Ali Benflis : "Je refuse de commettre le crime de faux témoignage contre mon pays"

Ali Benflis.
Ali Benflis.

Extraits de l'’intervention de M. Ali Benflis, Président de Talaie El Hourriyet, à l’occasion de la rencontre régionale du parti à Beni Tamou.

"(...) Au sein de Talaie El Hourriyet nous avons une autre vision de notre pays, un pays fort et respecté et non ce pays que seize années d’un pouvoir personnalisé à l’extrême ont fragilisé, dévitalisé et déstabilisé. Au sein de Talaie El Hourriyet nous avons une autre ambition pour notre pays, un pays en capacité de suivre la cadence accélérée du monde qui l’entoure, un pays capable de répondre aux exigences du XXI ème siècle, un pays qui n’accepte pas d’être distancé dans la course à la sécurité, au progrès et à la prospérité. (...) Trois concepts résument cette triple aspiration : il s’agit de la modernisation politique, de la rénovation économique et des réformes sociales.

La modernisation politique passe par l’Etat de droit. Ne vous laissez pas entrainer sur la fausse piste de l’Etat civil. Cette piste ne mène nulle part et n’est pas destinée à mener quelque part que ce soit. Gardez le cap sur l’Etat de droit car contrairement au concept brumeux de l’Etat civil, l’Etat de droit à ses constantes, ses critères et ses repères.

Si vous m’interrogiez sur les constantes de l’Etat de droit, je vous répondrai qu’il s’agit de la citoyenneté exerçant ses attributs dans leur plénitude, du choix du peuple respecté et non faussé, des droits et des libertés protégés et garantis, des institutions légitimes, représentatives et crédibles et de l’exercice des responsabilités publiques soumis au contrôle et à la reddition des comptes.

Si vous m’interrogiez sur les critères de l’Etat de droit, je vous répondrai qu’il s’agit d’une Constitution scrupuleusement respectée, de l’équilibre des pouvoirs, d’une justice indépendante, de l’égalité de tous devant la loi, d’une administration publique impartiale, de la liberté d’expression et d’information promue et encouragée et de deniers publics gérés avec rigueur, de manière transparente et au service du seul intérêt général. Si vous m’interrogiez sur les repères de l’Etat de droit, je vous répondrai qu’il s’agit de l’alternance au pouvoir, du pluralisme politique, de médiations politiques, économiques et sociales réellement représentatives et d’un pacte social garant d’une relation de confiance entre les gouvernants et les gouvernés.

Vous voyez bien tout comme moi qu’au regard de ces constantes, de ces critères et de ces repères, notre pays n’est pas dans la modernité politique mais dans l’archaïsme politique. Et sans la modernité politique, il ne peut y avoir de rénovation économique. C’est la démocratie qui forme les Nations fortes et prospères. C’est dans l’Etat de droit que se construisent les économies performantes, dynamiques et compétitives. C’est la citoyenneté respectée qui fournit aux sociétés les moyens de leur progrès à travers la libération des initiatives et des capacités d’innovation et de création.

L’Histoire de l’humanité nous enseigne que les dictatures n’ont jamais fait la prospérité des pays où elles sévissent, que les tyrannies n’ont jamais fait la richesse des peuples qui ploient sous leur joug et que les autocraties n’ont jamais été porteuses de croissance et de développement.

Les Etats de droit savent comment créer de la richesse, comment rentabiliser la moindre ressource- humaine ou matérielle- et comment assurer la juste redistribution des bienfaits du progrès et de la prospérité. C’est vous dire combien est impérative la modernisation politique de notre pays car sans elle il serait totalement vain et futile de prétendre à quelque rénovation économique que ce soit. La modernisation politique et la rénovation économique ne sont pas une fin en soi. Elles constituent des moyens au service d’un dessein plus grand, celui de bâtir une société juste, équilibrée et harmonieuse.

Notre société n’est pas une société heureuse et épanouie. Notre société ne déborde pas de vitalité. Notre société est une société à laquelle son présent ne procure que frustration, que son devenir inquiète ou angoisse et qui ne se tourne que vers son passé pour y puiser quelques motifs d’espoir ou quelque réconfort. Lorsqu’une société est insatisfaite de son présent, qu’elle doute de ses lendemains et qu’elle n’a plus que le passé pour repère, cette société là se condamne elle-même à la stagnation, à la dévitalisation et au désespoir.

Si notre société se trouve aujourd’hui, dans cet état là, c’est parce qu’elle a subit beaucoup de violence : la violence des injustices politiques, économiques et sociales ; la violence de l’exclusion ; la violence de la marginalisation ; la violence des inégalités et par-dessus tout la violence des sentiments que nourrit une société fonctionnant à deux vitesses où une minorité a accès à tout et peut tout se permettre et une majorité sommée d’accepter son sort immérité et de se contenter du peu qui lui est arbitrairement concédé.

Notre société ne sera en mesure de recouvrer ses équilibres, sa stabilité, sa vitalité et son harmonie qu’à travers un ordre démocratique qui réhabiliterait et redonnerait un sens à la citoyenneté avec tous ses attributs, aux droits et aux libertés, au sentiment de participation à la gestion des affaires publiques, à l’égalité des chances, à la justice sociale et à l’inclusion de toutes et de tous dans une communauté nationale d’où seraient extirpés tous les germes malfaisants de la dépréciation de l’effort, de la course à l’argent facile, de la discrimination, du népotisme, du clanisme, du régionalisme, du favoritisme et de la corruption.

La liste de ces germes malfaisants est longue. Les seize dernières années leur ont permis de s’installer et de se répandre dans l’ensemble des segments de la vie nationale. Ils ont pu produire leurs effets ravageurs dans une collectivité nationale à laquelle ils ont fait perdre ses valeurs morales, ses repères éthiques et ses vertus ancestrales. Plus que les dégâts politiques qu’elles ont occasionnés et plus que le lamentable gâchis économique qu’elles ont engendré, c’est sans aucun doute, le désarmement moral de la Nation que l’Histoire écrira sur ses pages les plus sombres et qu’elle retiendra contre un système politique au passif déjà bien lourd.

Quatre mandats présidentiels se sont succédé. Bientôt dix-sept années auront passé avec le même pouvoir personnel. Des opportunités nombreuses se sont présentées au pays sans qu’il les saisisse. De nombreux rendez-vous lui ont été donnés mais il les a manqués. Près de dix-sept années c’est une période particulièrement longue qui aurait largement suffi à n’importe quelle Nation du monde pour corriger ses erreurs, pour ajuster son cap, pour se réformer et pour se transformer. Qu’en est-il de notre pays ? Le régime politique en place est arrivé avec le nouveau siècle, le vingt et unième siècle. Pour tous les Etats du monde, le début de ce siècle aura été synonyme de remises en cause, de mutations, de bouleversement et d’accélération de la cadence de leur progrès et de leur développement.

Et comment notre régime politique en place est-il entré dans ce nouveau siècle ?

L’a-t-il fait en mettant notre pays résolument sur la voie de la modernité politique ? Il semble bien que non puisque les rares acquis démocratiques des années 80 et 90 ont été balayés d’un revers de main et qu’à leurs lieu et place s’est imposé un pouvoir personnel n’ayant pour seul obsession que celle de durer pour la vie ?

Notre régime politique est il entré dans le nouveau siècle avec pour ambition de mettre notre pays sur la voie de la rénovation économique ? Là aussi, la réponse me semble être non. L’argent a coulé à flots comme jamais auparavant et pourtant nous ne disposons toujours pas d’une économie nationale digne de ce nom, c’est-à-dire une économie créatrice de richesses, une économie performante, une économie dynamique, une économie qui satisfait une part substantielle de nos besoins et une économie qui nous rend moins dépendants de l’étranger. L’économie nationale n’est plus dans nos cerveaux et dans nos bras mais dans nos yeux, nos yeux que nous dirigeons tantôt vers les cieux pour guetter les pluies et tantôt vers le sous-sol pour nous demander s’il continuera à nous nourrir. Partout ailleurs 800 milliards de dollars auraient suffi à bâtir une économie nationale à partir du néant sauf chez nous où nous en sommes encore à nous demander à quoi une manne aussi exceptionnelle a bien pu servir.

Notre régime politique est-il entré dans le nouveau siècle avec la détermination de mettre notre société sur la voie des réformes qui la rendraient plus juste, plus unie, plus solidaire, plus tolérante et plus ouverte sur le monde ? Malheureusement, la réponse est toujours non. Les équilibres de notre société ont été rompus ; l’injustice y règne sans limites ; la solidarité y a perdu son caractère sacré ; le repli sur soi y est devenu une règle de conduite ; et le «chacun pour soi» s’y est ancré comme une norme de survie.

Peut-on lire dans cette situation générale dans laquelle se trouve notre pays autre chose que la faillite totale d’un régime politique ? Peut-on constater à son propos autre chose qu’une impasse que ce régime a crée de lui-même et qu’il est manifestement dépourvu des moyens de son dépassement ? Peut-on conclure au vu de cette situation autre chose que l’arrivée de ce même régime politique au bout de son parcours, qu’il est devenu un instrument de l’immobilisme et de la stagnation et qu’il est un facteur de blocage pour toute recherche d’alternatives et pour toute ouverture de nouvelles perspectives pour le pays. Le régime politique en place s’obstine aujourd’hui dans le déni et l’absence d’écoute comme il s’est obstiné hier dans les dérives et les errements qui ont mené notre pays vers là où il se trouve et où il n’aurait jamais dû se trouver.

Notre pays se trouve et il n’aurait jamais dû se trouver face à une vacance du pouvoir qui le condamne à la stagnation et à la régression parce qu’il n’y a plus de Président qui préside, de Gouvernement qui gouverne, de Parlement qui légifère autrement qu’avec parcimonie et d’une administration publique livrée à elle-même faute de direction, d’impulsion et d’inspiration.

Notre pays se trouve et n’aurait jamais dû se trouver dans cette situation où la vacance du pouvoir a crée un vide au sommet de l’Etat et que ce vide a été comblé par des forces extra- constitutionnelles qui, tapies dans l’ombre, font régner leur propre ordre dans toutes les sphères de la vie nationale qu’elles soient politique, économique ou sociale. En toute illégalité, en toute illégitimité et en toute impunité, ces forces ont pris possession du centre de la décision nationale qu’elles ont assujetti à leurs calculs, à leurs intérêts et à leurs desseins.

Notre pays se trouve et n’aurait jamais dû se trouver dans cette situation où le centre de la décision nationale apparait comme émietté, disloqué et tiraillé dans des sens contradictoires du fait des intérêts différents et des objectifs divergents de ces forces extra- constitutionnelles que ne rassemble rien d’autre que la pérennité d’un régime politique qui leur a permis de se constituer, de se consolider et de prospérer.

Notre pays se trouve et n’aurait jamais dû se trouver dans cette situation où toutes les institutions républicaines de la base au sommet, sont illégitimes et non représentatives du fait d’un système électoral frauduleux qui leur a ôté toute crédibilité et toute autorité et les a exposé à la défiance et au rejet de nos concitoyennes et de nos concitoyens qui ne les reconnaissent pas et ne s’y reconnaissent pas comme expression de leur choix et incarnation de leur volonté.

Notre pays se trouve et n’aurait jamais dû se trouver face à une crise économique dévastatrice si le régime politique en place avait été visionnaire, prévoyant et performant. Durant la décennie écoulée l’Algérie a eu entre les mains l’équivalent de 1000 milliards de dollars dont 800 milliards ont été affectés à ce qui a été pompeusement qualifié de plans de relance qui n’ont absolument rien relancé sinon le gaspillage, la corruption et l’expansion de l’argent douteux à très grande échelle. Le jour où le bilan de ces plans de relance sera établi, il apparaitra inévitablement que ces 800 milliards de dollars sont partis en fumée et que l’économie nationale est toujours aussi précaire, vulnérable, improductive et non compétitive comme elle l’était il y a trente ans.

Notre pays se trouve et n’aurait jamais dû se trouver dans cette situation où les affairistes ont été préférés aux capitaines d’industrie, où la spéculation a pris le pas sur la création de richesse, ou l’acte commercial a été facilité plus que l’acte d’investissement, où l’acte économique a obéi plus à l’injonction politique qu’à la rationalité économique et où la constitution de clientèles a eu la primauté sur l’édification d’une économie nationale saine et performante.

Notre pays se trouve et n’aurait jamais dû se trouver dans cette situation si, en temps opportun, une forte volonté politique s’était affirmée pour mettre un frein aux abus politiques et administratifs dont a été victime l’acte économique, à l’octroi clientéliste des marchés publics selon la formule du gré à gré, à la fuite des capitaux, à l’évasion fiscale, à la surfacturation des importations, au déchainement de la corruption et aux pratiques commerciales illicites dans les marchés publics notamment avec l’étranger.

Notre pays se trouve et n’aurait jamais dû se trouver dans cette situation où ses recettes extérieures proviennent toujours à 97% des hydrocarbures, où son budget est toujours financé à hauteur de 70% par la fiscalité pétrolière, où il dépend de l’étranger pour presque tout de son alimentation à son équipement en passant par les soins de sa population, où l’industrie ne représente plus que 5% du PIB, où l’agriculture plafonne à 10% du PIB, où les richesses touristiques demeurant toujours inexploitées et où la moyenne nationale du chômage est de 12% et de 30% pour les jeunes de 16 à 25 ans.

Notre pays se trouve et n’aurait jamais dû se trouver dans cette situation où le premier retournement de la conjoncture énergétique mondiale met à nu son impréparation, son imprévoyance et son impuissance et le force, pour tenter de faire face à cette crise, à pénaliser les démunis et à exonérer les nantis, à réduire le budget d’équipement plutôt que le budget de fonctionnement, à entretenir la dépréciation de la valeur de la monnaie nationale et à épuiser les réserves de change ainsi que le fonds de régulation des recettes que l’on croyait destiné aux générations futures.

Notre pays se trouve et n’aurait jamais dû se trouver dans cette situation sociale très préoccupante où nos concitoyennes et nos concitoyens s’interrogent sur la destination réelle de tout l’argent qui a coulé à flots durant la dernière décennie, demandent à connaitre les causes de ce lamentable gâchis et ne comprennent pas pourquoi ils devraient être les seuls à payer pour l’échec monumental de leurs gouvernants par l’érosion de leur pouvoir d’achat et par la précarisation ou la perte de leurs emplois.

Mesdames et Messieurs, permettez moi de vous interroger : toutes ces situations que je viens de vous décrire sont elles le produit de mon imagination ? Peuvent-elles être réduites à des signes d’un pessimisme exagéré ? Sont-elles à inscrire dans le comportement injuste d’une opposition qui tend à accabler le pouvoir politique en place juste pour le plaisir de l’accabler ?

Vous détenez vous-mêmes les réponses à ces questions. Quoi que fasse le régime politique en place pour vous cacher ces réalités, quoi que puissent être les explications qu’il peine à vous fournir, quoi que puissent être les assurances qu’il vous donne quand à sa maitrise de la situation et quoi que puissent être les promesses qu’il vous fait quand à sa capacité de conduire le pays à bon port, vous connaissez vous-mêmes la vérité comme vous connaissez toutes les vérités que le régime politique en place s’épuise à vous cacher. Et ces vérités sont que ce régime politique est l’auteur d’un échec monumental et qu’il a conduit le pays vers une impasse politique, vers une faillite économique et vers une situation sociale tendue et dégradée comme elle ne l’ a jamais été auparavant.

Alors que l’heure est grave, que les problèmes du pays sont sérieux et que les défis à relever sont nombreux et d’une extrême sensibilité pour la pérennité de l’Etat national, pour l’unité et pour la cohésion de la nation ainsi que pour la tranquillité et la stabilité de la société, quelle est la solution-miracle que le régime politique en place croit avoir trouvé et qu’il nous invite à accepter comme le remède sans égal à tous les maux du pays ? En toute banalité et en toute simplicité, il nous propose une révision constitutionnelle.

Le langage humain est suffisamment riche pour permettre d’y trouver de quoi qualifier ce genre d’initiative : cette initiative n’est pas un remède, c’est un placebo ; cette initiative n’est qu’un tamis qui ne peut cacher le soleil ; cette initiative n’est que l’arbre qui ne peut cacher la forêt ; cette initiative est une fausse bonne idée ; cette initiative est un coup à blanc ; cette initiative fait fausse route.

Pour deux fois, j’ai été invité aux consultations menées sur cette révision constitutionnelle et par deux fois j’ai décliné les invitations qui m’avaient été adressées.

Pourquoi ai-je décliné ces deux invitations me demanderez-vous ? Je vous répondrai que je n’entendais pas être un faux témoin, ni m’associer à l’usage d’un faux ni commettre le crime de faux témoignage contre mon pays. Qu’ai-je voulu dire par là ? J’ai envers vous un devoir d’explication et je tiens à m’en acquitter devant vous.

Je ne voulais pas être un faux témoin car en participant à ces consultations j’aurai laissé croire que l’initiative de révision constitutionnelle était légitime et qu’elle était le fait d’une autorité mandatée alors qu’elle ne l’était pas. Je ne pouvais oublier que la fraude permet certes d’imposer et de forcer des choix mais que dans le même temps elle délégitime son bénéficiaire, lui enlève toute crédibilité ou autorité et le prive irrévocablement de la confiance du peuple souverain dont le libre choix a été confisqué.

Je ne voulais pas m’associer à l’usage d’un faux car l’initiative de révision constitutionnelle n’avait pas pour objectif de régler les problèmes du pays mais à régler les problèmes particuliers du régime politique en place. Et de quelque côté que l’on scrute cette initiative, elle n’a pas pour but de faire sortir le pays de l’impasse actuelle mais de permettre à ce régime politique de durer et de perpétuer son emprise préjudiciable sur le pays.

Je ne voulais pas commettre le crime de faux témoignage contre mon pays en lui faisant croire que la révision constitutionnelle allait apporter un remède à tous ses maux, qu’elle allait résorber toutes les faillites politiques, économiques et sociales du régime politique en place, qu’elle allait le faire entrer dans une ère démocratique comme il n’en a jamais connu et que la Constitution révisée allait être respectée davantage qu’elle ne l’a été par le passé. Si cette révision constitutionnelle m’était apparue bonne pour le pays, je l’aurai dit sans hésiter et sans me faire prier.

Si cette révision constitutionnelle répondait aux besoins de notre peuple et qu’elle visait à les satisfaire, j’y aurai apporté ma contribution sans compter et du mieux que je pouvais. Si cette révision constitutionnelle s’inscrivait dans le grand dessein d’arrêter la régression de notre pays et de lui permettre d’aller de l’avant en soutenant la cadence des autres Nations qui progressent et se développent, je m’en serai félicité et j’aurai été honoré d’apporter ma pierre à l’édifice qui se construirait.

Hélas pour notre pays, hélas pour notre peuple et hélas pour chacune de nos concitoyenne et de nos concitoyen qui, là où ils se trouvent, se battent pour une Algérie forte, pour une Algérie prospère, pour une Algérie respectée et pour une Algérie occupant une place digne d’elle dans le concert des Nations, cette initiative de révision constitutionnelle n’avait pas l’Algérie au centre de ses préoccupations mais seulement le régime politique en place dont elle est destinée à protéger les intérêts, l’hégémonie et les visées exclusives.

Il y aurait tant et tant à dire à propos de ce projet de révision constitutionnelle que j’ai demandé au Secrétariat National de Talaie El Hourriyet de lui consacrer une journée d’études spécifique qui a été tenue au siège du parti le 16 janvier courant. Le Secrétariat National a ainsi procédé à une analyse exhaustive de tous les aspects de cette révision constitutionnelle et a établi à son sujet un rapport très utile et très révélateur qui sera porté à votre connaissance et à celle de l’opinion publique nationale.

En conséquence, je me limiterai dans cette intervention devant vous aux aspects les plus saillants de cette révision constitutionnelle en commençant d’abord par la conception du régime politique en place de la Constitution de la République et du traitement qu’il lui a réservé et qu’il lui réserve toujours.

Ce régime politique ne conçoit pas la Constitution comme étant celle de l’Etat républicain mais la sienne propre, qu’il peut en disposer à sa guise et qu’il a toute latitude de l’adapter à ses desseins comme il le veut et quand il le veut. Ce régime politique ne conçoit pas la Constitution comme étant la loi suprême régulant le fonctionnement de l’Etat et qu’elle s’impose donc à toutes les institutions y compris et surtout à l’institution présidentielle à laquelle est confiée la mission de sa protection et de sa défense. Ce régime politique ne conçoit pas la Constitution comme un pacte social codifiant la relation entre les gouvernants et les gouvernés en identifiant les libertés, les droits et les responsabilités en partant de ce postulat fondateur selon lequel l’Etat est l’Etat de ses citoyens et non l’Etat d’un régime politique quel qu’il soit.

Dans une telle conception, la Constitution n’est qu’une devanture démocratique pour un régime politique non démocratique. C’est ainsi qu’animé par sa conviction qu’une Constitution n’est bonne que si elle sert ses propres intérêts et non pas ceux du pays tout entier, le régime politique en place n’a pas cessé par les révisions constitutionnelles dont il a pris l’initiative durant les dix sept dernières années d’adapter la Constitution à ses fins et non aux besoins objectifs du pays.

Quels ont été les objectifs de ce régime ? Ils ont été et n’ont pas cessé d’être au nombre de trois : en premier lieu la personnalisation du pouvoir pour qu’il ne soit plus incarné que par un homme et lui seul ; en second lieu prendre d’assaut les manifestations de l’équilibre des pouvoirs partout où elles se trouvent pour leur substituer un régime de concentration des pouvoirs ; et en troisième lieu s’accaparer des prérogatives du Chef du Gouvernement et du Parlement pour que plus aucun autre contrepoids n’existe face à un pouvoir présidentiel inhibiteur, dominateur et exclusif.

Et c’est à cette démarche négatrice des normes démocratiques les plus élémentaires que l’on doit les dégâts institutionnels qui ont été occasionnés au pays à travers l’annulation de la limitation des mandats présidentiels sans laquelle il n’y a pas d’alternance au pouvoir, à travers l’atteinte aux prérogatives législatives du Parlement au moyen du recours abusif aux ordonnances et à travers l’assujettissement du Conseil Constitutionnel au bon vouloir et au bon plaisir d’une institution présidentielle voulue omnisciente et omnipotente.

Voilà le cadre et voilà le contexte dans lesquels est venue s’inscrire cette révision constitutionnelle annoncée il y a près de cinq ans et dont le contenu a été révélé au peuple algérien, il y a de cela deux semaines seulement.

Une durée aussi exceptionnelle aurait pu laisser penser que le régime politique en place s’était livré à une profonde introspection et qu’il avait conclu à la nécessité pour le pays d’aller vers une nouvelle gouvernance et vers un nouveau système politique ; une telle durée aurait pu laisser penser, aussi, que le régime politique en place aurait appris de ses échecs, qu’il aurait réalisé que l’Algérie a changé et que le monde a changé et que notre pays mérite mieux qu’un pouvoir personnel et l’impasse tragique vers laquelle il l’a menée ; une telle durée aurait pu laisser penser, enfin, que ce régime politique finissant allait offrir au pays l’occasion du nouveau départ qu’il attend et que l’impasse politique, économique et sociale actuelle exige.

Près de cinq années durant, le régime politique en place n’a cessé de dire et de répéter que cette révision constitutionnelle allait être la mère de toutes les révisions constitutionnelles, qu’elle représenterait le couronnement flamboyant d’un chantier de réformes politiques sans précédent et sans égal et qu’elle était destinée à faire entrer l’Algérie dans une ère démocratique par la grande porte.

En effet, tout ce que le régime politique en place compte de représentants mandatés ou auto- proclamés se sont succédés régulièrement pour nous assurer que cette révision constitutionnelle allait consolider l’unité nationale, qu’elle élargirait le champ des droits et des libertés, qu’elle introduirait plus d’équilibre entre les pouvoirs, qu’elle conforterait le rôle de l’opposition dans notre paysage institutionnel et qu’elle garantirait l’intégrité, la sincérité et la transparence des processus électoraux.

Voilà les cinq objectifs essentiels attribués à la révision constitutionnelle au moment de son annonce et qui, une fois le contenu de ce projet dévoilé, ne s’y trouvent pas confirmés, loin de là. J’ai exprimé publiquement mon désaccord avec le principe même de cette révision constitutionnelle ainsi qu’avec la démarche à laquelle elle a obéi mais cela ne m’a pas empêché d’étudier son contenu avec beaucoup d’attention. J’ai tiré de son analyse quelques conclusions que je tiens à partager avec vous.

Ma première conclusion est que le projet de révision constitutionnelle a été conçu par une autorité illégitime, qu’il va être soumis à l’aval d’une institution parlementaire manquant elle aussi de légitimité et que sa régularité va être soumise à l’appréciation d’un Conseil Constitutionnel sans marge de manœuvre et sans liberté de décision ; la conduite de cette révision constitutionnelle d’une manière aussi malsaine et aussi contestable augure bien mal de ces perspectives démocratiques nouvelles que le régime politique en place prétend ouvrir au pays.

Ma seconde conclusion est que le projet de révision constitutionnelle contient bien plus d’une centaine d’amendements mais ceux-ci n’affectent en rien la nature autocratique et totalitaire du système politique en place et le pouvoir personnel en sort sain et sauf et plus conforté que jamais.

Ma troisième conclusion est que cette initiative de révision constitutionnelle prétendument consensuelle s’est révélée plus diviseuse que rassembleuse. Il suffit de se référer aux réactions de frustration, d’abattement ou de rejet qu’elle a suscitées pour se convaincre qu’elle a plus crée des lignes de fractures dans les rangs de la Nation qu’elle ne les a unis et soudés. Jamais la Constitution de la République n’est apparue, avant ce jour, aussi contestable et contestée.

Ma quatrième conclusion est que cette Constitution est la Constitution d’un régime politique et n’est pas la Constitution que la République attend toujours. Le régime politique en place a fait le choix d’ignorer les mises en garde contre sa démarche erronée, contre l’ouverture inutile d’un chantier manifestement improductif et contre une fuite en avant qui ne mène nulle part. Avant et après la révision constitutionnelle il y a eu et il y aura toujours une crise de régime dont il faudra bien continuer à rechercher le règlement.

Ma cinquième conclusion est que le mal profond dont souffre le pays n’est pas dans ses Constitutions qu’il suffirait de réviser périodiquement pour l’en guérir. Ce mal profond est dans le système politique lui-même qui a dégénéré en pouvoir personnel dont la vacance met l’Etat national en péril.

Ma sixième et dernière conclusion est que la Constitution que notre pays attend est celles d’institutions représentatives qui auront mandat pour la produire et qui seront suffisamment imprégnées des exigences démocratiques pour la protéger et la défendre. (...).

Ali Benflis

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Commentaires (8) | Réagir ?

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gestion

MERCI

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Bachir Ariouat

Le premier crime vous le commettez à chaque fois que vous ouvrez votre bouche, je puis vous assurez, jamais je mettrai un bulletin de vote portant votre nom dans un urne.

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