Retour de Calais : l’homme est-il vraiment un loup pour l’homme ?

Les réfugiés pourchassés par les CRS.
Les réfugiés pourchassés par les CRS.

Nous retrouvons Yolaine, la permanente de SALAM, au pied du beffroi de Calais et de la statue des célèbres bourgeois et nous suivons sa voiture. A proximité du camp, nous dépassons des cars de CRS, ils ne nous arrêtent pas, ils sont dans un bon jour semble-t-il.

La route qui longe le camp est défoncée, parsemée de trous remplis de boue liquide ; nous dépassons des gens qui marchent en donnant l’impression de n’aller nulle part, nous arrivons devant des hangars ouverts sur le grand côté et donc balayés par le vent glacial, vent qui a quand même l’avantage de chasser la pluie : ils font la queue pour recevoir un morceau de pain pour petit déjeuner. Nous les verrons plus tard jeter soigneusement le papier d’emballage dans les poubelles qui parsèment le camp et qui sont vidées par des MSF.

Cette partie est un ancien centre de vacances avec des baraques en bois longues et basses ; elles m’évoquent immédiatement les baraquements des camps nazis.

Nous arrivons au local de SALAM, petite baraque un peu à l’écart, d’environ 45 m², encombrée de tout ce qui est apporté comme vêtements, couvertures, nourriture, médicaments et chaussures.

Nous déchargeons le camion et, aussitôt, 2 réfugiés proposent leur aide et nous faisons une chaine pour entasser les caisses à l’intérieur.

Le camion est vide et d’autres réfugiés, voyant le local ouvert, s’approchent pour demander des chaussures en remplacement de celles qu’ils ont aux pieds et qui sont trempées, défoncées, à bout d’usure. Nous commençons à leur en donner, ce qui attire d’autres réfugiés et il faut bien à un moment leur dire que la distribution aura lieu à 14h, refuser des chaussures à cet homme qui nous dit avoir un «bambino» est un crève-cœur. Nous le croiserons un peu plus tard avec deux enfants de 1 et 6 ans.

Nous partons à pied pour traverser le camp, les réfugiés sont courtois, polis et très calmes ; rien à voir avec ce que les médias disent. L’ambiance est étonnamment sereine et détendue, malgré ce qu’ils vivent.

Il y a bien des violences, nous dit Yolaine, mais c’est entre les passeurs qui se disputent la «clientèle» ou avec la mafia albanaise qui cherche à soudoyer les enfants pour leur faire introduire de l’alcool ou de la drogue dans le camp.

Le chemin est pour partie empierré, mais partout inondé et boueux, les abris en feuilles de plastique, parfois des tentes, des grandes, des petites, des intactes, des abimées.

L’eau a été installée par la commune, et ils se lavent, à l’eau froide, dehors, dans le vent glacial qui souffle de lundi sur la région.

Les réfugiés sont soit souriants soit abattus. Renseignements pris, ceux qui sourient, regardent devant eux et répondent à nos saluts quand ils n’en prennent pas l’initiative sont ceux arrivés récemment, ils sont encore vivants. Les autres regardent le sol, les épaules voutées, la démarche mécanique, ils sont là depuis un an, un an et demi, deux ans ; ils n’ont plus d’espoir et plus de vie. C’est terrifiant, j’ai honte.

Nous croisons plusieurs groupes de jeunes anglais et anglaises qui viennent passer deux ou trois semaines dans le camp, où ils vont vivre avec les réfugiés, comme les réfugiés. Les filles, jeunes et blondes, ne sont ni importunées, ni même "matées"par les réfugiés qui sont très respectueux.

Plusieurs "installations" portent des inscriptions à la gloire de l’Angleterre ou de la France, ou sont ornées de drapeaux syrien, afghan ou d’autres pays ; il y a une école des beaux-arts, une "petite maison bleue sur la colline", quelques pensées, une tour de cannettes …. C’est surréaliste et très touchant.

Quand nous repartons, seul celui qui conduit ne s’endort pas, les autres en profitent pour "encaisser" le choc de ce que nous avons vu et, le soir, nous serons, Sandrine et moi, encore très perturbés pendant toute la soirée.

Que faire de plus ?

Pourquoi les CRS arrêtent-ils pendant 20 minutes le président de SALAM et jamais les mafieux albanais ?

Comment laisser des humains là où on ne laisserait pas des animaux ?

L’homme est-il vraiment un loup pour l’homme ?

Philippe C.

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