Ouyahia-Sellal, duel et jeu de dupes à distance

Ouyahia et Sellal, deux enfants du système
Ouyahia et Sellal, deux enfants du système

En commentant la décision du Conseil des ministres de rendre effectif le projet de loi sur la "dépénalisation de l’acte de gestion »", le Premier ministre a, selon les observateurs de la vie politique, lancé une flèche en direction du Directeur de cabinet de la présidence de république, Ahmed Ouyahia.

Il a rappelé, lors de son passage à la télévision, que les mesures prises à l’encontre des managers du secteur public étaient, manifestement, une grande erreur. L’allusion d’Abdelmalek Sellal, à peine voilée, vise bien entendu Ahmed Ouyahia qui avait conduit une opération "mains propres"et l’avait appliquée avec fermeté malgré les critiques, alors qu’il était chef de gouvernement.

Selon les observateurs, la bataille ne fait que commencer entre les deux hommes "dauphins" du président de la République qui, tout en faisant corps avec lui, se projettent néanmoins, dans l’après -quatrième mandat.

Le premier à avoir "ouvert le feu", c’est Ahmed Ouyahia ; profitant de sa toute première sortie médiatique, à l’occasion de sa désignation comme Secrétaire Général du RND par intérim, il a sorti la grosse artillerie en tentant d’épingler, selon ses dires, le "populisme" et "l’incapacité" du gouvernement Sellal à assumer les décisions pour faire face à la crise économique ; une cure d’austérité s’impose, a-t-il dit, pour équilibrer une économie totalement plombée par la crise pétrolière. Et à Ahmed Ouyahia de poursuivre les critiques, à l’étonnement général, pour dire que "les populistes sont aussi ceux qui refusent les mutations et l’implication des privés dans le développement du secteur économique du pays". Et comme pour enfoncer le clou, il n’a pas hésité à faire le parallèle avec la situation qui prévalait en Algérie dans les années 1980, lorsque le responsable de l’exécutif d’alors rassurait les Algériens sur la capacité du pays à affronter la crise. Et la suite on la connait, a martelé Ahmed Ouyahia, en allusion à octobre 1988 !

Avec cette déclaration plus qu’étonnante d’Ahmed Ouyahia, qui a gêné aux entournures le premier ministre, politologues et éditorialistes ont crû déceler les prémices d’une passe d’armes, à distance, entre lui et Abdelmalek Sellal accusé par le premier nommé, de «cacher» la vérité aux Algériens ; "sans insulter personne, je pense que le moment est venu de dire la vérité aux Aalgériens sur la situation économique de l’Algérie", a de nouveau répété le SG du RND.

Les déclarations de ce dernier, ont alimenté toutes sortes de spéculations et conjectures par lesquelles le lien a été vite fait avec la "guerre de tranchées" liée à la succession du président de la République. Tous les journaux ont en fait leurs manchettes ! Le Premier ministre qui se devait de réagir à ces propos, a voulu rassurer l’opinion nationale tout en reconnaissant que les revenus pétroliers ont diminué de 47% durant le 1er trimestre 2015 : "sans pour autant aller vers une politique d’austérité, qui génère la pauvreté, le pays n’est pas arrivé a ce stade !", a-t-il affirmé,.

Ahmed Ouyahia revient à la charge "plaidant pour une gestion prudentielle des dépenses publiques, d’autant plus que la situation financière du pays ne connaitra aucune amélioration en 2016 ; la crise est loin d’être conjoncturelle !", affirme-t-il dans ce qui ressemble à un tacle destiné à Abdelmalek Sellal.

Pas d’austérité mais une rationalisation des dépenses, réaffirme le premier ministre à l’occasion de son passage à l’émission de l’ENTV : «notre politique consiste en la réduction de la facture des importations en réintroduisant la licence d’importation et en facilitant, par ailleurs, les conditions d’investissement public et privé, créateur de richesses", explique-t-il.

De ce qui précède, force est de dire qu’Ahmed Ouyahia a marqué quelques points à son adversaire. Le citoyen va devoir, encore, se serrer la ceinture avec la loi de finances complémentaire de 2015, contrairement aux riches qui n’auront à payer d’impôts qu’à partir d’un plafond de fortune estimé à 10 milliards de centimes, contre 5 précédemment ! On parle, également, de facilitations fiscales incitatives et même «d’amnistie fiscale» pour débusquer ceux de l’informel ou pour pousser ceux qui ont de l’argent à investir en Algérie, pour augmenter la croissance et relancer la consommation, laisse-t-on entendre côté gouvernement.

Rappelons que le terme "austérité" a été utilisé, une toute première fois, par le premier ministre, Abdelmalek Sellal en marge de l’inauguration de la 23e foire de la production nationale qui a annoncé que "le recrutement sera gelé en 2015 dans tous les secteurs de la fonction publique", prémices d’un plan auquel la population ne semblait pas s’attendre. Le 6 janvier 2015, dans un effet de "rétropédalage" inattendu, le premier ministre, rassure son monde en affirmant que «la mesure de gel ne touche pâs l’éducation, l’enseignement supérieur, la formation professionnelle et la santé ; il est prévu, a-t-il surenchérit, un renforcement de l’encadrement, sans compter le maintien des différents mécanismes et dispositifs d’aide à l’emploi et à la création d’activités pour les jeunes promoteurs».

Aujourd’hui, le pétrole est à 50 $ et des poussières et la situation financière du pays ne connaitra aucune amélioration ; c’est aussi l’argument développé par Ahmed Ouyahia pour "acculer aux cordes" Abdelmalek Sellal.

L’exécutif est réduit à scruter les marchés internationaux des hydrocarbures, unique source de recettes du pays : "Nous allons évaluer la situation tous les trois mois, à assurer Abdelmalek Sellal, dans une tentative de rassurer l’opinion publique. Et à Ahmed Ouyahia, de le contrer : "les quatre prochaines années à venir seront très difficilement supportables ; mener les actions devient une obligation et une urgence, s’entêter à dire aux Algériens que tout va bien n’est pas la solution. De même qu’il n’est pas correct de miser sur l’effondrement de l’Etat avec le recul et la rente pétrolière !".

Nous n’entrons pas en période d’austérité, tente de rassurer, le Premier ministre à la télévision nationale : "Nous sommes dans un nouveau contexte de rigueur budgétaire et de rationalisation de la dépense publique, le gouvernement part en guerre contre l’utilisation de la "chkara" dans les transactions commerciales. A partir du 1er juillet, a-t-il dit, le paiement en espèce de plus d’un million de dinars est, rigoureusement, interdit. La mesure va mettre fin à l’utilisation massive du cash dans les paiements".

Aujourd’hui, c’est vrai aussi, on ne sait plus, au gouvernement, quel terme employer pour parler de la situation de crise dans laquelle se trouve le pays du fait de l’amenuisement de ses rentrées en devises. Tantôt, on parle d’austérité, un autre jour, on évoque la rigueur et même des coupes budgétaires quand ce n’est pas l’annulation de tous les projets non lancés.

Pour l’heure, le gouvernement est obligé de puiser, encore et encore, dans les réserves de change pour maintenir son cap de dépenses, alors que du côté des administrations et institutions publiques, les habitudes persistent, le train de vie n’a pas été revu, compte tenu de la situation financière tendue. Et c’est à ce niveau qu’Ahmed Ouyahia a mis le curseur, contrairement à Abdelmalek Sellal qui mise sur une problématique embellie pétrolière, plutôt compromise depuis le référendum grec. Depuis, le Premier ministre comme pour "reprendre la main", et aussi répondre aux accusations d’immobilisme et du refus d’implication du privé dans l’économie» portées à son encontre par le SG du RND, a réagit promptement en :

  • présidant une réunion avec les responsables des banques et établissements financiers pour «optimiser les produits bancaires et monétaires, rechercher de nouveaux gisements financiers et surtout bancariser l’argent du circuit informel (3700 milliards dinars)
  • recevant une délégation du FCE qui lui a remis un rapport intitulé -50 propositions pour un nouveau pacte de croissance durable- avec, à la clef, la promesse d’une création de 60 000 emplois/an et un taux de croissance de 7% à l’horizon 2019 !

Abdelmalek Sellal a certainement repris l’avantage sur son "oncurrent»" même si la passe d’armes entre les deux hommes semblait sans fin, jusqu’à cet étrange revirement d’Ahmed Ouyahia qui, arborant de nouveau sa casquette de Secrétaire Général par intérim du RND, a fait voté une motion de soutien au gouvernement auquel "il a réitéré au nom du parti son appui pour la mise en œuvre du programme présidentiel ainsi que l’accélération des réformes de gouvernance économiques, face à la conjoncture sévère que traverse le pays !".

A la surprise générale, et même s’il est connu pour sa prudence légendaire, Ahmed Ouyahia s’est, en définitive, exonéré de toutes critiques envers le gouvernement comme pris, apparemment, de panique. Est-ce à dire que la compétition entre les deux hommes venait de connaître son épilogue ? Rien n’est sûr entre ces deux "diplomates" issus de la prestigieuse Ecole Nationale d’Administration, dont les ambitions sont difficilement contenues.

Il faut dire cependant qu’Ahmed Ouyahia n’a jamais envisagé, une seule seconde, une action d’émancipation du président de la République. Il faut lui en donner acte et il se plaît d’ailleurs à répéter que pour lui "c’est la chose la plus naturelle que de soutenir un homme comme Bouteflika". Et au journaliste qui l’avait questionné, en 2014, sur ses ambitions présidentielles, il a répondu par cette formule empruntée à Valéry Giscard d’Estaing : "c’est la rencontre d’un homme avec son destin".

Les signes donnent l’actuel Premier Ministre comme l’un des favoris de cette course non déclarée, mais véritablement enclenchée dans les coulisses. Pour l’instant, Ahmed Ouyahia s’est arrêté à sa motion de soutien au gouvernement de Sellal, au moment même où ce dernier a opéré un remaniement ministériel, éminemment politique, à l’issue duquel a été désigné pour occuper le ministère du commerce, Bakhti Belaïb ; l’ancien ministre sous Zeroual a refait surface sur la scène politique à la fin de 2012 pour rejoindre les animateurs du mouvement de redressement mené à l’intérieur du RND, contre Ouyahia !

Selon les observateurs les plus avertis, le doute n’est plus permis : l’éviction d’Amara Benyounes dont les rapports avec le Premier Ministre n’étaient pas au beau fixe, à croire ce qui a été rapporté par la presse, est un coup porté au SG du RND qui comptait sur le président du MPA, Parti classé 3ème force du pays depuis les dernières élections législatives et locales, pour constituer son "pôle politique" englobant sa formation, le FLN et le TAJ.

Assurément, le match ne fait que commencer entre les deux hommes qui, toutefois, se sont résignés à remettre les armes aux vestiaires. Le président de la République a fait état de son intention d’aller jusqu’au bout de son mandat. Balle au centre donc !

Cherif Ali

Plus d'articles de : Actualité

Commentaires (4) | Réagir ?

avatar
gtu gtu

merci pour les informations

avatar
gtu gtu

merci pour les informations

visualisation: 2 / 4