Parlementaire du tiers présidentiel, le plus bel oxymore(1) du monde

Le Sénat algérien, une curiosité de la "démocratie" à l'algérienne.
Le Sénat algérien, une curiosité de la "démocratie" à l'algérienne.

Il est des erreurs sur des copies de droit qui entraînent immédiatement le zéro. Plus le diplôme est élevé et plus l’oxymore du genre "nomination de l’élu" est intolérable sur le plan du savoir que du niveau des capacités cognitives. Pourtant, la constitution algérienne contient le plus bel oxymore du monde, le "parlementaire nommé".

Vous militez farouchement pour une cause et voilà que l’un des ses plus estimés représentants se retrouve nommé par le tiers présidentiel. Et sans que cela ne lui pose le moindre souci moral. Ce n’est pas tant qu’on retourne sa veste qui est surprenant, tellement d’autres l’ont fait, mais qu’une personne, apparemment intelligente, se soit compromise dans une fonction qui ferait hurler de rire tous les démocrates du monde entier.

J’ai presque honte pour eux si, à travers ce monde entier, ils déclinent leur fonction. Mais je crois sincèrement qu’ils occultent le mode de désignation pour ne retenir que la prestigieuse carte de visite qu’offre le mot "parlementaire". Le souci pour eux, c’est que nous, nous savons le mode d’accession à ce titre.

Etre parlementaire «nommé», c’est la caricature même de la compromission avec les dictatures, le bâton de maréchal. L’énormité est si notoire qu’elle n’a aucune explication rationnelle, encore moins en droit.

Pour les plus jeunes lecteurs, un oxymore est le fait de mettre ensemble deux termes qui se contredisent, «les rondeurs d’un carré», «une ligne droite sinueuse», «un général démocrate» et ainsi de suite. Pour ce qui est d’expliquer l’énormité juridique, franchement, j’en suis incapable si le lecteur ne voit pas où est le problème. Si un étudiant vous répète inlassablement qu’il n’a pas compris que deux plus un font trois, toutes les méthodes pédagogiques du monde n’y parviendraient pas.

Et pourtant, la constitution algérienne a introduit dans son corpus une immense blague. L’article 101 précise : "../…. Un tiers (1/3) des membres du Conseil de la Nation est désigné par le Président de la République parmi les personnalités et compétences nationales dans les domaines scientifique, culturel, professionnel, économique et social. …/…"

La première fois que j’ai lu ce texte, j’ai immédiatement cru à une erreur de ma part. Puis je me suis demandé si le Conseil de la Nation ne serait pas un genre de Conseil économique et social où des personnalités de la société civile, nommées, siègent pour leurs compétences respectives. Pas du tout, une seconde relecture, plus haut, m’indiquait bien que j’étais dans la partie «Pouvoir législatif» et que l’article 98 stipulait : "Le pouvoir législatif est exercé par un Parlement, composé de deux chambres, l'Assemblée Populaire Nationale et le Conseil de la Nation. Le Parlement élabore et vote la loi souverainement". Et que l’article 99 complète par "Le Parlement contrôle l'action du Gouvernement …/…".

Comment expliquer cela à des étudiants en leur disant : "Le Président nomme ceux qui le contrôlent» sans être soupçonné d’éthylisme ? Résumons, l’article 6 nous dit que "Le peuple est la source de tout pouvoir. La souveraineté nationale appartient exclusivement au peuple". Mais Bouteflika étant celui qui nomme ses contrôleurs, selon l’article 101, il détient ainsi la souveraineté nationale.

Voilà, j’ai compris, Bouteflika est donc le peuple. Il ne suffit pas d’avoir fait des études de Droit, il faut encore faire un stage post-formation auprès des juristes algériens pour pénétrer la constitution algérienne.

Un doute m’a soudain envahi, j’ai rapidement recherché quelque chose qui le lève. Je l’ai trouvé dans l’article 76, Bouteflika a bien prêté serment à Dieu, il n’a tout de même pas cru qu’il était le peuple et …. plus haut !

Il y a longtemps de cela, en formation de droit, nous étions capables de citer au moins vingt républiques bananières où les parlementaires son «nommés» et des dizaines d’autres «quasiment nommés» puisqu’imposés par la terreur. A l’heure de la sonde spatiale qui approche de Pluton et de la nanochirurgie, je serais incapable de citer un seul autre pays, à l’exception de la Corée du Nord, qui oserait stipuler cette farce dans sa constitution (même si les représentants sont réellement désignés par la terreur, toujours persuasive pour le bulletin souhaité dans l’urne).

Nous avions eu beaucoup de camarades qui sont repartis servir les pires dictatures en rédigeant des constitutions. Tous étaient capables d’écrire de belles choses qu’ils savaient ne jamais être respectées. La vie dans une chambre minuscule et le resto-U comme seul plaisir ne valaient tout de même pas une belle Mercedes et un avenir lucratif. Les rêves et le militantisme de la jeunesse, d’accord, mais il ne faut pas exagérer.

Cependant, je peux attester qu’aucun de ces anciens amis ou collègues universitaires ne pouvait perdre la tête en proposant que les parlementaires soient "nommés". Ils avaient la rage de réussir, mais n’étaient tout de même pas des abrutis. Ils savaient que, dans ces pays, l’élection n’était pas synonyme de liberté puisque le régime est ferme et corrupteur, cela suffisait à verrouiller le système sans rajouter l’écriture d’une absurdité. Si l’un des lecteurs pouvait m’informer sur certains exemples identiques, encore présents dans les dictatures du monde, je lui en serais reconnaissant.

J’ai toujours été fasciné par les paroles des anciens bénéficiaires des régimes autoritaires lorsqu’ils s’écroulent. Certains restent muets, baissent la tête et essaient de se faire oublier. Cela, les démocraties l’acceptent car leur objectif n’est pas de brutaliser les êtres humains ni d’éviter les réconciliations nationales, indispensables aux futures plus prometteurs. Certains autres, plus rares dans l’histoire, assument leur idéologie et leur adhésion aux régimes déchus. Mais il est une troisième catégorie, la plus nombreuse, la plus perverse et la plus immorale dans son hypocrisie, celle qui déclare «j’ai voulu œuvrer au changement du système, de l’intérieur».

Ceux-là ne méritent ni notre estime ni notre pardon car en plus de la faute initiale, ils commettent une autre faute, plus insultante à l’égard de notre intelligence.

Sid Lakhdar Boumédiene

Enseignant

(1) L’oxymore peut avoir un sens lorsque l’opposition des mots veut surprendre, attirer l’attention ou choquer. Dans cet article, nous nous plaçons dans le cas de contraires qui s’opposent radicalement

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Commentaires (11) | Réagir ?

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adil ahmed

merci

wanissa

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klouzazna klouzazna

En résumé... l'état d'un pays avec deux chambres est celui d'un pays obèse manifestant un excés de poids et qui semblable à celui d'une voiture équipée de deux moteurs !!!

Contrairement à ce qu'on peut penser, une voiture équipée de deux moteurs est moins rapide que celle ayant un seul... en raison l'excés de poids du moteur supplémentaire...

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