Aïd El-Fitr : l'Algérie va fermer à tous les étages !

Amara Benyounès, ministre du Commerce, promettra vainement des sanctions contre les commerçants réquisitionnés.
Amara Benyounès, ministre du Commerce, promettra vainement des sanctions contre les commerçants réquisitionnés.

L’Aïd El-Fitr, c’est ce week-end, probablement le vendredi et les familles algériennes, hantées par le spectre des pénuries à venir, essayent d’anticiper au mieux les manques à venir, en stockant au maximum, de tout et de rien.

Il faut dire que les fêtes religieuses dans la capitale et la majorité des grandes villes d’Algérie, sont toujours synonymes de disette et de privations, en raison du diktat des commerçants qui font fi de l’intérêt général et de la réglementation qui les obligent à ouvrir leurs commerces pendant ces journées précises. En dépit des mesures qui seront prises par le ministère du commerce qui, comme à l’accoutumée "va instruire ses directions de wilaya pour établir les listes des permanences des commerçants", le doute plane, d’ores et déjà, quant à la disponibilité, en quantités suffisantes, des produits alimentaires durant l’aïd et les deux ou trois jours qui suivront.

Le ministre du Commerce, l’inénarrable Amara Benyounes, ne manquera certainement pas d’affirmer, en plastronnant, qu’il "durcira" les sanctions contre les commerçants réfractaires qui ne respecteront pas "l’obligation de permanence" ! Nous serons intraitables avec ceux qui ne suivront pas les consignes d’ouverture de leurs commerces pendant l’aïd, avait-il déjà avertit, l’année passée à la même période. Le résultat, les Algériens l’ont constaté à leurs dépens : villes mortes, boulangeries fermées, absences de fruits et de légumes, indisponibilité des médicaments et des transports notamment.

Pourtant la loi existe : en cas de fermeture non réglementée du commerce concerné, c’est la fermeture assurée des locaux pendant un mois, assortie d’une amende ! En vertu de ce texte réglementaire qui définit les conditions d’exercice de l’activité commerciale, les commerçants sont, donc, tenus de respecter les conditions de permanence durant les jours fériés, pour assurer un approvisionnement régulier des citoyens, en marchandises et produits de large consommation. Les listes des commerçants concernés par cette permanence sont arrêtées, stipule le texte de loi, en collaboration avec les autorités locales, des associations et des organisations activant dans le domaine du commerce ; elles sont affichées au niveau des places publiques, de chaque commune, pour mettre le citoyen au courant des commerces de permanence le jour de l’aïd. Tout cela, en fait, participe de la théorie dès lors que la réalité sur le terrain est autre !

Boulangeries, restaurants, cafés et épiceries spécialisées en alimentation générale «ferment boutique» en raison de l’indisponibilité des employés, affirment les gérants de ces commerces : «nous ne pouvons pas obliger les employés à travailler le jour de l’aïd et les empêcher, aussi, de passer les fêtes avec leurs familles !». Certaines pharmacies baissent leurs rideaux, mais pour une toute autre raison liée, disent les gérants des officines, à l’absence de sécurité !

Il manque un effort d’exploration concernant les causes profondes de cette situation qui se répète, bon an mal an, à chaque fête religieuse. Le ministère du commerce, principal responsable du non-respect de l’obligation d’ouverture des commerces et de la permanence dont il a lui-même fixé les règles, ne réussit, toujours pas, à s’extraire de la méthode Coué : "L’Etat va sévir, on sera sans pitié avec les contrevenants…". Tous les prédécesseurs d’Amara Benyounes, de l’indépendance à ce jour, ont dit vouloir prendre en charge ces fermetures récurrentes des commerces à la veille de chaque fête religieuse. Pour y laisser, en définitive, la preuve de leur inefficacité et de leur perte de crédibilité.

Le ministre de l’Intérieur et des Collectivités Locales a voulu, pour sa part, marquer sa différence ; il vient d’instruire les Walis pour prendre en charge les problèmes récurrents des citoyens qui reviennent chaque été, mais surtout, à chaque rentrée. Un responsable local, a-t-il besoin des consignes du ministre pour mener à bien sa mission, se sont interrogés certains ? Apparemment oui, d’où le sens à donner à l’instruction de Noureddine Bedoui, qui sonne comme un désaveu et qui préfigure d’un vaste mouvement à venir dans les rangs des walis. L’instruction du ministre, qui, faut-il le rappeler, a listé six points noirs récurrents où, la période estivale et la rentrée scolaire se sont taillées la part du lion, a néanmoins, fait l’impasse sur «le ramassage des ordures ménagères». Une omission qui va, peut-être, obliger le ministre à signer une «instruction-bis» pour obliger les responsables des collectivités locales à s’acquitter de cette mission de «service public».

Quant aux commerçants, vont-ils passer outre, ou obtempérer aux menaces d’Amara Benyounes ? Va-t-on vers un bis repetita cette année encore ? La question risque, encore une fois, de faire polémique au vu de toutes les affirmations des responsables qui vont s’exprimer, a posteriori et prétendre que tout va bien dans le meilleur des mondes, très loin de la triste réalité vécue par les algériens.

Le ministre du commerce, principal concerné dans cette histoire, a annoncé au titre du bilan de 2014, que 99,3% des magasins ont été ouverts les deux jours suivants l’aïd et seulement 240 commerçants n’ont pas observé les permanences. Il s’est engagé à l’époque, d’appliquer la loi dans toute sa rigueur contre les contrevenants ; l’a-t-il fait, on n’en sait rien ! Depuis, il plaide pour le renforcement de la «grande distribution» à même, a-t-il dit, de régler la disponibilité des produits de grande consommation, en tous lieux et de tous temps.

L’Union générale des commerçants et artisans algériens, impliquée, également, dans cette affaire va, certainement, se «fendre» d’un appel pour le respect de l’ouverture des magasins et de la permanence imposée aux commerçants ; elle avait présenté à l’époque, une proposition de loi portant organisation de l’activité commerciale et la réglementation du secteur des services qui s’imposent, selon elle, aujourd’hui. La non définition des horaires d’ouverture et de travail, y compris par alternance, en période de fêtes, a laissé le champ libre aux commerçants qui ont imposé leur propre loi, ouvrant et fermant leur magasin au gré de leur humeur. La proposition de l’UGCAA est restée en l’état, ce qui ne la dédouane aucunement, elle qui n’a qu’une faible emprise sur ses adhérents ! Sa responsabilité est engagée au même titre que le ministère du commerce, coupable de n’avoir pas déjà, sanctionné, sévèrement, comme il l’a prétendu, les 270 commerçants défaillants de 2014. C’est cette impunité, d’ailleurs, qui va selon certains, encourager d’autres commerçants à récidiver dès ce week-end.

Qui va empêcher les commerces, de toutes sortes, qui font leur meilleur chiffre d’affaires les jours précédant l’aïd et qui baissent, comme par provocation, leurs rideaux pendant et après ces jours précis ? Certainement pas, les services de contrôle du ministère du commerce, entièrement "débordés", peut-être, mais dépourvus de moyens, sûrement.

En attendant l’Aïd, des cohues indescriptibles sont remarquées dans plusieurs bureaux de poste, où de longues files d’usagers sont formées depuis les premières heures de la matinée. Il s’ensuit des scènes incroyables, ponctuées par des pannes d’ordinateur, voire l’absence de liquidités dans certains bureaux. De quoi donner le tournis aux usagers et du souci à notre charmante Ministre des TIC Houda Imène Feraoun qui va connaître, certainement, son premier baptême de feu en ces lieux où, elle pourra mesurer, de visu et par elle-même, la détresse des algériens, notamment les retraités en quête éperdue de leur pension en cette date précise.

Qui dit Aïd El-Fitr, pense par association d’idées à l’essence et la hantise de la pénurie de carburant, qui est déjà perceptible, autour des stations qui sont prises d’assaut ! Ni les propos rassurants des responsables de Naftal, encore moins la disponibilité des produits à la pompe ne rassurent les automobilistes qui s’entêtent à prendre la file, nonobstant la chaleur caniculaire ! Il faut dire aussi que beaucoup d’entre-eux ont été échaudé par la dernière crise des carburants qui a touché beaucoup de wilayas, il n’y a pas longtemps !

Parler de pain la veille de l’Aïd, c’est aussi évoquer sa rareté pendant et après les fêtes. Certains en stockent à volonté, pour jeter presque tout, par la suite. Gabegie ! Les rares boulangeries ouvertes le jour de l’aïd, sont prises d’assaut : il faut se lever à 4h du matin pour espérer en avoir ! Quant aux sachets de lait, à moins de pister les camions de transport, mieux vaut ne pas en parler, ou plutôt si, il faut évoquer la teneur du lait qui est proposé à la commercialisation, de l’eau blanche à en croire un rapport d’analyse des laboratoires «Afaq» (Horizon) d’Oran. Et dire que des producteurs jettent le lait crû faute de pouvoir le stocker ou le vendre ! L’Etat, pendant ce temps-là, consacre 200 millions de $ à importer de la poudre de lait. Gabegie !

C’est ça, en fait, l’Aïd en Algérie : le pays est fermé à tous les étages. Et dans ce méli-mélo sont pointés du doigt tous ces ouvriers besogneux de l’intérieur du pays, dont on ne remarque la présence ou l’absence, c’est selon, que pendant les fêtes. Un ministre avait proposé de former «massivement» dans les filières telles la boulangerie, la coiffure et la restauration entre autres, pour palier au déficit et à l’absence de toutes ces «petites mains». L’idée n’est pas mauvaise au demeurant, à condition d’associer les banques aux projets des «apprenants» pour les aider à démarrer leur entreprise, une fois le diplôme acquis.

Il faut dire aussi que l’essentiel de la population ouvrière pour ce qui est d’Alger, par exemple, vient des autres régions du pays, de l’Est et de la Kabylie. Et même les familles qui sont originaires de ces wilayas, préfèrent passer l’Aïd, loin de la Capitale. Alger, tout comme Oran, Annaba ou encore Constantine a une composante sociologique différente des autres grandes métropoles. C’est ce brassage qui fait que la ville se vide de ses habitants, à l’occasion des jours fériés et présente l’image d’une ville déserte. Une ville où les rares taxis sont pris d’assaut, juste après la prière de l’Aïd. Quant aux tarifs, mieux vaut ne pas en parler. Globalement, si le transport inter-wilaya fonctionne, peu ou prou, durant les fêtes religieuses, les bus privés qui assurent les liaisons urbaines restent au garage. Pas de recours possible des usagers en l’absence de contrôle de qui de droit sur le terrain.

Sans forcer le trait, c’est la triste situation qui va prévaloir ce vendredi ou samedi, si l’Aïd El-Fitr intervient à cette date. Le consommateur de manière générale, ne défend pas ses droits, dit-on, et les commerçants se disent «chez eux» et ne respectent pas les clients. L’Etat ne fait rien ou presque, pour faire respecter les règles et les lois. Chacun y va de sa lecture de la notion de service public, notion tellement galvaudée qu’elle a perdue tout son sens. On se renvoie la balle : le ministère du commerce, accusant tantôt celui de l’agriculture, ou même les collectivités locales, et à tout ce beau monde de pointer du doigt les consommateurs incapables, selon eux, de discipliner leur boulimie et de stopper leur frénésie d’achat. Il faut que cela cesse et que chacun assume ses responsabilités.

En Tunisie, pays qui fait l’actualité en ce moment, une opération terroriste s’est soldée par 38 morts dans un centre touristique d’El Kantaoui. La première tête à tomber a été celle du gouverneur. Et les réactions en chaîne ont suivies. En Algérie, il y a eu des matchs truqués, des tentatives de corruption d’arbitres de football, une épidémie de fièvre aphteuse qui a failli emporter tout notre cheptel, des tricheries au bac et morts d’hommes à Ghardaïa : silence radio, circulez, il n’y a rien à voir.

C’est bien connu, l’Algérie fait partie de ces pays où le responsable détient le pouvoir absolu, mais n’est comptable de rien. A croire que, le fameux slogan né du scandale du sang contaminé en France, "responsables mais pas coupables !" a été inventé chez nous.

Cherif Ali

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Commentaires (4) | Réagir ?

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hamid sahara

LES COMMERÇANTS SONT LIBRES D'OUVRIR OU NON, S'IL Y'AVAIT UNE VRAIE CONCURRENCE C'EST LE MARCHÉ QUI SANCTIONNERA LE COMMERCANT PAR LE FAIT QU'IL N'EST PAS OUVERT, LES CONSOMMATEURS FERONT LE CHOIX NATUREL DE S'APPROVISIONNER CHEZ CEUX QUI SONT OUVERT. PEUT ÊTRE QUE L'OBLIGATION SERAIT DE FERMER DURANT LES FÊTES LÉGALES.

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Aksil ilunisen

Je vois l'Algerie se mettre aux encheres.

La France l'a voulu depuis son depart 1962.

Elle a deja pu acheter

1- ELMOURADIA, enfin toutes les hauteures d'ALGERrie (le clan du pouvoir!),

2- le SUD algerien (les societés francaises qui pillent les richesses des Touaregs!).

Pour ce qui est des terres arides (steriles dans le sens economique du terme) et du peuple, ell n'a que faire.

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