Pour être plus fourmi que cigale, il faut de la patience et de la rigueur, M. Tebboune

Tebboune Abdelmadjid, ministre de l'Habitat
Tebboune Abdelmadjid, ministre de l'Habitat

Lors de la réunion qui a regroupé cette semaine le Premier ministre avec les walis dans le but, dit-on, de tracer une feuille de route face à la crise économique que connaît le pays suite à la baisse drastique des recettes pétrolières, chacun des ministres du gouvernement, mais pas tous, sont intervenus pour d’abord soutenir le programme gouvernemental, rassurer les Algériens du maintien des opérations en cours et surtout de la contribution de leurs secteurs respectifs à la démarche globale.

Le ministre de l’Habitat, de l’urbanisme et de la ville, Monsieur Tebboune Abdelmadjid qui est dans l’exécutif depuis début les années 90 avec une petite traversée de désert, est allé beaucoup plus loin en conseillant les algériens d’être plus fourmi que cigale. L’intéressé, réputé dynamique par la célérité des dossiers qu’il a pris en charge, a visé juste mais oublie que les entreprises et notamment ceux de son secteur sont vidées de leur encadrement et que la démarche des gouvernements passés et celui actuel n’est pas du tout de nature à renforcer la communication et la convergence pour orienter l’entropie dans le sens des objectifs de la nation pour agir dans l’intérêt général. L’Algérien, frustré par l’autisme du pouvoir qui le gère, s’est replié sur lui-même pour ne penser qu’à son environnement immédiat. Il est devenu narcissique et complètement déconnecté du corps social. Pour être fourmi, il faut travailler inlassablement et transporter beaucoup de chose même si c’est très peu à la fois. Dans un sens mélioratif, il s’agit d’un travail qui exige beaucoup de patience mais dans lequel on avance très lentement mais dans l’orientation d’un même objectif. Alors ! Quel est cet Algérien qui pense à l’intérêt général ? Quelle est la situation de la créativité dans les entreprises et les institutions publiques ? Comment rattraper l’esprit patriotique dans le milieu professionnel ?

1- La problématique

La presse nationale n’a pas cessé ces derniers temps de relater le dysfonctionnement de la gestion de la compétence dans les grandes entreprises et notamment Sonatrach. Les différentes rencontres autour de la fuite des cadres vers les entreprises étrangères ont inquiété les responsables des ressources humaines qui n’ont pas manqué d’exprimer leurs inquiétudes, parfois d’une manière politicienne mais ils ont tout de même tenté de proposer des solutions. Il se trouve que les différentes solutions proposées sont restées confinées autour des problèmes purement salariaux. Cette façon Pavlovienne d’approcher une question aussi vitale pour l’avenir de nos entreprises soulagerait la pression sur le très court terme mais ne résoudrait en aucun cas le problème sur un avenir prévisible. La solution ainsi préconisée répond à une situation qui semble être imposée par les entreprises étrangères présentes en Algérie et parfois ailleurs mais n’examine pas les causes profondes du malaise de ces cadres. Parce que les entreprises étrangères payent bien, on tente de se rapprocher de leur niveau pour espérer fidéliser les compétences et partant stabiliser les effectifs. On fait comme si tout se résumait à la dimension matérielle pour libérer encore plus les salaires et pourquoi ne pas aggraver la situation qui aboutirait sans aucun doute à une impasse.

2- Les causes en sont multiples

Il est pratiquement impossible étant donné le sureffectif et le niveau de l’équilibre financier de la plus part des grandes entreprises en Algérie d’arriver à un niveau de rémunération appréciable par les cadres par rapport aux salaires offerts par ces entreprises présentes en Algérie qui au demeurant disposent en plus d’un avantage considérable dans la maîtrise des effectifs et par voie de conséquence des coûts. Aujourd’hui, il faut le reconnaître sans complaisance que les expériences passées ont montré qu’en Algérie, tout système salarial quel que soit son objectif, favoriserait les opportunistes et en aucun cas les compétences. D’ailleurs, quelle est cette entreprise qui dans la situation actuelle du pays disposerait de critères crédibles pour distinguer celui qui travaille et celui ne fait rien ou apprécier une performance variable dans le temps et celle qu’il propose fixe.

Il n’est pas politiquement correct pour ne pas dire injuste que dans une phase de transition extrêmement perturbée dans laquelle se trouve le pays, de proposer un système salarial à deux vitesses, où une partie de la population active est bien payée au nom d’une pseudo-productivité et une pénurie de cadres et une autre qui n’arriverait même pas à joindre les deux bouts. Ce serrait entraîner la relation de travail dans des conflits permanents qui entraveraient les réformes, affecterait la croissance et nous ramèneraient à la case de départ.

Ce n’est pas sûr que les cadres fuient le pays pour des raisons strictement d’ordre salarial pour la simple raison que c’est depuis l’indépendance qu’ils sont relativement mal payés acceptant parfaitement le consensus social pour des raisons plutôt psychologiques et morales. Il ne faut pas oublier que des grands projets ont été réalisés par un encadrement algérien sans contrepartie financière conséquente au moment même où des entreprises étrangères transféraient des fonds pour des broutilles alors qu’ils ne pouvaient rien faire et pourtant ils n’ont pas fuient leur pays. On a besoin ni de Lincoln et associés ni d’autres cabinets conseil pour découvrir que les cadres sont mal payés, et vont vers des entreprises étrangères, que les entreprises publiques souffrent d’un turn over important. On n’a pas besoin de microscope pour constater ce dysfonctionnement. La question est de circonscrire avec précision les causes et d’en proposer des solutions, solutions qui n’ont rien à voir avec le partenariat de Statoil ou des contrats à travers une école privée des affaires, mais dans le système de gestion lui-même.

Continuer à orienter les éléments de la solution dans la poche du trésor public serrait se leurrer et n’aboutir à aucune sortie immédiate ou future de cette crise. On serrait emmener à comprendre selon cette logique que si l’Algérie était fermée aux entreprises étrangères, les cadres n’auraient aucune référence salariale et ne fuiraient pas leur entreprise. Si tel était le cas, comment expliquer la présence de plus de 100 000 cadres dans la seule Europe.

3- La solution est ailleurs

Donc le problème de l’encadrement en général et de la gestion des compétences en particulier devra être considéré sous un angle stratégique et doit avoir une vision lointaine. Le monde des affaires ainsi que celui universitaire considère aujourd’hui que la créativité est un moyen de lutte contre la complexification croissante des marchés et l’intensification de la concurrence. L’entreprise pour survivre et surmonter les difficultés que lui imposent les aléas de la mondialisation du marché, dépasse ses frontières pour aller chercher la compétence là où elle se trouve en mettant à sa disposition les moyens qu’il faut. Alors combien même l’Algérie serrait confinée dans son mutisme dirigiste, ses cadres seraient convoitaient de toutes les façons. Aujourd’hui selon les scientifiques, nous serions actuellement dans l’ère de la créativité après celui agricole, industrielle puis informationnelle. Les sciences du comportement qui préconisaient que pour être productif, l’homme au travail doit être heureux, autonome et dispose d’un lien social, poussent leurs hypothèses aujourd’hui pour exiger de lui d’anticiper, de devancer, de créer des idées, des procédures, des produits nouveaux.

C’est primordialement et principalement sous cette optique que les recherches de solutions à cet épineux problème doivent être orientées pour espérer résoudre les difficultés que rencontreront les responsables des générations futures dans le cadre de la gestion des ressources humaines. Quels sont les fondements de ces nouvelles exigences dans la gestion des ressources humaines ? Les entreprises en Algérie ont-elle les moyens pour se mettre au niveau de ces exigences ? Et comment ?

4- Le système de gouvernance Algérien n’encourage pas à la créativité

D’abord l’homme en général et l’homme au travail en particulier est un être créateur seulement, il ne crée pas tout le temps et dans toutes circonstances et donc reste créateur à des degrés divers. On a longtemps pensé que la création n’est pas l’œuvre du commun des mortels en s’appuyant sur une idée grecque qui prônait que l’artiste, créateur par nature est inspiré des dieux. A partir des années 50, des études américaines ont établi que la création est une dimension distribuée normalement dans la population. Donc l’aptitude de créer est quelque chose de fondamental et universel présente chez tout le monde. Elle est par contre plus développée chez les uns que chez les autres il faudrait uniquement la situer par rapport à une moyenne. Cependant deux variables sont nécessaires pour la favoriser : premièrement, la définition claire et précise des missions, de la stratégie et des objectifs de l’entreprise pour susciter chez le salarié un esprit de challenge ensuite favoriser un climat de confiance pour permettre au travailleur de se sentir en sécurité de créer, du moins d’exprimer ses idées.

Alors qu’en est-il dans les entreprises en Algérie ?

- Le système actuel des relations de travail toute convention confondue est fondé sur un principe de commandement / subordination, récompense / sanction. Un bon travailleur bien noté ne doit pas perturber la discipline générale et ne devra en aucun cas déranger l’ordre établi. Celui qui crée, pose des questions et devient un contestataire menaçant ainsi les membres commanditaires d’atteindre leurs objectifs souvent personnels et qui n’a rien à voir avec celui de l’entreprise. Donc le travailleur est censé reproduire ce qui lui est tracé pour répondre aux questions et ne pas poser les siennes. Comment peut-on créer si on est privé de cette curiosité qui alimente notre inspiration et en plus confiné dans un climat de psychose dans lequel se trouvent nos entreprises ?

- Le système de gestion des principales entreprises qui emploient la majeure partie de la population active et sur lesquelles compte toute la nation sont encore au stade d’un mode de gestion du type taylorien mais activiste. En termes plus simples, il se limite à la transmission et l’exécution des ordres avec en plus une forme de relation informationnelle totalement défensive. Aujourd’hui, si on fait semblant d’informer les salariés de la vie de leurs entreprises, c’est uniquement pour faire taire les rumeurs et les orienter vers leurs tâches exécutoires pour mieux les manipuler.

- La formation qui est sensée contribuer grandement au développement de l’esprit de créativité est totalement déviée de cet objectif pour devenir une espèce de sanction. Pour se débarrasser d’un agent turbulent, on lui propose une formation standard sans aucun objectif ni évaluation sérieuse. C’est en pourcentage de la masse salariale qu’on apprécie une action de formation et non en objectif. Un service de formation est jugé par le montant qu’il a dépensé en formation et non sur la base de la qualité de cette dernière. Un des PDG de Sonatrach a confié vouloir dépenser 40 à 50 millions de dollars pour la formation du personnel, alors que d’insurmontables difficultés sont rencontrées actuellement pour placer des jeunes formés à coup de devises dans les différentes structures du groupe et lorsque par chance ils en trouvent, l’affectation ne correspond ni à leur profil ni à leur intitulé de formation. Si les objectifs de cette formation répondent à un besoin précis et projeté, qui devra-t-on adapter, l’homme au poste ou vice versa ? N’est-ce pas une manière indirecte de leur dire : "Partez où vous voulez, on n’a pas de place pour vous. Il était donc préférable qu’au lieu de lancer des chiffres colossaux provenant de la manne pétrolière, de mettre de l’ordre dans la gestion de l’entreprise. Peut-être qu’en faisant cet effort d’implication, on aurait rien à dépenser.

5- Conclusion

A part l’évolution des cours du dollar et les conditions atmosphériques pour réduire la facture alimentaire et espérer une croissance extensive, aucun salarié ne connaît le devenir de son entreprise. La preuve, les intellectuelles et les chercheurs ne savent pas ce qui est devenu le fameux dossier de Temmar sur la stratégie industrielle. Comment espérer d’un salarié, un esprit imaginatif lorsqu’il navigue dans le noir ?

Pour terminer, il est logique que la question de la bonne gouvernance soit à l’ordre du jour lorsqu’on aura su prioriser et prévoir les événements et non subir comme c’est le cas aujourd’hui... A bon entendeur…

Rabah Reghis, Consultant, économiste pétrolier

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Commentaires (3) | Réagir ?

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klouzazna klouzazna

il ne faut surtout pas oublier la persévérance !!! rigueur, persévérance et patience !!!

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khelaf hellal

Nous glissons peu à peu vers un Etat fantoche et compradore, un Etat à la solde des multinationales et des IDE de la mondialisation économique néolibérale. Adieu la république sociale pour s'enfoncer dans un système turbo-capitaliste impitoyable qui démolit toute la raison d'être d'un Etat soucieux des interêts de son économie et de ses masses laborieuses. Un turbo-capitalisme débridé sans syndicats autonomes , sans inspection du travail, sans protection sociale du travailleur, un turbo-capitalisme qui se gave justement du comburant idéal qu'est l'intégrisme islamiste. Un intégrisme islamiste qui y trouve lui aussi son compte s'y épanouit à l'ombre de cette économie de bazars fondée sur l'inpunité, la corruption, l'arnaque religieuse, l'exploitation de l'homme par l'homme etc... Beaucoup se trompent justement en croyant y trouver de la justice, des droits sociaux, de l'humanisme, la fin de la hogra dans ce qui n'est qu'un effet d'opium pour endormir et apaiser les souffrances, un effet d'opium au service de la grande bourgeoisie capitaliste qui a tout à gagner dans cet Etat.

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Parce que vous avez trouvé une Algérie sociale vous. je ne l'aie nulle part, hormis, les enfants de la CHKARA.