Le dictateur et l'éternité de l'oranger

  Le dictateur et l'éternité de l'oranger

En apprenant, hier, que Ben Ali postulait pour un cinquième mandat en Tunisie, j’eus une pensée pour Slim Boukhdir , pour la solitude des dictateurs et pour l’éternité du bigaradier de Nabeul.
Slim Boukhdir, lauréat 2008 du prix de la Plume libre, est un autre de ces amants crucifiés dans un Maghreb des libertés en train de payer le prix de son propre enfantement . Ce journaliste tunisien croupissait dans une prison de la joumloukia de Ben Ali depuis neuf mois et vient à peine d’en être libéré.
Comme son compatriote Mohamed Abou, interné pour trois ans et demi à la prison d'El-Kef, Slim Boukhdir, correspondant du journal panarabe Al Qods Al Arabi et du site internet de la chaîne de télévision satellitaire Al Arabiya, a souffert de ce que, par-dessus tout, il n'avait rien fait d'autre que s’exprimer. Et de ce que cet acte naturel dans les démocraties du monde, reste encore un péché majeur au Maghreb.
Au 21è siècle, la Tunisie, où Ben Ali vient de postuler pour un cinquième mandat, était toujours cette patrie médiévale qui considérait, que le poème est un tract contre le régime.
La Tunisie.
Patrie qui pleure des mots de Kabbani.
« Cette patrie qui considère que la Rose
Est un complot dirigé contre le régime »
Slim avait-il pleuré avec le poète de Damas ?
La Tunisie.
Patrie de la Soif.
Patrie qui craint de regarder son corps dans un miroir pour ne pas le désirer.

Mais Slim ne s’en décourage pas.
Il fait définitivement partie de la cohorte digne et redoutable qui a choisi de donner raison au poète et d’empêcher le dictateur Ben Ali de dormir.
« «Tu es né sans entraves comme l’ombre de la brise
Et libre telle la lumière du matin dans le ciel
Pourquoi accepter la honte de tes chaînes ? »
Siham Bensedrine, Naziha, Toufik Ben Brik, Marzouki, ont entendu l’exhortation du poète du pays, Abou-El- Kassem Echabbi, de redonner sa place à la rose.
Car la Tunisie est aussi la patrie du cri de Gafsa et de cette femme, Siham Bensedrine, à la voix plus douce qu’une complainte de qanun sous la nuit de Djerba, mais qui porte pourtant au-delà des mers. Siham, c’est la fleur d’oranger dont rêve tout bigaradier rebelle. Avec elle, le combat embaume de la même fraîche sérénité que si Nabeul n’était livré qu’à ses arômes et délivré de son silence. Avec Naziha, elles sont quelques femmes à empêcher le dictateur de dormir.
Alors Slim a écouté Sahar Khalifa. L’infatigable rhapsode palestinienne, témoin de l’endurance du figuier barbare et de la foi du tournesol, la romancière de l’espoir, qui raconte le goût, les odeurs et les couleurs de nos patries pénibles, pénibles mais charnelles, pénibles mais envoûtantes, pénibles parce que rien ne nous y propose répit sauf la douceur avec laquelle elles nous hantent , Sahar Khalifa qui lui a laissé une clé de la résistance : « Seul le corps peut aller en prison, l'esprit ne peut être prisonnier, on ne peut pas attraper le vent »

Oui, en apprenant, hier, que Ben Ali postulait pour un cinquième mandat en Tunisie, j’eus une pensée pour la solitude des dictateurs et pour l’éternité du bigaradier de Nabeul.
Car la Tunisie, c’est définitivement la terre de la foi dans le temps plus que dans son propre combat, et il en faut pour y survivre quand on n’aime pas le silence, quand on est Sihem, Slim, Toufik Ben Brik, Mohamed Abou ou Moncef Marzouki.
Avec eux, la Tunisie ne craint plus de regarder son corps dans un miroir pour ne pas le désirer. Elle ne s’interdit plus de rêver au jour où elle ne sera plus la République de la Soif, et ne pense plus qu’à celui, proche et magique, où elle deviendra celle du Magnolia.

Mohamed Benchicou

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Commentaires (13) | Réagir ?

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Ahmed REMLI

Les pays arabes sont en queue du peloton pour ce qui concerne la démocratie. Cela a pour conséquence la misères de leur peuple et le désespoir de leur jeunesse. Les élites sont neutralisées ou poussées à l'exile, ce qui leur enlève toute perspective de développement. Cette sutuation les fragilise et rend les puissances étrangères plus agressives, ce qui explique la situation en Irak, en Palestine, au Soudan, etc. Malheureusement le chemin vers la démocratie va etre long et couteux.

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Mostfa Chergui

Je suis entièrement d'accord avec Madame Ben. Je préfère un Dictateur avec une vision claire de l'avenir de son pays et responsable de ses actes à un Démocrate ou semi-Démocrate sans vision et irresponsable.

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