La polémique Kamel Daoud ou le malentendu

Kamel Daoud
Kamel Daoud

Je crois qu’il y a un malentendu. Depuis le début de la polémique née à la suite de la publication de deux chroniques de Kamel Daoud (The New York Times et Le Monde), de nombreux journalistes français et des intellectuels médiatiques, notamment français, ont, volontairement ou involontairement évacué les vraies questions en insistant sur des sujets qui n’ont pas été abordés ni par le «groupe des chercheurs», ni par Rokhaya Diallo, ni par Edwy Plenel ou moi-même.

Par Ahmed Cheniki

L’objet des textes publiés par les auteurs de ces articles n’est nullement Kamel Daoud, mais plutôt l’approche essentialiste et culturaliste qui nous semble dangereuse. C’est vrai que beaucoup de journalistes ou lecteurs (dans les réseaux sociaux et dans la presse) n’ont peut-être pas les outils et les moyens nécessaires pour comprendre un discours qui évite de personnaliser la question.

Notre propos, du moins le mien, consiste à expliquer qu’il n’est nullement possible de réduire l’analyse d’un fait social ou politique à une dimension culturelle ou cultuelle et que chaque phénomène devrait être examiné à l’aune d’une interpellation de type historique. Je sais également que, par exemple, Jocelyne Dakhlia (du groupe des chercheurs) ou Edwy Plenel (Médiapart), que j’ai le plaisir de connaitre, n’ont jamais cherché à s’attaquer au romancier, mais ils n’ont fait que déconstruire, sans violence, ni agressivité, un discours culturaliste qui nous semble porter les germes de la division et de l’exclusion. D’ailleurs, j’ai assisté en juillet dernier à une rencontre à Avignon animée par Plenel et Daoud avec lesquels j’ai eu une discussion très cordiale et intéressante, au terme de cette rencontre. Daoud n’est nullement l’objet de nos interventions, mais l’approche essentialiste qui contribue à la fabrication d’identités statiques, figées, favorisant l’idée d’un inéluctable affrontement entre le monde dit "arabo-musulman" et l’"Occident" marqué par les binarités illustrée par l’emploi de poncifs et de stéréotypes : modérés/fanatiques, civilisé/Barbare. On fabrique son propre "Islam", son "Occident", son "conflit", on singularise radicalement l’étranger, le "monde arabo-musulman" et "l’occident", présentés comme différents et antagoniques et on emploie un champ lexical de la peur de la menace et de la violence où les termes, péril, fascisme vert, "monde d’Allah"…reviennent comme des leitmotive.

Mon objectif n’est pas de charger un écrivain dont j’ai lu tous les textes, mais de dénoncer un discours qui contribue à une lecture fondée sur une illusoire opposition entre deux constructions idéologiques "monde arabo-musulman" et "Occident". Je n’ai, à aucun moment, attaqué Daoud ou quelqu’un d’autre, mais des idées. Il faudrait que les uns et les autres, surtout en France, apprennent à entretenir un débat d’idées, loin de la personnalisation, de l’exclusion et de l’invective. Dakhlia, Roy, Marouf ou Diallo ont tout simplement développé un discours récusant toute opposition binaire et favorisant le mouvement, la rencontre et le métissage.

Je me souviens avoir dénoncé cette attitude essentialiste lors du festival panafricain d’Alger (PANAF) de 2009 où je m’étais opposé à la manière de présenter les Africains comme des "barbares" et des "sauvages", figés dans une posture éternelle et naturelle de sous-développés. Je n’avais, à l’époque, été seul à dénoncer cela, ce qui m’avait valu les attaques du ministère de la culture et de ses structures.

Le monde n’est nullement figé, statique, mais en constant mouvement fait de réappropriations identitaires, il est le produit de multiples traces et de négociations, de contact et de métissage. Les cultures et les frontières qui ne sont nullement imperméables doivent-être pensées en fonction des conditions socio-économiques et historiques, comme les identités qui sont en constante construction. Dans cet entrelacs identitaire et de ces "voix assiégeantes" pour reprendre Assia Djebar qui insistait souvent sur les jeux hybrides de l’identité, évoquant ainsi ce passage des cultures, à partir des pratiques linguistiques : "Une femme qui vient de la culture arabe berbère, mais qui écrit en français, et dans ce passage de langues, il y a beaucoup plus qu’un passage".

Ainsi, toute démarche, tout regard devraient supposer la référence à l’Histoire et au monde et éviter les regards culturalistes, communautaristes qui flagellent l’idée de rencontre et de métissage, approfondissant la construction, pour des raisons idéologiques, de singularités radicales et de différences artificiellement entretenues. Un débat sérieux est à ouvrir.

A. C.

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Commentaires (6) | Réagir ?

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chawki fali

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ahmed djaber

Si KD avait écrit ces articles a une autre occasion, personne n'aurait crié au scandale, car ce qu'il a dit est tellement vrai. Tout le monde a profité de l'occasion pour lui tomber dessus a cause du timing qui lui a été défavorable. Mais qu'on le veuille ou non, il a raison sur toute la ligne.

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