Manifeste patriotique pour la citoyenneté algérienne

Manifeste patriotique pour la citoyenneté algérienne

"L’indifférence est le poids mort de l’histoire."Antonio Gramsci.

"Bedd ad twaliḍ
Ruḥ a d-tawiḍ
Qqim ulac
"

Cheikh Mohand Ou Lhocine

A chaque célébration du déclenchement de la Révolution algérienne, la flamme de Novembre nous rappelle que l’unité de l’Algérie et l’intégrité de son territoire ne doivent rien aux accidents de l’histoire. Le combat du peuple algérien pour sa liberté est indissociable de la construction d’une citoyenneté algérienne capable de prendre en charge les questions identitaires, culturelles, historiques, cultuelles, économiques et politiques. Une citoyenneté offrant à notre pays les moyens de faire face aux bouleversements géopolitiques que connaissent l’Afrique du Nord, le Sahel et l’espace méditerranéen.

C’est au plus sombre de la nuit des ignorances que surgit l’aube d’une pensée subversive, libérant l’esprit de l’emprise du dogme, du poids des préjugés et des non-dits, de l’instrumentalisation idéologique de tout ce qui constitue l’individu, le groupe social et l’entité nationale.

Cette pensée agit comme un antidote à tous les modes de contrôle de la conscience détruisant jusqu’à l’idée de la construction humaine de la citoyenneté, chez l’individu et au sein du peuple auquel il appartient. Elle déconstruit le discours ambiant qui, tout en nourrissant le statu quo d’illusions, se nourrit de tous les fondamentalismes et de toutes les dérives extrémistes qu’il sécrète : le fondamentalisme religieux, le fondamentalisme antireligieux, le fondamentalisme "ethniciste" et le séparatisme qui détourne à son profit le sens du droit des peuples à l’autodétermination. Un droit que notre peuple a arraché au prix le plus fort, il y a de cela 54 ans !

Depuis, des fleuves de sang ont coulé, séparant le peuple de ceux qui, aujourd’hui encore, lui dénient le droit d’exercer ses souverainetés politique et économique.

Que de combats menés ! Que de vies humaines arrachées ! Que de trahisons essuyées ! Que d’espoirs trahis ! Que de malheurs subis ! Que de rêves brisés ! Que de guerres menées contre ce peuple ! Que de stratégies élaborées pour l’aliéner ! Que de stratagèmes fomentés pour le détruire ! Que de machines de mort installées pour remplir les charnières, les fosses communes et les cimetières de ses enfants !

Pourtant, ce peuple est toujours debout. Oui, il est debout ! N’en déplaise aux "intellectuels négatifs", aux apôtres de l’enseignement de l’ignorance, aux larbins du système et aux goumiers de la plume, les enfants de ce peuple portent encore dans leurs cœurs la flamme de Novembre, dans leurs âmes la lumière de la Soummam, entre leurs mains les fleurs du Printemps Amazigh du 20 Avril 1980, sur leurs lèvres le chant de l’Automne d’Alger d’octobre 1988. Un chant que la tentative d’ "arrouchisation" de la dissidence citoyenne de 2001, en Kabylie, n’a pas réussi à altérer.

Pourtant, d’autres tentatives de destruction de toute conception du combat citoyen ont eu lieu dans des régions, comme le M’Zab, où la stratégie du chaos local a fait couler le sang des Algériens. La mobilisation pacifique des Algériennes et des Algériens à In Salah et dans plusieurs régions du pays a montré que la flamme de Novembre et l’Appel de la Soummam continuent à garder intact et vivace l’amour qui nous lie viscéralement à notre pays. Ceux qui pensent avoir eu raison de la mémoire de notre peuple, ne connaissent de son histoire que le produit de l’aliénation dont ils sont les auteurs.

La répression de l’insurrection du FFS en 1963, la guerre contre les civils qui a fait plus de 200 000 morts et de 20 000 disparus, "le terrorisme résiduel" programmé, les stratégies de chaos local pratiquées en Kabylie et à Ghardaïa, l’AQMisation et la daechisation sécuritaires, la corruption institutionnalisée, la dilapidation des richesses du pays, notamment le gaz de schiste, suivant des programmes antipatriotiques servant les intérêts d’une néo-colonisation décomplexée et la violence érigée en mode d’exercice du pouvoir n’ont pas empêché les Algériennes et les Algériens de donner des leçons magistrales de citoyenneté et de patriotisme à un régime rendu autiste par les luttes de clans pour les privilèges du pouvoir et l’argent sale de la rente des hydrocarbures.

Le cannibalisme des clans :

Aujourd’hui, nous assistons à une sorte de cannibalisme clanique, au sein d’un régime fait de clans mafieux où la confusion entre la fonction de haut responsable militaire, l’exercice des souverainetés politique et économique et les cercles informels de la distribution de la rente est maintenue. Ce cannibalisme est rendu possible par des luttes féroces permettant au système de se nourrir de la chair de ses enfants et, plus souvent, de celle des enfants du peuple. Aussi, ce cannibalisme se nourrit de velléités néocoloniales faisant de notre pays le théâtre d’une guerre géopolitique dont les raisons sécuritaires d’Etat continuent à taire le nom.

Ainsi, la police politique change de têtes, de visages. L’auteur de la terrible théorie du "terrorisme pédagogique" (l’ex-patron du DRS) semble pris au piège de ses machinations macabres. Comme un fusible, le système le fait sauter, puis, le remplace par l’un de ses anciens sbires les plus proches. Un sanguinaire ayant appliqué à la lettre la théorie du "maître" déchu.

Dans ce clair-obscur, les marionnettistes prennent d’autres visages et le banditisme clanique d’autres postures. A ce titre, la légende aliénante du passé révolutionnaire d’un président, pourtant, inapte à exercer sa fonction, et de sa victoire supposée sur "le diwan des généraux" se nourrit de celle de l’ancien patron du DRS qui, par un coup de baguette médiatique magique, devient "authentiquement" patriote. Le tout étant de vendre ce changement clanique sous le label d’un changement politique, sans toucher aux fondements et à la nature du système. Pour accréditer la thèse de ce "changement", les médias sont mis à contribution. Le mythe destructeur du vainqueur se nourrit ainsi de celui, tout aussi destructeur, du vaincu. Dans ce combat de coqs, l’imposture triomphe.

Il est temps que l’on arrête de se nourrir d’illusions. Le régime opaque du système antipolitique algérien est inapte à toute ouverture sur la société. Le mouvement de «structuration» clanique qu’il connaît actuellement est dicté, via un agenda régional, par des puissances étrangères, leurs officines et des multinationales ayant décidé de changer les règles du jeu après "l’épisode" de Tiguentourine.

C’est dire que ces puissances qui ont toujours soutenu le pouvoir algérien, savent lui dicter la marche à suivre. De son côté, derrière la façade populiste d’un nationalisme fanfaron, ce dernier sait se montrer docile. Seulement, le prix de cette docilité est fixé en termes d’abandon de pans entiers de la souveraineté nationale, quitte à hypothéquer l’intégrité territoriale de notre pays ! Ne l’oublions pas, les raisons d’Etat d’hier ont sécrété les raisons sécuritaires d’Etat d’aujourd’hui.

Hier, les raisons d’Etat ont rendu possibles les assassinats politiques, les massacres à grande échelle. Elles ont assuré l’impunité à leurs auteurs et à leurs commanditaires. Aujourd’hui, les raisons sécuritaires d’Etat veulent nous imposer des non-lieux de mémoire sur ces épisodes sombres de notre histoire.

Hier, les raisons d’Etat nous ont empêchés d’affirmer notre citoyenneté et de restaurer notre souveraineté. Aujourd’hui, les raisons sécuritaires d’Etat œuvrent à dépecer des pays anciennement colonisés et libérés au prix fort, comme le nôtre.

Hier, les raisons d’Etat ont fait de nous des khemmas de notre quotidien. Aujourd’hui, les raisons sécuritaires d’Etat veulent nous expulser de notre histoire et nous débouter de l’avenir.

La propagande d’un régime qui connaît une mue dangereuse pour le pays substitue une agitation nourricière du statu quo à toute dynamique citoyenne porteuse d’une alternative démocratique au système clanique.

Devant une situation aussi périlleuse pour notre pays, avons-nous le droit d’être indifférents ?

Avons-nous le droit de tourner le dos à une histoire faite de combats et de sacrifices pour notre liberté ?

Avons-nous le droit de nous taire et de fermer les yeux sur ce qui se passe ?

Avons-nous le droit de capituler devant ces assaillants aux mains entachées de sang ?

Avons-nous le droit de laisser ces corrompus et corrupteurs, ces vendus, ces soldats de leurs mensonges nous voler jusqu’à nos rêves et briser les rêves de nos enfants ?

Avons-nous le droit de nous renier et de les laisser faire ?

Si nous ne sommes pas capables de répondre par un "NON" vigoureux et intransigeant, l’histoire se chargera de répondre à notre place. Elle le fera sans nous et contre nous !

Aujourd’hui, il est devenu de notoriété publique de remettre en question jusqu’à l’existence de la citoyenneté algérienne. Or, l’Algérien n’est pas un être abstrait. Comme tout autre être humain, il est fait de chair et d’os. Il a une âme pour chanter, un cœur pour aimer et un esprit pour rêver, penser et faire de ses rêves des réalités opposées à celles que l’on veut lui imposer comme une fatalité.

C’est par le sang que l’Algérien a abreuvé la terre de ses ancêtres pour la libérer de ses occupants successifs. La pluralité de son identité et la richesse de sa personnalité, il les a forgées, aussi bien, par son combat pour la libération de son peuple de toute forme de servitude que grâce à son ouverture sur les autres peuples, leurs mémoires collectives et leurs cultures.

Réduire l’Algérie à une création cartographique coloniale est une insulte à tous les sacrifices consentis par notre peuple pour arracher sa liberté. Une telle injure à notre histoire vise à détruire l’algérianité de chacun de nous, en compartimentant nos appartenances identitaires et en les opposant les unes aux autres. Ainsi, nous prépare-t-elle à combattre jusqu’à la notion de la citoyenneté en Algérie, en Afrique du Nord et sur la rive sud de l’espace méditerranéen. Cela dit, le peuple algérien est capable de faire échec à de tels desseins.

Dans les moments les plus sombres de "la nuit coloniale", les enfants de ce peuple ont pris leur destin en main. La mobilisation des valeurs ancestrales de bravoure, de résistance à l’oppression et de solidarité leur a permis de mener une lutte politique ponctuée par l’effort révolutionnaire qui a mis fin à 132 ans de colonisation.

Aujourd’hui, il nous appartient de remobiliser ces valeurs en leur injectant du sens par une réflexion adaptée aux valeurs universelles des droits humains. A cet effort de réflexion, nous devons joindre celui de leur redonner de la substance par une mobilisation citoyenne et pacifique. En ce sens, il est de notre devoir de faire de Tajmaat un espace de citoyenneté libéré de l’emprise de l’administration et adapté aux exigences de notre temps. Un espace garant de la séparation du rôle de l’imam des prérogatives de Tajmaat et de l’égalité entre les hommes et les femmes.

Qu’est-ce qu’un patriote ?

La solidarité citoyenne n’a rien d’une «solidarité agnatique» animée et maintenue par «l’esprit du clan». Elle ne constitue pas, non plus, un espace d’extension des appartenances ethniques ou religieuses. Ainsi, elle s’inscrit en faux contre toute velléité de retour anachronique au système tribal ou à la âassabiyya. Un retour articulé autour d’un discours idéologique fait de récits mythiques hostiles au récit historique et négateur de l’idée même de la citoyenneté.

Cette solidarité participe de la construction mutuelle d’une citoyenneté à la substance socio-culturelle et au sens politique rénovés. En somme, elle prône une métamorphose qui prend en charge nos mémoires collectives afin de nous restituer le récit de notre histoire, de nous permettre de vivre réellement notre présent et de nous projeter sur l’avenir.

Cette solidarité construit le citoyen en chacun de nous. A ce titre, elle contribue efficacement à faire de chacun de nous une entité politique agissante au sein de la société. Seulement, elle ne peut être subordonnée au factuel ou réduite à un ensemble de manifestations caritatives. En d’autres termes, cette solidarité est éminemment politique. Elle l’est d’autant que dans un pays, comme le nôtre, en proie aux non-dits, aux préjugés, à l’impensé et à l’impensable, elle ne peut atteindre sa plénitude patriotique en étant privée de deux leviers : la vérité et la justice.

Par ailleurs, la solidarité citoyenne est une dynamique indissociable de l’éthique. Elle l’est dans le sens où la mobilisation qu’elle inclut repose sur un «traité d’éthique» indispensable pour l’élaboration d’un Contrat social permettant de rendre l’Etat à la Nation et la Nation au Citoyen.

L’exercice d’une souveraineté acquise au prix du sang ne peut se soustraire à la responsabilité à la fois morale, politique et historique de reconnaître au peuple le statut référentiel, unique et indiscutable de détenteur de la légitimité politique. Affranchi de cette responsabilité, l’exercice du pouvoir devient tyrannique au point de permettre l’effusion du sang, le politicide et la mise du pays en danger d’une partition sanglante.

La patrie a pour nom le pays et prénom, le peuple.

Etre patriote, ce n’est pas faire le garde champêtre des barons du régime.

Etre patriote, c’est mettre fin à la supercherie de «la famille révolutionnaire».

Etre patriote, c’est œuvrer à une définition de la nation algérienne consacrant irréversiblement les pluralités et les diversités culturelles, linguistiques, confessionnelles et identitaires.

Etre patriote, c’est mener un combat sans relâche pour que la vérité soit établie et la justice faite sur tous les crimes commis contre les enfants de notre pays, son économie et la mémoire de son peuple.

Etre patriote, c’est se battre pour arrêter l’effusion du sang des Algériennes et des Algériens.

Etre patriote, c’est préserver les richesses naturelles de son pays et l’avenir des générations futures.

Etre patriote, c’est faire le choix de servir le peuple au lieu de l’asservir en vendant son âme au système.

Etre patriote, c’est se construire culturellement, intellectuellement, politiquement et socialement en citoyen affranchi du système informel national de l’exercice du pouvoir et de ses ramifications locales.

Etre patriote, c’est participer à la construction de ce citoyen chez l’autre.

Etre patriote, c’est œuvrer à la réhabilitation de son peuple dans son droit d’exercer ses souverainetés politique et économique.

Etre patriote, c’est se battre pour la préservation des mémoires collectives de son pays.

Etre patriote, c’est nourrir toutes les diversités et les pluralités de son peuple.

Etre patriote, c’est se dresser contre les fondamentalismes religieux et antireligieux, les dérives du retour aux identités segmentaires (ethniques, religieuses...) au détriment de l'identité citoyenne transcendante.

Etre patriote, c’est veiller à la préservation de l’intégrité territoriale de son pays.

Etre patriote, c’est se battre pacifiquement pour extirper son pays des griffes des supplétifs d’une néo-colonisation menée au nom de l’ultralibéralisme mondialisé.

Etre patriote, c’est participer à une nouvelle construction, humaine, d’une citoyenneté algérienne, harmonieuse dans ses pluralités et diversités, ouverte sur tout ce qui constitue l’espace nord-africain et l’espace méditerranéen, une citoyenneté heureuse d’accueillir en son sein tout ce qui est humain.

L’indifférence est une forme de soumission à la fatalité. Or, la fatalité ne fait pas l’histoire. Les enfants de notre peuple qui ont allumé la flamme de Novembre nous l’ont enseigné. A nous de retenir la leçon.

Vive l'Algérie démocratique et sociale

Gloire à tous les martyrs de notre pays

Nous invitons l’ensemble des citoyennes et des citoyens algériens qui partagent les valeurs énoncées dans ce manifeste à joindre leurs signatures aux nôtres.

Les signataires :

Omar Benderra, Ramdane Achab, Tahar Khalfoune, Amar Taleb, Boualem Hamadache, Ali Aït Djoudi, Tahar Si Serir, Essaid Aknine, Hacène Loucif.

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Commentaires (7) | Réagir ?

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Algerie Algerienne

votre article très très touchant, n oubliez pas de le partager sur Facebook pour que des milliers d'algériens puissent le lire et partager a leur tour.... oui non sommes toujours patriote pour notre nation bien aimée comme l était nos parents moudjahiddine/ fellagha... vive l Algérie

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Amsafeg Tamsafga

La création de l'Algérie, sur un coup de tête du général Schneider en 1839, le tracé de ses frontières, l'accord de de Gaulle pour lui laisser le Sahara... tout cela tient bien au hasard historique.

Et il n'existe à ce jour aucune "identité citoyenne transcendante" dont parlent les auteurs de ce texte.

Il n'y a qu'une identité arabo-islamiste et une soumission au colonialisme saoudien.

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