Le prochain séisme Ouyahia

 Le prochain séisme Ouyahia

Il n'y a rien de plus imprévisible qu'un régime qui s'affole de ne plus rien contrôler et qui s'alarme sur sa propre survie. Il entreprend alors de reconquérir ses attributs de pouvoir dans l'improvisation et le désordre.
C'est la mission du nouveau chef du gouvernement Ahmed Ouyahia
Ou plutôt les deux missions : réduire la menace des intégristes qui étaient sur le point de conclure un néfaste accord politique avec le président Bouteflika ; réduire la «menace» des nouveaux opérateurs économiques privés qui auraient profité du «libéralisme d'abdication » durant ces dix dernières années pour devenir de redoutables dépositaires d'une partie notable de la décision nationale.

Alors, si pour les islamistes, le remplacement de Belkhadem par Ouyahia semble être une vraie déroute, pour les banques et les investisseurs étrangers ainsi que pour les importateurs algériens, il risque d'être un vrai séisme ! En nommant Ouyahia, les décideurs ont, sciemment, nommé un boutefeu déclaré contre l'ouverture économique «incontrôlée», un féroce pourfendeur de la «démission de l'Etat devant les mafias et les lobbies», un partisan acharné de la reprise en main par l'Etat de l'essentiel du pouvoir économique.

Divorce

C'est qu'en plus de signifier une heureuse rupture avec le «pacte islamiste» et le holà à l'infinie «réconciliation nationale » (1), le changement à la tête du gouvernement algérien — et surtout les conditions dans lesquelles il a eu lieu et les apparences d'un putsch qu'il a prises — annonce surtout un divorce avec ce qui a fait le fond de la démarche économique du premier cercle de Bouteflika durant 9 ans, la politique permissive de Temmar notamment, et un retour de l'Etat dans l'économie.

Pas besoin d'être grand clerc pour deviner les mesures économiques qui seront prochainement annoncées : gel des autorisations d'installation pour les banques étrangères, durcissement des conditions pour l'investissement étranger et pour les importations ; durcissement de l'accès aux crédits… Pas besoin d'être grand clerc non plus pour deviner que l'on se dirige vers une nouvelle stratégie économique qui redonnerait à l'Etat, et au forceps, son rôle pivot dans la conduite des affaires et l'investissement. Une espèce de politique péroniste à l'algérienne qui se voudrait porteuse d'une vision souverainiste, un peu boumediéniste, un peu chavezienne et un brin ringarde mais qui pourrait se recentrer, par la force des choses, sur les capacités nationales et redonner sa place à ce que l'on appelle, à tort ou à raison, «le génie algérien».

«Tous des trafiquants !»

Et la future stratégie d'Ouyahia est tout entière dans ce qu'il clame depuis deux ans : une rectification d'une politique économique jugée «capitularde » devant les groupes de pression. Du moins, c'est ce que l'on peut comprendre dans ce qu'il fut et dans ce qu'il a dit durant ces deux dernières années où il était redevenu «simple chef du RND».

A deux reprises, en septembre 2007 lors d'une rencontre avec les cadres du parti, Ouyahia, puis en octobre dans une déclaration à la Chaîne II, Ouyahia s'était livré à une attaque frontale inoubliable contre Belkhadem, coupable d'avoir «cédé devant les groupes de pression et a offert le pays aux lobbies et aux mafias».

Qui sont ces lobbies ?

D'abord les banques étrangères, notamment françaises, devant lesquelles Belkhadem aurait plié en abrogeant la circulaire de 2004 qui interdit aux entreprises publiques de déposer leur argent dans des banques privées. Ensuite les mafias locales (trabendistes et autres seigneurs du marché informel) face auxquelles Belkhadem aurait cédé en supprimant l'obligation de recours au chèque pour toute transaction au montant supérieur à 50 000 dinars et en abrogeant l'obligation pour les sociétés d'importation d'avoir un capital minimum de 20 millions de dinars.

L'idée que se fait Ouyahia des banques étrangères est peu flatteuse : «Elles ouvraient des guichets dans des hôtels et des villas sans rien investir d'utile pour l'économie nationale. Elles investissent dans l'import-import au profit des marchandises de leur pays. En 2001, soit trois ans avant la décision que j'ai signée, le montant des fonds déposés dans les banques privées ne dépassait pas les 10%. Après la décision du gouvernement en 2004, que ce soit BNP, Société Générale ou autre, elles ont toutes ouvert entre 30 et 40 agences.»

Son opinion sur les importateurs algériens n'est pas plus reluisante : «La moitié des importateurs sont des trafiquants. Nous sommes le seul pays au monde qui dit avoir 22 000 importateurs, soit un importateur pour 1500 Algériens ; je ne pense pas que ce soit une situation normale. Laisser faire une opération où l'on fait entrer trois conteneurs sans laisser aucune trace, je ne pense pas que ce soit cela faire du commerce et encore moins de l'économie. » Devant ces encouragements à l'informel, le patron du RND s'était alors demandé : «A quoi bon augmenter les salaires quand on arrête d'investir et de produire ?»

«Agir avec fermeté et rigueur»

N'applaudissons cependant pas trop vite : derrière ces arguments souverainistes («les lobbys sont trop nombreux dans ce pays et activent dans le but de détruire l'économie nationale»), il y a surtout la part de l'inavouable : la crainte, pour le régime, de perdre pied. En décrétant la fin d'une certaine capitulation des pouvoirs publics dans l'économie et le coup d'arrêt au «libéralisme» d'abdication, le régime algérien signifie qu'il a peur, en tant que régence centrale, de ne plus rien contrôler.

D'ailleurs, Ahmed Ouyahia pose le problème en termes de «recouvrement du pouvoir». Le 1er septembre 2007, il s'attaque franchement à «la mafia qui veut prendre le pouvoir» et l'accuse de «vouloir déstabiliser la paix sociale» par la spéculation, la pénurie organisée. Il a, ce jour-là, curieusement parlé de «la manipulation de certains lobbies de la mafia financière de la stabilité encore fragile du pays», ajoutant que cette mafia projette depuis plus d'une décennie (sic !) de frapper l'économie à travers la fraude fiscale et la destruction des ressources des producteurs nationaux. «Quand j'évoque les lobbies, je ne suis pas en train d'inventer une situation. Il est encore loin de mon intention de cacher des vérités au peuple algérien. C'est une réalité en face de laquelle on est appelé à agir avec fermeté et rigueur.» Avec ce signal d'alarme : «Les lobbies visent actuellement une zone à haut risque. C'est la poche des citoyens», les accusant de vouloir délibérément provoquer une fronde sociale. Le malaise est si sérieux qu'il n'a pas hésité à interpeller l'exécutif à «mener une bataille du destin pour le pays.» Entendez par là, retour du tout-Etat.

Et nous y voilà !

Au lieu de recourir à des «solutions de conjoncture» qui ont prouvé leurs limites, notamment à travers l'importation massive des aliments de base, le patron du RND propose «de renforcer le contrôle sur le marché national». Il juge aussi nécessaire la création d'une centrale d'achat pour les circonstances «exceptionnelles». En attendant de «renforcer le contrôle sur le secteur bancaire. » Puis sur tout le circuit économique.

Au détriment de quoi, tout cela ?

Rafik Abdi
(1) Lire Le Soir d’Algériedes 5 et 6 juillet 2008

Source : Le Soir

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Commentaires (24) | Réagir ?

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charle branson

moi je ne dirais qu'une seule chose, Le grand DILEM l'a bien dit avec AHMED OUYAHIA on ne sais pas si c'est AHMED ou bien YAHIA, comment se fait il qu'un homme qui a magouillé avec ce pouvoir, celui de bouteflika entre autre se decouvre soudainement des vertus de defenseur des interets nationaux, alons, alons mes amis; ne nous laissons pas duper.

Je ne lui demanderais qu'une chose s'il croit en ce qu'il dit iln'a qu'à faire comme BENBITOUR, il demissione et comme ça, il montrera au peuple la duperie de ce gouvernement et son president vomis par le peuple presque tout entier

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EL-HADJ MESSAR

reponse a ALI. IL FAUT SAVOIR ENDURER QUAND ON EST SOUS LA DEPENDANCE D'AUTUI, ET NE SONGER MONTRER SA FORCE QUE LORSQU'ON EST MAITRE ? ET TOI QUI ES TU POUR PARLER D'UNE REVOLUTION COMPLETE. LES BONNES INTENTIONS NE SUFFISENT PAS SI ELLE NE SONT PAS REALISEES OU N'ABOUTISSENT QU'A DES RESULTATS FACHEUX.

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