Avec la baisse du pétrole, quelles perspectives pour l’économie algérienne ?

Sonatrach, seule source rente du pouvoir, a vu ses rentrées fondre avec la chute du cours du pétrole.
Sonatrach, seule source rente du pouvoir, a vu ses rentrées fondre avec la chute du cours du pétrole.

Je me propose d’analyser le diagnostic du gouverneur de la Banque d’Algérie en date du 08 septembre 2015, concernant l’évolution de quatre indicateurs, l’évolution de la cotation du dinar, le Fonds de régulation des recettes, les réserves de change et le niveau d’inflation déterminant le pouvoir d’achat

1.- Concernant le Fonds de régulation des recettes, selon la LFC2015, les dépenses budgétaires sont 7.588 mds DA et les recettes de 4.953 mds DA donnant 2635 milliards de dinars de déficit budgétaire, soit 26,35 milliards de dollars de déficit au cours de 98 dinars un dollar et 33,35 milliards de dollars au cours de 79 dinars un dollar cours de la loi de finances initiale. Si je prends une moyenne de 28 milliards de dollars et dans l’hypothèse qu’une baisse en moyenne annuelle occasionne une perte de 600 millions de dollars :

- A 60 dollars, et aux prix constants de 98 dinars un dollar, ratio établi dans la LFC2015, les avoirs du FRR s'étaient établis, après prélèvements, à 58 milliards de dollars contre 70 milliards de dollars fin 2013 et terminera entre 30/31 milliards de dollars fin 2015, car un dérapage du dinar par rapport au dollar gonflant artificiellement le fonds de régulation des recettes. En cas de non rationalisation de la dépense publique, et au rythme de la dépense publique actuelle, l’épuisement serait fin du premier semestre 2017.

- A 50 dollars le Fonds de régulation des recettes s’établirait à 24/25 milliards de dollars fin 2015. En cas de non rationalisation de la dépense publique, et au rythme de la dépense publique actuelle, l’épuisement serait le début du premier semestre 2017.

- 40 dollars le Fonds de régulation des recettes terminerait à 17/18 milliards de dollars fin 2015. En cas de non rationalisation de la dépense publique, et au rythme de la dépense publique actuelle, l’épuisement serait courant 2016.

2.- Les réserves de change étaient de 193,3 milliards de dollars à fin juin 2014, à 185,273 milliards de dollars à fin septembre 2014 et de 178,9 milliards de dollars à la fin décembre 2014.

Le gouverneur de la Banque d’Algérie, cité par l’APS, vient de faire savoir le 08 septembre 2015 que "le niveau des réserves de change de l’Algérie se sont établies à 159,027 milliards de dollars fin juin 2015, contre 178,938 milliards de dollars fin décembre 2014". Cela s’explique par la cadence des importations de biens et services, la chute du cours du pétrole et également de la dévalorisation monétaire d’une partie des placements effectués en euros du fait de sa dépréciation par rapport au dollar.

Mais existe un paradoxe. Le gouverneur avait déclaré le 13 juillet 2015, toujours cité par l’APS, reprenant la note de la Banque d’Algérie sur les tendances financières et monétaires au premier trimestre 2015, "les réserves de change de l’Algérie ont enregistré une forte contraction en s’établissant à 159,918 milliards de dollars à fin mars 2015 contre 178,938 milliards de dollars à fin décembre 2014", soit une baisse de 19,02 milliards de dollars en trois mois. J’en déduis que pour les mois d’avril, mai et juin 2015, la sortie de devises via les réserves de change n’a été que de 891 millions de dollars, moins d’un milliard de dollars. Existent trois explications :

- Premièrement que les recettes en devises de Sonatrach durant ces mois ont servi à couvrir une fraction des importations ;

- Deuxièmement hypothèse la plus plausible, que bon nombre de factures n’ont pas été encore honorées.

- Troisième hypothèse mais suicidaire le blocage des importations du fait que les besoins des ménages et des entreprises dont le taux d’intégration ne dépasse pas 15% proviennent de l’extérieur. Car selon la LFC2015, la valeur des importations en devises sera importante sans compter les services qui avoisinent entre 11/12 milliards de dollars.

En effet, pour les importations de biens, le gouverneur annonce, bien qu’en légère baisse, 27,8 milliards de dollars d’importation de biens et au rythme actuel nous irons vers 56 milliards de dollars non compris les importations de services qui ont fluctué annuellement entre 2011/2014 entre 11/12 milliards de dollars et non compris les transferts légaux de dividendes des sociétés étrangères, la règle des 49/51% où l’Algérie supporte tous les surcoûts.

Cela explique que pour le premier semestre 2015 et cela risque de s’accélérer au second semestre 2015 que le solde global de la balance des paiements atteint un déficit record de 14,39 milliards de dollars, alors qu’il n’était que de 1,32 milliard de dollars au premier semestre 2014.

Pour les exportations le gouverneur annonce y compris le montant dérisoire des exportations hors hydrocarbures (812 millions de dollars), 18,1 milliards de dollars au premier semestre 2015. Or la LFC20145 prévoit une recette de Sonatrach de 34 milliards de dollars au cours moyen de 60 dollars, recettes auxquelles il faut déduire les charges de Sonatrach ( environ 25%) ne lui restant qu’environ 25/26 milliards de dollars alors que selon le ministre de l’énergie le programme d’investissement de 100 milliards de dollars entre 2015/2020 est maintenu devant soit puiser dans les réserves de change ou aller vers l’endettement extérieur.

Au cours de 50 dollars les recettes de Sonatrach seraient d’environ 28 milliards de dollars ne lui restant comme profit net entre 20/21 milliards de dollars. A 40 dollars le profit net de Sonatrach ne dépassera pas 15 milliards de dollars.

Cela influencera sur tous les indicateurs macro-économiques et macro-sociaux avec le risque d'aller vers le FMI horizon 2018. Mais il existe des marges de manœuvres pour éviter ce scénario catastrophe. A la différence de 1986, la dette extérieure est inférieure à 4 milliards de dollars et les réserves de change clôtureront entre 135/140 milliards de dollars fin 2015.

En cas de non rationalisation de la dépense publique, et au rythme de la dépense publique actuelle, nous assisterions à l’épuisement des réserves de change courant 2018.

3.- Pour le taux d’inflation, influant sue le pouvoir d’achat en moyenne annuelle, selon le gouverneur, il enregistre sa plus forte hausse annuelle depuis 21 mois , atteignant 4,97% en juin 2015, contre 1,6% en septembre 2014 et 2,92% en décembre dernier, mais compressé artificiellement par les subventions.

Et selon l’enquête de l’ONS, le salaire moyen net mensuel en Algérie (hors secteurs agriculture et administration) a évolué de 4,8% durant l'année 2014 pour s'établir à 37.800 dinars (contre 36.104 DA en 2013), alors qu’en 2012, il était de 31.755 dinars.

Ce taux global a une signification milité pouvant voiler une concentration excessive du revenu national. Toute analyse objective opérationnelle comme j’ai eu à le démonter dans un audit réalisé sous ma direction assisté de 15 experts, pour la présidence de la république entre 2007/2008 intitulé "Audit sur l’emploi et les salaires", "doit saisir les liens dialectiques entre le processus d’accumulation avec le modèle de consommation et la répartition du revenu par couches sociales, enquêtes inexistantes au niveau de l’ONS.

Bien que cette institution précisait déjà en 2013 que 1 043 371 de salariés algériens, à savoir 15,6% des 6 704 536 salariés que compte le pays tous secteurs confondus à cette date, sont payés chaque mois 15 000 dinars. Par la suite, les déclarations officielles lors de l’abrogation de l’article 87 bis notaient que plus de deux millions perçoivent un salaire inférieur à 20.000 dinars par mois, encore que la population salariée est évaluée à fin 2014 à environ 7,5 millions sur une population active dépassant 12 millions entre les permanents et les non permanents.

Or le calcul de l’inflation se fait par rapport à la période précédente, un taux relativement faible par rapport à un taux élevé l’année précédente donne un taux cumulé élevé. Un taux global a peu de signification, car celui qui perçoit 20.000 dinars par mois n’a pas la même perception de l’inflation que celui qui perçoit 200.000 dinars étant attentif à l’évolution des prix des biens de première nécessité. Les transferts sociaux / subventions, bien que mal ciblées de 60 milliards de dollars soit 28% du PIB, tant qu’il y a la rente, paradoxalement la crise du logement (regroupement familial) et la sphère informelle servent de tampon social.

En résumé, la sécurité du pays étant posée, cela implique l'urgence de la volonté politique d'amorcer une production et exportation hors hydrocarbures dans le cadre de la mondialisation, loin de la logique rentière, supposant un réaménagement profond de la logique du pouvoir. La crise n'est pas la seule explication de la baisse des recettes de Sonatrach mais il y a aussi le mode de gouvernance, la bureaucratie sclérosante et le manque de visibilité dans la démarche de la politique économique à travers une instabilité juridique perpétuelle, la rente étant srout une source d'une stabilité sociale artificielle.

Dr Abderrahmane Mebtoul, expert international

Plus d'articles de : Analyse

Commentaires (0) | Réagir ?