Faut-il fermer les bibliothèques universitaires ?

La bibliothèque nationale
La bibliothèque nationale

Il est connu que les trois missions essentielles et interconnectées de toute université consistent à enseigner, à pratiquer la recherche afin de produire du Savoir et puis à conserver celui-ci, notamment dans des bibliothèques universitaires (BU) ; ces espaces où sont rangés et sériés divers documents, sur support papier entre autre, et que la communauté universitaire peut emprunter ou consulter sur place, pour des nécessités liées à l’enseignement ou la recherche.

Les salles de lecture ou de travail rattachées à la BU constituent aussi un lieu qui devrait permettre aux étudiants de travailler ensemble, puisque le travail d’un groupe réduit et organisé, stimule en offrant un certain nombre d’avantages. Constituant la moitié de la charge accordée théoriquement aux résultats d’apprentissage, le travail personnel et en groupe en dehors des séances d’enseignement est donc primordial et attendu, car il s’inscrit très fortement dans les objectifs du LMD, un système encore controversé dans sa forme ou son fond, soit dit en passant.

Dès lors, que peut-on dire des horaires d’ouverture des BU nationales qui utilisent les documents sur support papier ? Pour quelques unes et si l’on se fie à leur site électronique, il semble que la plupart ouvrent de dimanche à jeudi. En outre, si l’on admet que les horaires ne sont pas élastiques, ils sont variables d’une université à une autre. Et si nous supposons que la moyenne d’ouverture est de 8 heures par jour, une estimation bien optimiste, nous en déduisons que l’amplitude d’ouverture est de quarante heures par semaine, valeur que l’on comparera plus bas à des pays voisins, puis d’autres.

Par ailleurs, la quasi-totalité des étudiants, ceux des années de licence en particulier ne consultent pas les ouvrages recommandés par leurs enseignants, se limitant dans le meilleur des cas, à revoir les enseignements dispensés, ou plutôt à revoir leurs prises de notes qui de surcroît sont souvent défaillantes. Pourtant, il est consacré un budget très probablement conséquent, pour l’acquisition d’ouvrages qui ne sont malheureusement même pas feuilletés, puisque flambants neuf même après quelques années sur les rayonnages. D’autre part, le tutorat et les enseignements de type transversal, censés pousser l’étudiant à plus d’autonomie et à un travail personnel documenté, déconstruiront-ils des automatismes enracinés durant de longues années dans les cycles de l’éducation nationale ? Et soit dit encore en passant, les séances de tutorat et ces cours de type transversal (pas fondamental) à faible coefficient ne drainent pas grand monde. Accorde-t-on par conséquent suffisamment d’importance à la gestion pédagogique d’un système ?

Par ailleurs, si nos BU ouvrent 40 heures par semaine, nous pouvons noter que celle de la Faculté des sciences de Gafsa (1) en Tunisie, prise comme référence, ouvre un peu plus que 50 heures. Prenant cette fois ci comme référence le Maroc, et selon les sites où les horaires d’ouverture sont affichés, la BU de la Faculté des sciences de l’université de Marrakech (2) est ouverte durant 37 h 30 par semaine. Quant à la durée hebdomadaire d’ouverture de celles de Tétouan (3), Rabat (4) et El Jadida (5), elle est respectivement de 52.5 h, 55 h et 56 heures. Et puis tenez vous bien, celle d’Ifrane (6) ouvre du lundi au jeudi de 8 heures à minuit, le vendredi de 8 h à 18 h, le samedi de midi à 18 h et enfin le dimanche ( jour férié chez nos voisins de l’ Ouest) de midi à minuit, ce qui fait un volume hebdomadaire de 92 heures, soit un record dépassant celui de pays d’Europe.

En effet, pour le Vieux Continent, la moyenne hebdomadaire est de 65 h (7) sauf pour l’Allemagne (69 h) et la France (61 h). Concernant l’Hexagone, un plan (7) appelé «bibliothèques ouvertes» vient d’être lancé en ce début du mois de février 2016 et dont l’objectif est de «mieux prendre en compte les rythmes de vie et d’études des étudiants en élargissant les horaires d’ouverture des BU et en améliorant la qualité des services, pour améliorer la réussite des étudiants». Selon ses concepteurs, ce plan qui vise à élargir les horaires d’ouverture le week-end, le soir et pendant les vacances, et où les BU doivent s’engager dans les démarches de certification –qualité sur des évaluations externes, fixe ainsi des objectifs qui seront mis en œuvre dès la rentrée 2016 tels que :

- Ouvrir au moins une BU dans chaque université jusqu’à 22 h du lundi au vendredi (journées entières ouvrables), car actuellement, la moitié des BU ferment après 19 heures et le samedi après-midi.

- Ouvrir au moins une BU dans chaque université le samedi après midi.

- Ouvrir au moins une BU dans 40 grandes villes l’après midi du dimanche, jour de repos.

Que dire d’autre concernant la France, le pays le moins bien classé en Europe en matière d’amplitude d’ouverture, et qui nous dépasse toutefois de 21 heures hebdomadaires actuellement ? Notons alors qu’il existe des files d’attente chez eux, et les étudiants se ruent vers les BU où l’on doit effectuer une réservation pour y dégotter une place et consulter des ouvrages.

Pour conclure, et chez nous, l’enseignant élément d’un tout, mais isolé et sans relais pourra-t-il inciter les étudiants à la recherche documentaire où le support papier est incontournable ? Bien qu’ils ouvrent moins de temps qu’ailleurs, ces espaces sont quand même désertés et les rats de bibliothèque, il faut les chercher à la loupe. Sinon faut-il simplement revoir les horaires d’ouverture ou examiner plutôt les facteurs certainement multiples qui concourent à cette désertion ? Les lieux par exemple sont-ils attrayants ? En outre, s’intéresse-t-on suffisamment à la prestation de service liée à la formation et aux compétences du personnel des BU ? Sinon l’acquisition des ouvrages est-elle faite en étroite collaboration avec les enseignants et les diverses structures pédagogiques ? Faut-il conserver le même budget pour l’acquisition de documents sur support papier, ou bien réorienter la dépense vers plus de numérisation documentaire ? Sinon, et pour paraphraser le titre de l’ouvrage d’un universitaire algérien (8), paru en 1994, «faut-il fermer nos bibliothèques universitaires» ? Car il n’est pas normal de voir tant d’ouvrages non empruntés et enchaînés au rayonnage. Quel triste gâchis en ces temps de crise ! Il s’agit donc de susciter des réactions, une réflexion ; telle est l’unique ambition de cette esquisse.

Rachid Brahmi

Références

(1) Bibliothèque (Tunisie)

(2) Bibliothèque de la Faculté des Sciences et Techniques - Beni Mellal (Maroc)

(3) Bibliothèque de la Faculté Polydisciplinaire - Tétouan (Maroc)

(4) Bibliothèques universitaires (Maroc)

(5) Bibliothèque de la Faculté des Sciences - El Jadida Maroc)

(6) Bibliothèque Mohammed VI de l'Université Al Akhawayn - Ifrane (Maroc)

(7) Plan "bibliothèques ouvertes" : améliorer l'accueil des étudiants en bibliothèques universitaires

(8) Liès MAIRI, 1994, «Faut-il fermer l’université ?» Ed ENAL.

Plus d'articles de : Opinion

Commentaires (0) | Réagir ?