Quand l’Etat se couche !

Le pouvoir accuse un déficit d'autorité mais aussi de vision politique pour l'Algérie
Le pouvoir accuse un déficit d'autorité mais aussi de vision politique pour l'Algérie

Si l’Etat est fort, il nous écrase, s’il est faible, nous périssons ! La citation est de Paul Valery et c’est toute la question qu’il faut se poser aujourd’hui, en l’état, des hommes et des femmes qui ont les rênes du pouvoir.

Il est vrai que pour l’Algérie d’aujourd’hui, ce qui importe le plus, c’est la stabilité. Mais, de là à pousser cette quête jusqu’à son paroxysme, en érigeant l’immobilisme et l’opacité en mode de gouvernement est de nature à irriter beaucoup de monde, car ainsi, on remet à plus tard la solution des problèmes, on dissimule la poussière sous le tapis, en priant pour que personne ne s’avise de le soulever un jour ! Raté, en ce qui concerne la révolution de novembre 1954, Daho Ould Kablia vient d’écrire une page à lui tout seul et Yacef Saâdi s’apprête, semble-t-il, à régler son compte à Zohra Drif-Bitat fraîchement éjectée du Sénat ; Khaled Nezzar, quant à lui, maintenant qu’il s’est mis à table, est décidé à tout déballer en prenant le risque de heurter beaucoup de monde, y compris ceux qui sont morts.

Alors qu’on est empêtrés jusqu’au cou du fait de cette crise économique qui s’installe dans la durée, des «has-been» et des «ex-ténors» déboulonnés ressortent de leur boite pour ajouter au climat anxiogène qui s’est abattu sur le pays. Et à l’international, on n’est pas mieux lotis, à en juger par, tout d’abord, ce qui a fait bouger les internautes algériens : la récente déclaration de Nicolas Sarkozy.

Rappelons les faits : l’ex-président français, participant à une conférence consacrée au «Monde d’aujourd’hui», tenue récemment aux Emirats, est revenu sur le projet d’Union pour la Méditerranée qu’il avait en son temps, lancé en 2008 pour déplorer "a fermeture, depuis 10 ans, de la frontière entre l’Algérie et le Maroc", sans faire cas, bien sûr, et à aucun moment, de la responsabilité des autorités de Rabat dans la décision de fermeture, réduisant celle-ci, "au seul conflit du Sahara occidental". Affichant par ailleurs ses préférences pour le roi du Maroc, Sarkozy qui n’a jamais admis que l’Algérie ne soit jamais tombée dans le piège du «printemps arabe», a à l’occasion de sa conférence aux Emirats, usé d’un langage, pour le moins, vicieux et s’est même permis de faire une évaluation sur notre pays en affirmant que «pour l’Algérie, riche pourtant de ses potentialités et d’une population extraordinaire, la question du développement reste posée !».

Les Algériens outrés par ces propos, l’ont été davantage par l’absence de réaction officielle, même si d’aucuns ont estimé "qu’on ne va pas répondre à ce triste sire à chaque fois qu’il commet une bêtise sur notre pays !". L’intéressé n’étant pas à sa première incartade, il mériterait, pour le moins, un rappel à l’ordre après l’épisode de son séjour en Tunisie où "il s’est dit désolé de l’emplacement de cette dernière entre l’Algérie et la Libye". Une provocation de plus contre notre pays.

Seulement voilà, en l’absence de réaction officielle de notre pays, il a fait des émules : le ministre de la défense nationale tunisien, Ferhat Horchani, par exemple, qui, dans une déclaration a dit que "son pays est victime de son emplacement géographique ; le terrorisme nous provient de Libye et d’Algérie". Bien sûr, il n’a pas jugé nécessaire de s’excuser, tout comme le président tunisien Beji Caïd Essebsi et l’interview qu’il a accordée à i-Télé, diffusée le 22 mars dernier, estimant "qu’à chaque fois qu’un groupe terroriste est débusqué en Tunisie, il y a un chef algérien !". A l’époque de cette déclaration, il n’y a eu que Tayeb Belaïz, l’ex-ministre de l’intérieur, qui en l’absence d’un porte-parole officiel du gouvernement, lui a timidement répliqué, "le terrorisme n’a pas de nationalité !".

L’Etat se couche ! Le gouvernement est en situation d’échec et les citoyens ne font que payer l’abandon par ce dernier, de larges pans du territoire, aux "parkingueurs", aux "gangs", ceux de Zeralda, par exemple, qui viennent de s’illustrer, de manière dramatique, en allumant le feu à un chalet où périrent sept personnes. Pareil drame aurait déclenché, sous d’autres cieux, un déplacement sur place du ministre concerné par l’ordre public. Sans compter les mesures conservatoires à l’encontre des responsables administratifs notamment le directeur du complexe touristique de Zeralda, celui du tourisme et le wali délégué qui ont permis à cette "kheïma-discothèque" d’exercer en toute illégalité !

Comme encourager, des groupes de pression continuent à défier l’Etat : les taxieurs d’Alger ! Rappel des faits : la wilaya leur a exigé d’habiller leurs véhicules avec des autocollants en orange et noir. Un certain nombre d’entre eux ont obtempéré et se sont mis en conformité, le reste de la corporation a décidé d’engager un bras de fer avec l’administration, la poussant jusqu’à annuler sa décision. A vrai dire, la manière peu transparente avec laquelle a été déjà menée l’opération par le wali d’Alger, prédisait son échec. L’Etat, une fois encore, s’est couché.

Même l’entraineur de l’EN s’y est mis le jour où, après une défaite en match amical, il a déclaré à chaud : "Je découvre un autre pays, je découvre un autre environnement. Je pense que c’est difficile de trouver la sérénité en Algérie !". Pour ces propos, "algérophobes" au goût de certains, Christian Gourcuff n’a même pas pris la peine de s’excuser, dès lors que ses employeurs ont décidé de passer l’éponge. Au grand dam de milliers de supporteurs algériens, outrés par l’audace du français.

L’Etat se couche. Les intellectuels aussi ! Aridité de la pensée universitaire, absence d’écrits sur le projet de loi fondamentale par exemple ; seule une poignée de constitutionalistes et de juristes se sont prononcés sur le texte de manière critique. Paralysie et démission du monde des idées ! Tout le monde se couche, par peur de perdre son emploi et sa situation. Pourtant, il est important de s’exprimer, c’est la raison d’être des intellectuels : dire, critiquer et proposer. La critique, justement, est en train de pleuvoir sur le ministère du commerce, lui qui, à grand renfort de publicité, s’apprête à lancer, incessamment sous peu, "le crédit à la consommation".

Rappelons pour ceux qui ne sont pas en fait de cette opération, que le crédit à la consommation a été supprimé par Ouyahia en 2004 quand il était aux affaires puis rétablit par Abdelmalek Sellal en 2015. Un décret exécutif vient d’être publié concernant sa mise en œuvre : il concerne les biens de consommation fabriqués en Algérie, par des entreprises qui les produisent et les assemblent en perspective de leur vente aux particuliers. Le crédit est surtout destiné, nous dit-on, à la promotion de la production nationale et à la pérennisation de l’emploi en Algérie. Mais ce n’est pas le point de vue du prédicateur cathodique "Cheikh Chemsou" qui vient d’émettre en direct sur Ennahar Tv, une fatwa déclarant "les crédits à la consommation haram, à cause de la riba que le coran interdit de manière formelle !". Question : le gouvernement qui nous a habitué à «rétropédaler» pour moins que ça, va-t-il faire marche arrière, ou faire preuve de détermination ?

Restons chez les islamistes, pour nous rappeler des élucubrations de Madani Mezrag et de ses propos outranciers adressés au président de la République "le président est dans un état qui ne lui permet pas de prendre des décisions, il s’était déjà trompé sur notre compte en 2009, et s’il ne revoit pas sa position, il va entendre de nous ce qu’il n’a jamais entendu auparavant !", propos sidérants, choquants même qui sont restés sans suite ; l’Etat s’est couché pour la circonstance, ont pensé la majorité des citoyens.

L’autre acolyte de ce triste sire, le salafiste Abdelfateh Hamadache, chef du parti non agréé "Front de la Sahwa Islamique", a qualifié le journaliste écrivain Kamel Daoud d’"apostat" et d’ "ennemi de la religion" en ajoutant «si la charia islamique était appliquée en Algérie, le châtiment contre lui aurait été la mort». Cette fatwa a déclenché l’indignation en Algérie, sans pour autant, susciter une réaction officielle. L’Etat a raté une occasion de reprendre la main, à croire que ceux qui sont aux commandes ont peur du retour du terrorisme, de déplaire au peuple, peur aussi de violer les principes de la sacro-sainte Guerre de Libération Nationale, peur de s’aliéner les lobbys, peur d’être accusés de vendre le pays à l’étranger. Peur surtout de perdre le pouvoir et ses avantages ! Et les Algériens semblent tétanisés entre le passé et l’avenir. En l’état, personne ne semble pouvoir dessiner les perspectives qui les tireraient de leurs craintes. Il faut attendre et espérer que le temps fasse son œuvre et que le développement économique, une fois la crise passée, favorisera l’apaisement politique qui agite le sérail.

Qu’est-ce qu’un Etat fort en définitive ? Un Etat fort, c’est un président de la République qui donne au pays les moyens de se gouverner : un Premier Ministre puissant, solide, déterminé, près à prendre des risques dans le champ économique et social, celui de la sécurité, des frontières, dévoué à l’intérêt général ; des ministres engagés, responsables, autoritaires (au sens noble), décidés à diriger leur ministère et non pas confinés à la langue de bois ; une majorité audacieuse, volontaire pour assumer son programme et veiller à sa mise en œuvre. Il faudra réhabiliter les notions de volonté, de gouvernement, de choix, de décisions, d’objectifs et de responsabilité et les placer au cœur de la République. C’est le candidat aux primaires de la droite française qui le dit, un certain Alain Juppé. Et rien que pour marquer notre mépris à Nicolas Sarkozy, il mériterait qu’on le soutienne dans sa conquête de la magistrature suprême !

Cherif Ali

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Commentaires (4) | Réagir ?

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allilou aghroum

Oui l'Algérie ne tombera pas encore une deuxième fois dans le piégé du"printemps arabe" parce qu'elle sait qu'elle ne gagne pas devant une Kalachnikov.

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Mouloud FEKNOUS

Votre analyse est excellente, Merci!

Permettez moi d'ajouter qu'un Etat Fort est constitué d'un gouvernement d'abord élu dans la transparence la plus totale, un état fort est un état de droit. Dans tous les pays du monde dit démocratique et même autre, le gouvernement anticipe les problèmes - travail, développement-, prévoit des solutions aux crises éventuelles-, créé des richesse par l'incitation au travail et fait des réformes pour faire disparaître certains codes désuets responsable de la stagnation et du déclin- pour que le pays ne soit pas un simple bazar. La politique en Algérie se distingue - ce n'est malheureusement pas le seul pays surtout parmi les pays dits arabes- par l'usage du DEBOUZE d'une main ferme, relayée par les Balta-guis de service et des MIETTES distribuées au gré du vent et de la conjoncture (élection gagnées d'avance).

Nos gouvernants n'apprennent ni sur leurs propres erreurs et encore sur celles des autres. L'Algérie veut être partenaire de la Chine entre autre en oubliant que les chinois ont retroussés les manches et, ceux qui ne veulent pas travailler sont rares, ils ont commencés par des pales copies et ils sont devenus le premier financier du monde certainement pas la Baraka Divine.

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