Turquie : le coup d'État islamique de Recep Tayyip Erdogan
En convoquant le 24 août des élections anticipées, le président islamiste turc Recep Tayyip Erdogan vient de perpétrer un coup d'État à peine déguisé au nez de la communauté internationale qui ne semble pas voir ce qui se passe en Turquie malgré les centaines de morts qu’ont causés les actions de l’AKP au cours des derniers mois.
La démocratie est actuellement suspendue en Turquie. Parce qu’il a perdu sa majorité absolue lors du scrutin législatif du 7 juin, le Parti de la justice et du développement (AKP) du président Recep Tayyip Erdogan, au pouvoir depuis treize ans, a délibérément fait échouer les négociations avec le CHP et le Parti de l'action nationaliste qui ont eu ensemble plus de 41 % des votes. Le premier ministre Ahmet Davutoglu n’a jamais tenté sérieusement de négocier la création d’un gouvernement avec l'opposition. Plutôt que de suivre les exigences de la constitution et de laisser à d’autres partis la possibilité de former un gouvernement de coalition, l’AKP a fait appeler de nouvelles élections. Pour ce parti islamiste, la démocratie n’est pas une chose naturelle pour la Turquie, mais un outil qui doit servir à en faire un Etat dirigé par la religion.
Le gouvernement de transition que l’AKP tente de mettre sur pied est donc sans précédent dans l'histoire politique récente de la Turquie et montre le dégoût des islamistes turques pour la démocratie. Le gouvernement de transition ne répond d’ailleurs pas aux exigences de la constitution et est vu par plusieurs comme illégitime. Le chef du principal parti de l'opposition en Turquie, Kemal Kiliçdaroglu, qui aurait pu former le gouvernement, accuse donc le président turc d’avoir fait un "coup d'État civil." Le chef du parti républicain du peuple considère qu’Erdogan est un putschiste puisqu’il a déjà affirmé qu'il ne respecterait ni la légalité ni la Constitution. Comme cela est arrivé plusieurs fois dans le passé, un parti politique avec des visées totalitaires utilise actuellement les outils de la démocratie pour la détruire. L’objectif ultime de l’AKP est de faire de la Turquie un état islamique modèle pour le monde musulman sunnite qui établira un nouvel équilibre des forces au Moyen-Orient.
Erdogan veut en finir avec la Turquie d’Atatürk
Recep Tayyip Erdogan, qui était au milieu des années 1970, le président de la section stambouliote du parti islamiste de l'Organisation de jeunesse du Parti du Salut national, le MSP, a passé toute sa vie a tenté de saper les valeurs de la Turquie modernes. Fondée sous l'impulsion de Mustafa Kemal Atatürk en 1923 sur les ruines de l'empire ottoman défait durant la Première Guerre mondiale, la Turquie est une république démocratique, laïque, unitaire et constitutionnelle. Voulant inscrire son pays dans la modernité, Atatürk a donné en 1934 le droit de vote aux femmes, fermé des lieux de pèlerinage et interdit des confréries religieuses radicales comme les nakşibendis et nurcus. L’État avait même interdit le port du voile pour les femmes dans les administrations et les écoles publiques. Certaines de ces mesures ont cependant été abolies en 1950 lors de l’accession au pouvoir du Demokrat Parti d’Adnan Menderes.
Ce n’était naturellement pas assez pour Erdogan qui devient le premier maire islamiste d'Istanbul le 24 mars 1994 lors des élections municipales remportées par le Parti de la Prospérité, créé en 1983. Ses propos extrémistes le font condamner en 1999 à une peine de prison pour incitation à la haine. Il fonde en 2001 l'AKP qui vise à faire de la Turquie la puissance dominante d’un groupe de pays musulmans composés de la Syrie, l’Irak, l’Iran et l’Égypte. Le gouvernement turc s’est donc immiscé dans les affaires internes de la Syrie dès le début des manifestations pacifiques pour renverser le gouvernement de Bachar al-Assad. Il continue à appuyer les groupes d’opposition contre ce régime.
Une Turquie islamiste !
Selon Recep Tayyip Erdogan, les femmes ne peuvent être considérées comme les égales des hommes. C’est ce qu’il a affirmé publiquement le 24 novembre 2014. Pour lui, leur rôle dans la société est de faire des enfants. Les deux sexes ne peuvent être traités de la même façon parce que ce serait contre la nature humaine, a-t-il commenté. Le 29 septembre 2014, Human Rights Watch a dénoncé dans un rapport de 38 pages la dérive autoritaire du Président turc qui fait peu de cas des droits de sa population. Ce rapport souligne que l’AKP, s’attaque violemment à toute opposition politique. Il refuse de suivre les règles du jeu et étouffe les voix de ses détracteurs en recourant à la force.
La Turquie dégringole actuellement dans le classement mondial de la liberté de la presse. Alors qu’il n’y avait que 13 journalistes turcs en prison en 2002, ils étaient plus de 70 derrière les barreaux en 2012. L’AKP fait donc disparaître par la force une opposition laïque journalistique de plus en plus virulente contre le régime. Pour y arriver, le gouvernement turc a fait passer des lois pour étouffer toute opposition à ses politiques. Il envoie les forces de l’ordre interrompre brutalement les rassemblements ou manifestations pacifiques. Erdogan intente systématiquement des procès à l'encontre des journaux d'opposition, qui sont l'objet de saisies ou sont pénalisés par des amendes. La presse de gauche, tel le journal Aydınlık est particulièrement visée par le régime.
Plusieurs organismes internationaux de protection des droits de la personne ont noté cette détérioration des libertés des médias et de la liberté d'expression dans leurs rapports. Selon Amnesty International, la répression du mouvement de protestation du parc Gezi aurait donné lieu à des violations des droits de la personne à très grande échelle. «Le droit de se réunir pacifiquement a été systématiquement bafoué et les violations du droit à la vie, à la liberté et à ne pas être torturé et maltraité ont été nombreuses».
L’AKP vise l’armée autant que le PKK
C’est donc un grand coup que porte actuellement le président contre la démocratie turque. Il garde le contrôle du gouvernement malgré le fait qu’il aurait dû le céder selon la constitution. De plus, la guerre contre le Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK) permet à l’AKP de mettre de l’avant ses objectifs politiques, de faire de la propagande pour son parti et d’affaiblir sur le terrain tant l’armée que le PKK. Recep Tayyip Erdoğan espère ainsi marginaliser le Parti démocratique du peuple qui supporte les Kurdes et a obtenu 13 % des voix lors du scrutin de juin.
La Turquie vit donc depuis des mois une escalade de violence marquée par des affrontements quotidiens avec les rebelles du PKK. Si Ankara, a lancé officiellement une "guerre contre le terrorisme", c'est-à-dire les jihadistes du groupe Etat islamiques (EI) et les rebelles kurdes, dans les faits, l'aviation turque concentre ses frappes sur le PKK. En réponse, les rebelles kurdes ont rompu un cessez-le-feu en vigueur depuis 2013 et reprennent les armes. Du coup, l’AKP a détruit le processus de paix destinée à trouver une solution politique au problème kurde et à un conflit qui a fait plus de 40 000 victimes depuis 1984. Ces négociations étaient d’ailleurs au point mort depuis le printemps, après que le président Erdogan a joué à fond la carte nationaliste dans l’espoir d’obtenir une majorité qui lui aurait permis d’instaurer un régime présidentiel.
S’il n’est pas prouvé que l’AKP a créé de toutes pièces la crise sécuritaire actuelle, il est évident qu’il ne tente pas de la régler et jette régulièrement de l’huile sur le feu pour l’entretenir. La division ethnique fait le jeu du président qui met actuellement son propre pays à feu et à sang pour réaliser ses objectifs politiques. En fait, rien ne fait plus son affaire que la reprise des combats entre l'armée et la rébellion du PKK. La Turquie sait qu’elle ne peut venir à bout du PKK militairement. Ce n’est pas l’objectif visé par le président qui veut que l’armée et le PKK s’entre-déchirent jusqu’à ce qu’ils perdent toute influence politique pendant que se bâtit en douce son projet de pays islamiste, qui va à l’encontre de la vision d’Atatürk. L’AKP vise autant l’armée turque que les Kurdes. Les militaires ont toujours été dans le passé un rempart contre l'islamisme.
Révolte de la population contre l’AKP
La population n’est cependant pas dupe de ce jeu politique sanglant. Il est révélateur que les dignitaires du gouvernement turc soient actuellement pris à partie s’ils osent se présenter aux obsèques de soldats et policiers tués au combat. Le ministre turc de la Santé, Mehmet Müezzinoglu, l’a appris à ses dépens quand il a franchi les portes du cimetière de Bursa le 20 août pour participer aux funérailles d’un homme qui faisait partie d’un groupe de huit gendarmes abattus la veille. Si les membres de la famille de Bahadir Aydin avaient considéré qu’il avait donné sa vie pour la Turquie, cette visite d’un ministre aurait été un honneur fait au gendarme décédé. Ce n’est cependant pas ce qui est arrivé et le ministre a été chassé à coup de pierres. Le vice premier ministre, Yalçin Akdogan, avait, lui aussi, été chahuté par une foule en colère alors qu'il participait, le 17 août, à l'inhumation d'un autre combattant tombé pour la patrie à Kirikkale. Le ministre turc de la Santé, Mehmet Müezzinoglu a d’ailleurs montré tous les calculs politiques derrière ces violences quand il a affirmé le 16 août dans un discours vengeur que le chaos dans lequel la Turquie est actuellement tombée aurait pu être évité si les électeurs avaient opté pour le système présidentiel souhaité par Recep Tayyip Erdogan.
Michel Gourd
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Il faut apprendre des leçons de ces faits