guerre du Sahara occidental. Aziza n’a jamais connu son père, resté à El-Ayoun quand la maman avait fui, sans doute poussée par un instinct maternel supérieur pour protéger l’avenir de l’enfant qu’elle portait.

Ayant grandi dans les conditions difficiles de ces camps incommodes installés dans le désert, Aziza se laisse enchanter par la musique avant de réaliser que le chant, cette source de divertissement accessible à tous, pouvait servir de moyen naturel pour exprimer et communiquer ses propres émotions, ses propres pensées pour en concocter une recette de résistance pacifique, face à des hordes de conquérants déshumanisés par une soif insatiable, celle d’occuper et de piller les territoires des autres.

Chaque titre du dernier album d’Aziza Brahim "Abbar el-Hamada"(*) est un enchainement de complaintes et de tourments poignants, un condensé de cris de colères enrobés d’une voix à la fois forte, passionnée, gracieuse et douce, un message d’humanisme raffiné et amplifié par des accords musicaux célestes qui s’élèvent tel des hirondelles insaisissables au-dessus de l’éternelle insanité des hommes.

Le texte qui accompagne la pochette de «Abbar el-Hamada» en dit bien plus que mille discours: «Un regard autour de moi, après 40 années d’occupation, d’exil, de diaspora. Une conversation entre émigrants, réfugiés et permanents; entre patriotes, expatriés et apatrides; entre installés et déplacés; entre nomades et sédentaires; entre Sahariens, sub-sahariens, nord-sahariens et Sahraouis. Un dialogue entre pays, entre cultures, entre générations, entre tribus, entre croyances, entre peuples. Les peuples qui n’ont pour uniques armes que leurs mots, leur voix, la peau de leurs mains et celle de leurs derboukas. Avec pour unique intention celle de changer le cours des événements avec leur musique, leur imagination, ne serait-ce que pour des instants furtifs. À travers les grillages, les barrières, les camps, les barres de fer, les barbelés, les mers, les montagnes, les rivières, les frontières. À travers le Hamada».

Que rajouter d’autres à tels aphorismes, sinon souhaiter que la musique de "Abbar el-Hamada" adoucisse aussi les mœurs de ces conquérants intolérants et de ces gouvernants autoproclamés qui, blottis dans un confort pervers, font fi du sort de milliers d’êtres humains ?

Chaque titre, chaque lexie, chaque note de cet album, servis par une voix qui navigue, au gré des messages qu’ils délivrent, entre complaintes rauques et lamentations douces, vous submerge de flots et de vagues d’émotions incessants qui en appellent à l’espoir, la paix et le vivre ensemble dans la cité des hommes. Des complaintes et des hymnes à la liberté que seules les souffrances d’une exilée peuvent ainsi vous en remuer les entrailles.

Pour ceux qui les ont vécus, l’écoute de cet album vous entraine inévitablement vers ces instants d’angoisse intense pendant lesquels, au terme des 6 mois d’instruction à l’Effor de Blida, nous attendions notre affectation pour les 18 mois suivants. Le cauchemar de Tindouf et autres postes frontaliers avec le Maroc nous poursuivant chaque nuit avant le jour J de la libération, pour un poste d’officier dans une caserne proche d’Alger pour les plus chanceux où dans des camps beaucoup plus lointains pour de nombreux malheureux!

Si la question Sahraouie empoisonne les relations entre le Maroc et l’Algérie depuis plus de 40 ans, Aziza nous interpelle et nous fait comprendre que ce poison, qui repose essentiellement sur les egos surdimensionnés de Boumediene et de Hassan 2, a, avant tout, gâché la vie de milliers de Sahraouis, et qu’il est grand temps que cela cesse, à travers un grand Maghreb des Peuples et non plus un Maroc des monarques appartenant à une descendance venue d’Orient et une Algérie des autocrates qui n’appartient qu’aux clans qui gravitent autour des Bouteflika et de ces nombreux FLiN-tox zélés, sans cœurs et sans âmes, prêts à composer avec tous les diables du ciel et de la Terre pour garder titres, privilèges et autres bienfaits.

L’échec de nos gouvernants est si lamentable qu’ils ont réussi à inhiber en l’exilé toute envie d’un retour permanent. Bien au contraire, parmi les expatriés qui ont fui leur pays, nombreux sont ceux qui ont réussi à s’intégrer de façon quasi symbiotique dans leur contrée d’accueil, bien plus que dans le terroir où ils sont nés (**) !

A cet égard Aziza aussi semble tisser son chemin pour la gloire, telle une hirondelle solitaire qui annonce à elle seule le printemps, au grès de survols, entamés à Tindouf pour regagner Cuba et, tour à tour, l’Espagne la France et l’Allemagne. Reste à souhaiter que pour les prochaines victoires de la musique, la politique néfaste ne s’invite pas pour empêcher qu’un trophée dans la catégorie world-music soit attribué à Aziza, car "Abbar el-Hamada" est un album abouti, qui transpire une maturité musicale exceptionnelle, et qui rappelle étrangement le fabuleuxv "Amassakoul" qui avait, en 2004, propulsé la carrière de Tinariwen au niveau international que l’on connaît, collectionnant depuis acclamations, gloires et oscars. Nul doute que cela aiderait à porter l’attention du monde sur cette tragédie oubliée du problème sahraoui !

K. M.

(*) Aziza Brahim, "Abbar el Hamada", glitterbeat.com

(**) Pour preuve, cet hymne à Paris que JiJi nous envoie d’Alger

Il faut que je rentre

Chez moi

Dans mon Paris miroir

Âme de ma vie

Ses ruelles sous la pluie

Sa bonhomie

Ses marchés de merveille

Ses amoureux aux terrasses de café

Ses intelligents avec l'air de rien

Ses passants désinvoltes

De tous les pays de toutes langues

Et ses livres en brocante et en étal

Ma ville de culture

Que j'aime tant.

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Commentaires (2) | Réagir ?

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Salah Lyassa

Je suis sûr qu’on retrouvera un jour Aziza Brahim et Oum El Ghaït Benessahraoui, côte à côte, ensemble, à M’Hamid El Ghizlane, chantant avec leurs merveilleuses voix Taragalte. Toutes les deux se retrouveront certainement dans leur histoire mémorielle commune.

A M’Hamid El Ghizlane on racontera avec plaisir à Aziza et Oum qu’un célèbre Filalien, Le Sultan Moulay Ismaël, connu pour avoir demandé la main d’une fille de Louis XIV, la princesse de Conti, était non seulement le fils d’une chenguiti, mais aussi fut marié à Lalla Khnata Bint Bekar de chenguit.

On leur dira (à Aziza et à Oum) que lalla Khnata bint Bekar, la seule enterrée aux côtés de Moulay Ismaël à Meknès, était cette grande dame qui a gouverné le Maroc pendant 25 ans, jusqu’à l’accession au trône de son petit fils le Sultan Mohammed III (aïeuls de Mohammed VI) qui permet au Maroc d'être le tout premier pays à reconnaître l’indépendance des États Unis.

On dira à Aziza et à Oum, que lalla Khnata bint bakar qui était l’épouse puis la mère et la grande mère de trois sultans Marocains est une chaguiti. Que, son mari le Sultan Moulay Ismaïl né à Tafilelt est lui aussi le fils d'une chenguiti. Mais aussi, on précisera à Aziza et Oum que les Filalas, (de Tafilalet, creuset de la dynastie régnante au Maroc), vivaient aussi à chenguit, à Sakia El hamra, oued ed-dahab ainsi qu'au Touat.

Ce jour là à M’Hamid El Ghizlane, Aziza et Oum penseront que peut être ont-elle quelques liens de parenté avec Lalla Khnata bint Bekkar.

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YACOV MORD

Les opportunités sont fugitives. Il faut que les dirigeants du Polisario saisissent la main tendue du Roi et celle du peuple marocain. Accepter l'autonomie à l'instar du Royaume de l'Espagne. Une occasion pour retourner dans leur pays et ne pas faire comme les palestiniens qui ont tout perdu à force de vouloir tout conquérir. Nul marocain n'abondera le Sahara. C'est une question de vie ou de mort. car tous les bienfait viendront du Sahara et tous les malheurs aussi viendront du Sahara s'il est bondonné.

Merci Le Matin qui donne le droit de l'Expression à tous les Citoyens du Maghreb non Unis.