Une contribution de Lahouari Addi : Les intellectuels algériens et la crise de l’Etat Indépendant

L’universitaire algérien Lahouari Addi nous fait parvenir la réflexion ci-après, qui est une contributionn au colloque sur Philippe Lucas.
Nous la publions intégralement, mais en trois parties, pour les commodités de lecture.
Les 3 parties sont définies par la structure du texte lui-même :
1. Les limites idéologiques du mouvement de libération nationale
2. La compétition entre francophones et arabophones
3. Les imams-enseignants


Dans cette partie-préambule, nous vous proposons l'explication introductive de l'auteur.

II y a deux raisons pour lesquelles j'ai accepté sans hésiter de participer à ce colloque sur "L' Implication et Engagement de l'intellectuel", organisé en hommage à Philippe Lucas, à l'université de Lumière-Lyon 2 qui m'a accueilli depuis mon exil, suite aux tragiques événements qui ensanglantent mon pays.

La première raison est qu'un certain nombre d'intellectuels algériens ont été tués ces dernières années pour leur engagement dans la vie publique. Je laisserai de côté la question - non encore tranchée - de l'identité des assassins, mais le fait est qu'ils ont été tués parce que ce sont des intellectuels qui ont atteint une notoriété publique dans leur pays. La deuxième raison est que Philippe Lucas avait un lien très fort à l'Algérie, qu'il portait dans son coeur puisqu'il avait choisi ce pays comme terrain de recherche, porté par la conviction que l'universitaire est un agent de la transformation sociale, surtout dans les pays du tiers monde où le besoin de développement et de progrès social est plus fort qu'ailleurs. De ce point de vue, il y a une part d'idéalisme chez l'intellectuel engagé, impliqué dans la société dont il cherche à infléchir l'orientation vers une meilleure mobilisation des ressources afin de diminuer les contraintes dans lesquelles se débattent les plus démunis. Sans cet idéalisme, l'intellectuel serait un fonctionnaire soucieux de sa carrière professionnelle, parlant de sa recherche avec détachement, comme le ferait le biologiste évoquant ses expériences pour lesquelles il ne ressent aucun sentiment.

En tant qu'universitaires, spécialistes de sciences humaines, nous sommes tous engagés et impliqués, de par la nature de notre travail, mais il y a des degrés d'implication. Je peux dire que Philippe Lucas était à un degré extrême d'engagement dans le pays où il a choisi de travailler et de vivre pendant plusieurs années : l'Algérie. Il a contribué à ouvrir l'université algérienne aux problématiques de développement dont ont été avides les générations d'étudiants qu'il a vus défiler, et a donc participé à la formation de ce savoir que les intellectuels algériens ont utilisé pour tenter de transformer la société.

Si deux décennies plus tard certains d'entre eux ont été assassinés, c'est parce que ce savoir, symboliquement ou réellement, heurtait des intérêts idéologiques et des représentations culturelles qui se sentaient menacés par cette audace de l'intellectuel engagé prétendant que la société est non seulement objet de connaissance, mais aussi qu'elle est susceptible d'être transformée par l'action volontaire de ses membres.
Dans une société où les consciences ne sont pas sécularisées, cette posture est subversive pour l’ordre social, car mettre l'accent aussi fortement sur la causalité humaine, c'est saper toutes les légitimités qui justifient l'ordre social immanent, structuré autour de rapports de force et d'intérêts conflictuels, se reproduisant dans l'inégalité, voire la domination, s'agissant de certaines catégories emprisonnées dans des statuts qui indiquent leurs positions et surtout leurs devoirs.

Dans une société où, au lendemain de l'indépendance, tout semblait possible avec la décolonisation, l'intellectuel était dangereux parce qu'il maintenait la mobilisation pour l'objectif suivant - le développement -, alors que les acteurs du mouvement de libération nationale se contentaient de l'indépendance formelle, cherchant uniquement à monnayer leur participation au combat qui y a mené pour tirer privilèges et gratifications. La légitimité historique acquise par l'adhésion au combat libérateur, au lieu d'ouvrir d'autres perspectives politiques - l'État de droit, la citoyenneté, la démocratie... - a été mise au service de l'appropriation privée du pouvoir.

C'est ainsi que l'Algérie a transformé ses héros en rentiers, que le Pouvoir cherchait
à neutraliser pour qu’il ne servent pas de référence et d'autorité morale à ceux qui seraient tentés de s'inspirer de leur action passée. Banalisés, aspirés dans des affaires commerciales juteuses, qui dans l’import, qui dans le débit de boissons alcoolisées, ces héros ont été peu sollicités par les intellectuels, notamment tes historiens, pour écrire l'histoire de la libération nationale dont la genèse et le déroulement pourraient expliquer bien des difficultés et des obstacles présents. L'intellectuel algérien s'est trouvé pris entre les limites idéologiques du mouvement de libération, dont il a pensé que la dynamique irait au-delà de l'Indépendance, et la stérile compétition entre arabophones et francophones qu'il n'a pas su dépasser.

A lire : Partie 1. Les limites idéologiques du mouvement de libération nationale

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Commentaires (24) | Réagir ?

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@ moro

200 000 mort est un vraie salut pour ce p... de pays, et t'ose ouvrire ta p ta guelle, fermela.

Quant a la democratie, tu torche le c.. avec car elle n'arrete pas les masacres

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AKLI

AH OUI! L'IDENTITE DES ASSASSINS?

ON EST PAS PRES DE SAVOIR LA REPONSE.

SALUT LES ANCIENS.

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