Pour un 1er novembre pacifique de la culture !

Azzrdine Mihoubi, ministre de la Culture, interpellé sur la gestion de la création culture
Azzrdine Mihoubi, ministre de la Culture, interpellé sur la gestion de la création culture

Lettre ouverte aux autorités culturelles algériennes.

Consternant, affligeant et triste. C’est l’état de la culture dans notre beau pays. La culture est la manifestation sociale de la mémoire collective. Elle précède l’écriture et elle survivra aux encyclopédies numériques. À ce titre, elle se situe hors du temps et représente l’âme, la mémoire, le savoir d’une nation et de son peuple. La culture algérienne a réellement le potentiel de rayonner de part le monde, de véhiculer le génie de notre jeunesse, de cimenter encore plus notre unité. Alors pourquoi malgré la grandeur de notre nation, malgré la richesse et la diversité de son histoire, malgré les talents innombrables qui composent sa jeunesse, malgré les infrastructures et les sommes astronomiques injectés dans le secteur culturel, nos œuvres et nos manifestations demeurent bien en deçà de nos attentes et si loin des résultats escomptés ?

L’Algérie est un pays extraordinaire que nous aimons sans limite. Nous, le peuple. Nous, les artisans, les fabricants d’images, de sons, de sculptures, de spectacles, de récits fantastiques et de rêves. Car c’est bien nous, qui produisons la culture algérienne. Sans nous, il n’y aurait pas de films. Sans nous, il n’y aurait jamais eu de livres, ni de musique, ni de danse, ni de théâtre en Algérie. Or, la politique culturelle menée dans notre pays va à l’encontre de ce principe. Selon la stratégie mise en place, c’est l’État et seulement l’État qui est en droit de produire la culture. Aujourd’hui, un Algérien ne peut pratiquement pas faire de film, réaliser un album de musique ou jouer une pièce sans être sous la tutelle de l’État. Aujourd’hui, en Algérie, on ne peut pas organiser un concert, un spectacle, une pièce de théâtre ou une projection de film sans que l’État permette l’utilisation de l’une de ses salles, sans parler des agréments nécessaires qui demeurent impossibles à obtenir.

Cette politique a presque fini de tuer les initiatives personnelles. Elle a pris en otage la culture en soumettant l’artiste malgré lui à la main mise étatique sur la culture, ce qui a détruit l’envie naturelle de la création au profit d’un pragmatisme qui n’a pour but que le gain. Aujourd’hui, en Algérie, un artiste est confronté a deux choix : soit il est sous l’égide du ministère soit il n’existe pas. Cette dépendance de l’artiste envers l’État l’a rendu impuissant, incapable de relever le défi que lui offre ce nouveau siècle où le meilleur ambassadeur d’une nation reste l’artiste. Il paraît pourtant évident qu’aucun ministère au monde ne pourrait prendre en charge à lui seul toute la culture de ce pays car ce pays est bien trop grands et nos talents bien trop nombreux. Notre État ne devrait pas se donner pour rôle celui de producteur exclusif de la culture. Il pourrait plutôt mettre en place des processus qui permettent au peuple et à ses artistes de créer en toute liberté, de s’autogérer et de vivre dignement de leur activité, ce qui est loin d’être le cas.

Ce message, je vous l’adresse en tant que modeste participant à la culture algérienne et non pour créer une quelconque polémique. Mon but n’est pas de critiquer les fonctionnaires qui œuvrent pour que la culture existe ni de demander à l’État de ne plus financer les projets culturels. Il faut que l’État aide la culture. Mais il faut aussi nécessairement que la culture puisse vivre d’elle même. Pour moi, il ne doit pas y avoir de scission entre les artistes et l’Etat. Les acteurs de la Culture ne sont pas des ennemis à contrôler ou surveiller. Seulement, agir dans le domaine culturel ne doit pas être le privilège exclusif de l’Etat. Le peuple et l’État se doivent, en toute intelligence, d’œuvrer en connivence afin que la Culture algérienne, dans toutes ses facettes, puisse se développer, éclairer le monde et nous représenter dans notre diversité. Ce message je vous l’adresse comme une supplication. Je vous en prie, au lieu de prendre en charge toute la production de la culture, libérez le secteur privé.

Laissez une chance aux initiatives personnelles de voir le jour et prospérer librement sans dépendre de vous ni d’aucun autre financement étranger. Il existe d’innombrables solutions pour relever ce défi. Réfléchissons, tous ensembles, et prospérons, tous ensembles. Œuvrons, tous ensembles, pour que la culture algérienne reprenne sa digne place sur la scène nationale et internationale.

Pour finir, est-il utile de rappeler que c’est la jeunesse qui a permis l’indépendance de notre pays ? L’Algérie compte parmi elle une jeunesse extraordinaire et pleine de talent. L’accompagner, l’aider à évoluer afin de s’accomplir plutôt que l’assister au point qu’elle n’existe plus sans vous me paraît plus judicieux quant à l’avenir qui s’offre à nous. Ayez confiance en elle. Donnez-lui une chance de se dépasser afin que demain soit toujours meilleur qu’hier. En espérant que notre message trouve un écho favorable chez tous les acteurs du secteur culturel, nous sommes et restons à l’entière disposition de quiconque souhaite construire de bonne foie l’avenir culturel de l’Algérie.

Yacine Bouaziz, producteur Thala Films

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Commentaires (1) | Réagir ?

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Messaoud MESSAOUD

Yacine Bouaziz, a une analyse très rude et fait un diagnostic implacable sur la culture de son pays. la culture est éternelle, sur ce point tout le monde est d'accord.

je ne pense pas que la culture puisse dépendre uniquement de l’État. les artistes sont dans leur grande majorité des êtres plein de liberté.

ils faut seulement quelques bonnes écoles et quelques bons professeurs, et la jeunesse algérienne va produire ce que l’État n'a même pas imaginé. chaque Nation est un vivier de talents.

c'est vrai, pour les conservateurs de tout poil, les artistes ne sont jamais suffisamment maitrisables.

ce sont eux, néanmoins, qui donnent du sens à la vie. ils montrent la beauté du monde et la complexité des hommes et des femmes.

ils sont la fierté d'une Nation.

l’État se trompe, jamais il ne pourra museler les artistes.