Experts et autres imams cathodiques !

Cheikh Chamseddine, un exemple d'imam cathodique.
Cheikh Chamseddine, un exemple d'imam cathodique.

C’est la grande énigme qui torture la pensée des intellectuels déclarés, des politiques chevronnés, des théoriciens de l’analyse socio-historique et bien d’autres observateurs dits avertis, jusqu’au citoyen lambda submergé d’informations, prévoyant le pire pour ce pays qu’est l’Algérie : ça ne va pas tenir longtemps, ça va exploser, le pays va vers une guerre civile, prédisent bien des experts (*).

On l’aura constaté, les experts sont omniprésents sur nos petits écrans, avec cette différence : certains ont la faveur des plateaux télévisés, tandis que d’autres ne passent pas. Ils ont, en tous les cas, l’avantage sur nos responsables qui, très peu loquaces, ne communiquent guère. Sinon très peu, ou alors très mal. Et quand ces derniers le font, c’est toujours en réaction par rapport à tel ou tel événement, ce qui est de nature à corser davantage "l’affaire".

Là, pourtant, n’est pas le propos, car la présente contribution, concerne quelques pseudos-experts ou du moins une petite minorité d’entre eux, en quête de "starisation". Ces gens-là veulent à tout prix passer à la télé, parler à la radio et se faire appeler "khabir", "moukhtass fi echououne kada oua kada" ou "bahit acadimi", c'est-à-dire expert, en tout et en rien, en somme. Des experts de salon, disons-le sans ambages, loin de la réalité ; ils se font passer pour des stratèges aux lieux et places des compétences avérées, celles qui ont côtoyé le monde extérieur et acquis ainsi, de solides connaissances et des expériences potentielles bénéfiques.

Défonceurs de portes ouvertes, adeptes de la langue de bois, ces aspirants-experts-économistes-politologues, en herbe, ne manquent pas d’air, si l’on en juge par leur niveau d’audace. Alors qu’ils n’ont pas vocation à le faire, ils n’hésitent jamais à donner leur avis, franco de port, face à la caméra, ou pour peu qu’on leur tende un micro. Ils arrivent même à ces experts de jouer de leur expérience pour faire passer leur opinion politique.

Généralement, ils manquent d’informations les plus élémentaires et les plus utiles à l’élaboration d’une vision claire des sujets qu’ils abordent. Ils ne disposent d’aucun élément pour en faire l’évaluation. Qu’à cela ne tienne, nos experts traitent de tous les sujets, de manière désinvolte, avec cette facilité déconcertante qui sied aux ingénus. Parmi eux, il y a ceux qui développent un commentaire teinté de chauvinisme étroit et se disent nationalistes ; d’autres, estampillés idéologiquement, n’hésitent pas à défendre des thèses portées par des islamistes notamment, quand il s’agit d’évoquer le sujet de la condition féminine comme bloquer, par exemple, la loi concernant les violences faites aux femmes.

Faut-il les laisser parler ces "douktours" coincés psychiquement, ces "khabir moukhtass", ces "bahit acadimi", abonnés, soit dit en passant, aux chaines de télévision El Jazeera ou France 24, pour dire ce qu’ils ont à dire sachant que la communication orale est la plus prépondérante, la plus parlante en Algérie. C’est celle, d’ailleurs, qui échappe le plus au comportement rationnel adulte. Celle qui vient des profondeurs de l’inconscient et ses fantasmes fondamentalistes. Sinon, comment expliquer que des docteurs en physique nucléaire, des universitaires ayant fait les grandes écoles étrangères se sont laissés mener par «le bout du nez» par des apprentis sorciers et des imams de pacotille ? Comment ont-ils pu troquer leurs bagages intellectuels faits de rationalité et de tolérance contre des germes de barbarie intégriste ou s’inspirant de l’inquisition moyenâgeuse ?

A ce jeu-là, les chaines de télévision privées algériennes ne sont pas en reste ; elles ont propulsé des prédicateurs vers des sommets ! Amusés d’abord, les Algériens sont désormais effarés par le pouvoir des imams cathodiques qui énoncent interdits et fatwas : dernières victimes en date, le réalisateur Lyes Salem et le journaliste-écrivain Kamel Daoud ! Ils sont aussi choqués par les capacités d’embrigadement de ces imams et de leur pouvoir hypnotisant sur certains jeunes dont ils ont réussi "à tourner la tête" en les convaincant d’aller faire le "djihad". A ce sujet, gardons toujours à l’esprit que ces gens-là interviennent souvent en direct sur les ondes radios et les canaux de télévisions étrangères, et l’impact de ce qu’ils avancent comme affirmations, ou éléments de langage redondants, se paye cash. En effet, quelque part, ces prédicateurs et aussi ceux qui se présentent comme enseignants dans telle ou telle université de l’intérieur du pays, mais aussi experts en tout et en rien, occupent le vide laissé en la matière, par ceux qui sont sensés prendre en charge la communication, qu’elle soit officielle ou qu’elle participe de l’avis religieux, intellectuel et/ou scientifique.

Quelques-uns d’entre eux cherchent en fait à se distinguer par une posture différente, mais néanmoins «intéressée», de l’ensemble des professeurs, beaucoup plus préoccupés par le suivi de leur chaire et l’avenir de leurs étudiants. Ces derniers d’ailleurs ne se sont pas trompés pour dire, avec beaucoup de retenue, que ces professeurs gagneraient à se limiter à enseigner, plus ou moins correctement, le module pour lequel ils sont payés.

A propos de rémunération justement, l’intervention de ces experts se fait-elle à titre onéreux ? Perçoivent-ils des jetons ? Sont-ils mandatés pour intervenir en cette qualité ? Par qui éventuellement ? Sont-ils connus pour leurs publications ou des livres qu’ils auraient écrits ? Engagent-ils directement ou indirectement l’université ou l’institution dont ils dépendent ? Autant de questionnements qu’on est en droit de se poser. Doit-on pour autant les inviter à faire montre de plus de retenue, compte-tenu de la gravité des sujets abordés ? D’élever, conséquemment, leur niveau de leur prestation ?

Car ce que l’on a retenu de leurs interventions passées, outre la langue de bois, c’est l’indigence du discours développé, tenant de la discussion de bureau ou de quartier, entre potes et collègues, où les mots fusent comme une logorrhée. Ils reprennent des éléments de langage éculés, redondants, galvaudés, qui ne font pas avancer le "schmilblick". La démonstration nous a été faite à l’APN, à l’occasion des débats qui ont marqué le PLC pour 2016 où il n’a été question que du prix des carburants, de l’huile et du sucre, au moment même où on était en droit d’attendre des propositions en matière de relance de l’investissement, par exemple.

Mais pourquoi persistent-ils alors à faire des interventions très minimalistes, comme celles que font les personnes à court d’idées ? Se confondre en conjectures sur des thèmes divers, sans éléments en main, pour en faire l’évaluation ? Parler de choix stratégiques et sécuritaires, indûment ? Ou plus encore, parler de foot et de tactique au point de faire sortir de ses gongs Christian Gourcuff ! Tel que distillé, leur avis et c’est là que réside le danger, peut être perçu comme le sentiment prédominant dans notre pays voire même comme la position officielle.

Quelles pulsions secrètes motivent, aussi, la participation de certains retraités militaires, au jeu médiatique ? Cette relation cathodique où il convient de se faire désirer tout autant que résister à la tentation de jouer de son «expertise» ? Pour sortir de l’anonymat, apparaitre à la télévision, épater sa famille, ses amis et accessoirement se manifester auprès "de qui de droit", sait-on jamais.

Les choses étant aujourd’hui ce qu’elles sont, c'est-à-dire très graves, est-il permis de laisser n’importe quel discoureur, intervenir sur une quelconque chaîne et semer la confusion Maintenant, si l’on doit se conformer à la liberté d’expression telle que consacrée dans notre pays, libre aux autoproclamés experts d’aller pérorer sur tous les plateaux, à condition : "de préciser avant tout propos, qu’ils n’engagent que leur petite personne et que leur expertise ne reflète aucunement la position officielle de l’Algérie".

Ceci étant dit, le propos ici n’est pas de jeter l’opprobre, sur tous ceux qui participent de bonne foi aux débats publics par des interventions aussi remarquées que remarquables. En ces temps de crise, faut-il le dire, toute proposition est bonne à prendre, d’autant plus que c’est le premier ministre Abdelmalek Sellal qui le dit ; en effet, lorsqu’il s’est adressé au panel d’experts qui se sont réunis autour des responsables du CNES, le 15 octobre dernier, il leur a affirmé : "qu’il était à la recherche de correctifs et non pas de préconisations qui remettent en cause les acquis sociaux !".

C’est ce à quoi s’est attelé, semble-t-il, le professeur Mebtoul jusqu’à ce qu’il soit, selon ses dires, menacé au téléphone par le ministre des Finances qui l’aurait "sommé de cesser de faire des déclarations sur la situation économique du pays". Bien sûr ce dernier a rejeté ces dénégations affirmant que "Monsieur Mebtoul a le droit d’exprimer son avis, mais il ne peut s’arroger le privilège de juger les personnalités algériennes en se référant à des informations, faisant dire au ministre des finances, sans confirmer leur véracité, que l’Algérie n’est pas en crise !".

Que faut-il en déduire si ce n’est qu’entre nos gouvernants et les experts, les vrais, il y a encore du chemin à faire.

Cherif Ali

Renvoi :

(*) M’hammedi Bouzina Med "Des prophètes et un peuple"

Plus d'articles de : Forums

Commentaires (2) | Réagir ?

avatar
klouzazna klouzazna

Seule L'egypte qui abrite les centres des transmissions de nilesat et arabsat peut mettre un terme à ce fléau !!!

avatar
khelaf hellal

Il faut réfuter, contredire et démonter les discours irrationnels et obscurantistes des charlatans. Vous vous rendez compte, il y a encore des religieux qui soutiennent que la Terre n'est pas ronde et que c'est le soleil qui tourne autour de la terre et non l'inverse. Il y aura encore beaucoup d'autres âneries qui sortiront de la bouche de ces imams cathodiques tant que personne ne les arrête dans leurs divagations. Ils veulent faire tourner le monde par la superstition, des interdits (la-yadjouz) moyens-âgeux , des sophismes trompeurs, des inhibitions de la liberté de penser et d'agir. Pierre Daco les appelle : Les bouffeurs d'énergie. Ils étouffent, emprisonnent et aliènent la personne qui les écoute ou qui subit leur diktat pour en faire leur esclave, leur membre aliéné et soumis , leur mouton fidèle, à tel point qu'il sera très difficile de les délivrer de cette emprise ni d'éveiller leur conscience parce que ce sont eux-mêmes qui n'en voudront pas, qui vous combattront et défendront leur gourou jusqu'à la mort, comme dans les endoctrinements sectaires. Sous prétexte qu'ils ne font qu'éduquer et moraliser la vie en public, ils ne font au contraire que manipuler mentalement les jeunes, les fanatiser et leur poser des œillères lorsque l'Etat ne fait rien pour sévir par la force et la rigueur de la loi ou contredire par l'enseignement scolaire et le discours officiel leur charlatanisme cathodique.