La nouvelle constitution algérienne versus celles du Canada, Suisse et d’Afrique du Sud

Au moment où il fait semblant de la reconnaître, le pouvoir resserre ses crocs sur l'identité millénaire
Au moment où il fait semblant de la reconnaître, le pouvoir resserre ses crocs sur l'identité millénaire

La première lecture rapide de la nouvelle mouture de la constitution algérienne telle que présentée par Ahmed Ouyahia mardi 05 janvier 2015, devant un panel de journalistes, et voyant qu’enfin tamazight est langue nationale et officielle, j’ai aussitôt pensé à la longue lutte menée par plusieurs générations de militants amazighs, essentiellement kabyles.

Il est important de signaler que la joie, qui a accompagné cette pensée, était passagère quand j’ai commencé à décortiquer au peigne fin les articles de la nouvelle constitution. Notamment quand j’ai compris que finalement c’était une sorte de cadeau empoisonné à l’amazighité et à la Kabylie en particulier dont les concepteurs de cette nouvelle constitution veulent tuer une bonne fois pour toute l’âme kabyle/amazighe.

Tout indique que le chef de l’Etat et son clan anti-kabyle veulent gagner encore une autre quinzaine d’années, le temps de créer au sein de la Kabylie une autre instabilité et surtout une autre génération de Kabyles méconnaissables idéologiquement à l’image de la génération des dernières 15 années, à laquelle ils ont réussi à inculquer des allures salafistes, dont Echourouq et Ennahar étaient pour beaucoup. Il suffit juste de comparer avec les générations de Kabyles d’avant 1999, précisément celles d’avant la mort du regretté Matoub Lounès pour comprendre mon propos.

Tout indique que la nouvelle constitution a pour une finalité sournoise de changer en effet l’allure civilisationnelle de la Kabylie. Cette aire géographique qui leur fait tant peur puisqu’elle constitue le socle sur lequel est assise justement l’amazighité et ses corolaires que sont la modernité, les valeurs de travail et de probité, la citoyenneté, la justice, les droits de la personne humaine et la démocratie. C’est à dire tout ce qui les dérange pour perpétuer leur mainmise sur le pays.

Bien évidement, je ne vais pas commenter les articles de la nouvelle constitution qui sont d’ordres politiques, sociaux et économiques mais je vais mettre l’accent sur ses aspects identitaires que les rédacteurs de la nouvelle constitution ne veulent pas régler pour permettre au pays de passer vers l’essentiel qu’est la bonne gouvernance et le développement durable. Lesquels vont contribuer au règlement accéléré des problèmes politiques et socio-économiques du pays.

Pour chaque point abordé dans mon analyse je vais le confronter à leurs équivalents tirés des constitutions de certains pays que je considère exemplaires dans la résolution de l’équation toute simple, qu’est: Règlement des aspects d’ordre identitaires = Bonne gouvernance, stabilité et développement.

1. Préambule et l’Algérie, terre d’Islam et pays arabe:

Au préambule l’Algérie est définie comme :

"Terre d’Islam, partie intégrante du Grand Maghreb, pays arabe, méditerranéen et africain, s’honore du rayonnement de sa Révolution du 1er Novembre et du respect que le pays a su acquérir et conserver en raison de son engagement pour toutes les causes justes dans le monde".

Le lien avec la révolution du 1er Novembre fait trahir les Abane Ramdane, Amirouche, Krim Belkacem, Ait Ahmed, Ouamrane, Slimane Dehiles, Ali Mellah, Si Lhouas, Larbi Ben Mhidi, Benboulaid pour ne citer que quelques martyrs et révolutionnaires amazighs de la Kabylie et du pays de l’Aurès, qui ont finalement combattu pour que les squatteurs du pays définissent leur pays libéré comme étant pays arabe et non amazigh.

A noter le contraste avec le préambule de la constitution suisse, qui ne mentionne ni religion, ni race, ni aire géographique mis à part les valeurs humaines et universelles :

"Au nom de Dieu Tout-Puissant! Le peuple et les cantons suisses, conscients de leur responsabilité envers la Création, résolus à renouveler leur alliance pour renforcer la liberté, la démocratie, l'indépendance et la paix dans un esprit de solidarité et d'ouverture au monde, déterminés à vivre ensemble leurs diversités dans le respect de l'autre et l'équité, conscients des acquis communs et de leur devoir d'assumer leurs responsabilités envers les générations futures, sachant que seul est libre qui use de sa liberté et que la force de la communauté se mesure au bien-être du plus faible de ses membres".

Il est de même du préambule de la République d'Afrique du Sud :

"Nous, le peuple de l'Afrique du Sud, Reconnaissons les injustices de notre passé; Honorons ceux qui ont souffert pour la justice et la liberté dans notre pays; Respectons ceux qui ont travaillé pour construire et développer notre pays; et Croyons que l'Afrique du Sud appartient à tous ceux qui vivent en elle, unis dans notre diversité. Nous avons donc, à travers nos représentants librement élus, adoptons cette Constitution comme la loi suprême de la République de façon à : Guérir les divisions du passé et d'établir une société fondée sur des valeurs démocratiques, sociales; la justice et les droits fondamentaux; Jeter les bases d'une société démocratique et ouverte, dans laquelle le gouvernement est basé sur la volonté du peuple et chaque citoyen est également protégé par la loi; Améliorer la qualité de vie de tous les citoyens et de libérer le potentiel de chaque personne; et Construire une Afrique du Sud unie et démocratique capable de prendre sa place légitime en tant que souverain ; État dans la famille des nations. Que Dieu protège notre peuple".

A noter comment les préambules de ces deux pays sont brefs, net et précis contrairement à celui sur deux pages de la constitution algérienne.

2. Un Etat moderne et démocratique ne doit pas avoir une religion

L’article 2 de la nouvelle constitution demeure le même que celui dans les précédentes versions à savoir que «l’Islam est la religion de l’État».

Pour ne pas créer des dérapages idéologiques et confessionnels, les questions religieuses des pays modernes et véritablement démocratiques sont réglées d’une façon globale. A titre d’exemple le Canada, dont la religion fait partie des libertés fondamentales, il est stipulé que : "Chacun a les libertés fondamentales suivantes : a) liberté de conscience et de religion; b) liberté de pensée, de croyance, d’opinion et d’expression, y compris la liberté de la presse et des autres moyens de communication; c) liberté de réunion pacifique; d) liberté d’association".

Il en est de même de la constitution suisse, dont l’article 15 relatif à la liberté de conscience et de croyance, stipule : "1. La liberté de conscience et de croyance est garantie, 2. Toute personne a le droit de choisir librement sa religion ainsi que de se forger ses convictions philosophiques et de les professer individuellement ou en communauté, 3. Toute personne a le droit d'adhérer à une communauté religieuse ou d'y appartenir et de suivre un enseignement religieux, 4. Nul ne peut être contraint d'adhérer à une communauté religieuse ou d'y appartenir, d'accomplir un acte religieux ou de suivre un enseignement religieux".

Relisez bien ce dernier point et mettez-le dans le contexte algérien ou c’est l’état qui contraint ses citoyens (plutôt ses sujets) à adhérer à l’Islam de par ses TVs et Journaux, ses imams salariés et ses mosquées dont la plus grande et couteuse en voie de finalisation à Alger, … ou à suivre un enseignement islamique de par ses écoles et l’éducation islamique devenue sciences islamiques obligatoire avec grands coefficients, alors que, pour rappel, tamazight est à statut facultative.

3. Langues nationales et officielles

Comme le voisin marocain, mais avec un retard de 5 ans, l’Algérie octroie à tamazight, dans un article bis le statut d’une langue officielle secondaire, qui n’est pas celle de l’État, donc pas vraiment officielle, disant officieuse.

A noter la longueur de cet article et surtout la place de choix et les privilèges disproportionnés réservés à chacune des deux langues officielles que sont l’ancestrale de Dihya et Aksil et celle de Musa Ibn Nussayr et Oqba Ibn Nafa :

ARTICLE 3: L’Arabe est la langue nationale et officielle.

L’Arabe demeure la langue officielle de l’État.

Il est créé auprès du Président de la République, un Haut Conseil de la Langue Arabe.

Le Haut Conseil est chargé notamment d’œuvrer à l’épanouissement de la langue arabe et à la généralisation de son utilisation dans les domaines scientifiques et technologiques, ainsi qu’à l’encouragement de la traduction vers l’Arabe à cette fin.

ARTICLE 3 bis: Tamazight est également langue nationale et officielle.

L’État œuvre à sa promotion et à son développement dans toutes ses variétés linguistiques en usage sur le territoire national.

Il est créé une Académie algérienne de la langue Amazighe, placée auprès du Président de la République.

L’Académie qui s’appuie sur les travaux des experts, est chargée de réunir les conditions de promotion de Tamazight en vue de concrétiser, à terme, son statut de langue officielle.

Les modalités d’application de cet article sont fixées par une loi organique.

A comparer maintenant avec les constitutions des pays modernes et démocratiques. D’abord le Canada dans son article 16: "Le français et l’anglais sont les langues officielles du Canada; ils ont un statut et des droits et privilèges égaux quant à leur usage dans les institutions du Parlement et du gouvernement du Canada".

Ensuite la Suisse dans son article 4 : "Les langues nationales sont l'allemand, le français, l'italien et le romanche".

Enfin le cas de l’Afrique du Sud est très frappant en ce sens que dans son article 6 alinéa 1, il est formulé ceci: "Les langues officielles de la République sont : sepedi, sesotho, setswana, siSwati, Tshivenda, Xitsonga, afrikaans, l'anglais, l'isiNdebele, xhosa et le zoulou".

Etant donné le nombre élevé de 11 langues officielles en vigueur en Afrique du sud, les alinéas 2 à 4 définissent les modalités (sorte d’une loi organique simple et immédiate) d’une gestion équitable et optimale de ces langues selon les provinces de façon à éviter les conflits identitaires.

Le dernier alinéa 5, donne de la place aux langues étrangères couramment utilisées par les communautés en Afrique du Sud, comme l’Allemand, grec, gujarati, hindi, le portugais, le tamoul, le télougou et l'ourdou. Les langues utilisées à des fins religieuses en Afrique du Sud ont aussi leur place comme l'arabe, l'hébreu et le Sanskrit, la langue des textes religieux hindous et bouddhiste.

A signaler qu’un Conseil des langues pan-Sud-Africain est créé par la législation nationale à cet effet pour gérer toutes ces données linguistiques. Quel exemple d’ouverture a toutes les langues du pays Afrique du sud, mais aussi les langues étrangères couramment utilisées, ainsi que les langues utilisées à des fins religieuses!

Vous comprendrez maintenant pourquoi l’Afrique du Sud est le pays le plus développé en Afrique. A titre de rappel, le seul à avoir organiser la coupe du monde de football en Afrique en 2010. Un signe qui ne trompe pas, ou moment où l’Algérie n’a encore aucun stade qui répond aux normes et aux standards internationaux.

4. L’article 178 qui retire ce qu’est obtenu dans l’article 3bis

La grande ruse qui risque de peser très lourd réside dans l’article 178 qui stipule ceci :

"Toute révision constitutionnelle ne peut porter atteinte:

(1) au caractère républicain de l’État;

(2) à l’ordre démocratique, basé sur le multipartisme;

(3) à l’Islam, en tant que religion de l’État;

(4) à l’Arabe, comme langue nationale et officielle;

(5) aux libertés fondamentales, aux droits de l’homme et du citoyen;

(6) à l’intégrité et à l’unité du territoire national;

(7) à l’emblème national et à l’hymne national en tant que symboles de la Révolution et de la République".

Notez particulièrement comment la langue arabe est sacralisée au même titre que les autres constantes à ne pas toucher par les générations futures. Si comme si en se projetant dans l’avenir, leur ancêtre, sa majesté, l’élu du dieu Rab Ezaïr, Bouteflika en a décidé ainsi. C’est à peine croyable comment les constitutionnalistes irresponsables ont fait passer une telle bourde avec un mal élu à 4 reprises. Un article provocateur qui va créer beaucoup de grabuges et qui risquent même de se transférer en un jeu de protestations-répressions sans fin. Pour cause que toutes les parties amazighes dont principalement la Kabylie n’admettront jamais que leur héritage linguistique multimillénaire soit humilié de cette façon, au détriment d’une langue venue de la lointaine Arabie.

5. Conclusion

Malgré que le régime algérien a tout fait pour éviter une constituante, telle que souhaitée de tous temps par le regretté Hocine Ait Ahmed, et telle qu’accomplie récemment avec succès par la voisine Tunisie (mais sans le règlement de la donne identitaire qui va la rattraper un jour), il vient de rater une occasion en or pour mettre un peu de l’ordre dans la maison Algérie qu’il a légué du colon français.

Il se trouve que malheureusement le modèle linguistique Jacobin de ce dernier continue à le fasciner avec cette nouvelel constitution mais en procédant à quelques modifications maladroites pour répondre aux différentes pressions d’ordre identitaires. Pressions qu’il ne cessait de subir depuis le soulèvement de la Kabylie en 1963 contre la dictature naissante des 3B; Ben Bella, Boumediene et Bouteflika, et ce jusqu’aux victimes du printemps noir de 2001 avec son lot de 128 jeunes kabyles fauchés à la fleur de l’âge. Sans oublier quelques autres phases historiques comme l’académie berbère de Bessaoud Mohand Arab et ses amis créée en 1966, les poseurs de bombe en 1976 Masin Uharun et ses amis, le printemps amazigh de 1980, décès par accident (?) de Mouloud Mammeri en 1989, grève du cartable de 1994 et l’assassinat de Matoub en 1998. Toutes ces longues luttes, pour rappel ont comme point de départ la crise berbériste de 1949 avec ses têtes pensantes Benai Ouali, Amar Ould Hamouda et Mbarek Ait Menguellet.

Il est bien dommage que la nouvelle constitution algérienne n’ait pas empruntée quelques bons modèles de pays exemplaires qui ont su régler les problématiques identitaires et confessionnelles d’une façon optimale à l’image du Canada, la Suisse et l’Afrique du Sud. Des modèles que j’ai prêché en Libye en Aout 2012, juste après la chute de Mouamar El Kedhafi, suite à l’invitation des différents mouvements amazighs Libyens de Tripoli, Yefrene, Nalut, Jadu et Zwara.

Il est important que je précise que le message était bien passé auprès des amazighs libyens qui ne voulaient, depuis rien entendre parler de la constitution libyenne aussi longtemps que Tamazight n’ait pas la même place que la langue Arabe. J’avais en effet scientifiquement démontré à travers les 3 pays que sont le Canada, la Suisse et l’Afrique du Sud, que le règlement loyal de la crise identitaire dans un quelconque pays mène automatiquement à la bonne gouvernance et de facto vers la stabilité institutionnel et le développement socio-économique.

C’est exactement ce que je viens de reprendre dans ce présent article, qui dans le contexte algérien, le système ne veut malheureusement, ni d’une bonne gouvernance, ni d’une stabilité institutionnel et encore moins de développement économique et durable. Tout simplement parce qu’il préfère, volontairement ou pas, tourner le dos au règlement loyal de la crise identitaire du pays qu’il dirige (ou plutôt squatte, le vrai mot). Ceci va le rattraper un jour, et malgré lui. Mais entretemps, il y’a risque d’un effondrement qui va couter très cher, à lui, au pays et par extension à toute la Tamazgha (Afrique du nord).

L’exemple le plus illustratif est justement cette monumentale bévue qui se cache derrière l’article 178. Je vois, a plus au moins court terme, un nombre crescendo d’amazighs, par esprit de représailles, vont nécessairement porter atteinte:

I- à l’intégrité et à l’unité du territoire national, déjà assez fragiles avec les mouvements MAK, MAC et MAM,

II- à l’emblème national, déjà remis en cause par plusieurs voix amazighes (JSK, MOB, MAK, …) puisqu’il ne renferme aucun symbole amazigh comme la lettre Z amazighe (AZA). D’autant plus qu’il n’est un secret pour personne qu’historiquement l’emblème national est idéologiquement pensé par Messali El Hadj en le calquant sur le modèle de ses ancêtres ottomans-turcs, et enfin

III- à l’hymne national, déjà remis en cause par le regretté Matoub puisqu’il est exclusivement en arabe, et dont les paroles, pour rappel, sont du poète amazigh mozabite Moufdi Zakaria (Quelle ingratitude!).

Puisque cet article de discorde (178) permettra aux services de répression de très mal réagir à ce qui vient d’être dit, je vous laisse le soin de deviner les conséquences fâcheuses.

Dr. Racid At Ali uQasi

Canada, mardi 05 janvier 2015

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Commentaires (7) | Réagir ?

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gtu gtu

merci

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koceila ramdani

On en a rien à foutre de leur P.... de constitution à la con, notre devoir est de d"fendre les intérêts de nos enfants, vu qu'ils en ont rien à foutre de l'avenir des leurs, le problème c'est les kabyles de service qui leur lèchent les C..., soyons justes et solidaires entre nous, et on leur mettra des bâtons dans les roues à ses énérgumènes.

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