Ali Benflis : "L’Algérie vit une vacance du pouvoir"

Ali Benflis
Ali Benflis

Nous reproduisons l’intervention d’Ali Benflis à l’occasion de l’ouverture du Congrès Constitutif de Talaiou El Houriyet.

Monsieur le Président ;

Chers et honorable invités qui avez accepté d’être des nôtres aujourd’hui ;

Messieurs les membres du Bureau du Congrès ;

Mesdames et Messieurs les délégués ;

Mesdames et Messieurs ;

Je ne peux entamer cette intervention sans en réserver la part la plus chaleureuse à tous nos invités qui honorent de leur présence le Congrès Constitutif de Talaiou El Houriyet. Nous sommes particulièrement sensibles à votre acceptation de notre invitation et nous vous sommes infiniment reconnaissants de pouvoir vous compter parmi les nôtres.

Il y a parmi nous les anciens Chefs de Gouvernement, Messieurs, Belaid Abdeslam, Mokdad Sifi et Ahmed Benbitour qui ont tant donné au pays à un moment où l’appel du devoir se faisait pressant, où la responsabilité était lourde à assumer et où le service de l’Etat comptait plus que tout.

Il y a aussi parmi nous les dignes représentants de cette génération de géants qui ont produit la glorieuse Révolution de Novembre ; je veux citer Athmane Belouizdad, Djamila Bouhired etc…. ; c’est à eux et à des hommes de leur trempe que nous devons la renaissance de l’Etat national, le recouvrement de l’indépendance de notre pays et la libération de notre peuple du joug infamant de l’abjection coloniale ; je salue à travers eux toutes les moudjahidates et les moudjahidines présents parmi nous, aujourd’hui, qui se sont levés à un moment où le don de soi pour le pays signifiait un don de sang et un don de vie. Longue vie à eux et gloire à nos martyrs.

Il y a en outre, parmi nous les Présidents et les membres des directions des partis politiques ainsi que d’éminentes personnalités nationales engagées dans l’action politique. Il s’agit de la grande famille de l’opposition nationale ; cette opposition légitime, responsable et résolue qui n’anime aucun autre motif et aucun autre motif et aucune autre considération sinon le progrès pour notre pays et le bonheur pour notre peuple.

Chacune et chacun des dirigeants de la Coordination nationale pour la Transition démocratique et du Pôle des Forces du Changement sait l’estime, la considération et les sentiments fraternels que je porte envers lui. Les liens de compagnonnage politique qui nous unissent sont puissants et leur puissance vient de notre volonté commune d’aider à changer un présent que notre pays ne mérite pas et à lui préparer un devenir plus digne de lui.

Il y a, enfin, parmi nous d’anciens officiers supérieur et officiers généraux de notre Armée nationale populaire, digne héritiers de la glorieuse Armée de Libération nationale. L’ANP a une place à part dans le cœur de toutes les algériennes et de tous les algériens. Elle est le bras armé du peuple qui ne faiblit pas et le rempart inviolable de la République. Face aux dangers et aux périls qui menaçaient la Nation, hier comme aujourd’hui, le pays est redevable à ses vaillantes forces armées de sa protection et de sa défense. Nos délégués à ce Congrès sont rassemblés aujourd’hui pour fonder une nouvelle formation politique. Cette rencontre a donc plusieurs portées.

Politiquement, il s’agit de la création d’un parti ; juridiquement, il s’agit d’un Congrès Constitutif pour satisfaire aux exigences de la loi ; et, administrativement, il s’agit de se conformer aux procédures requises pour l’obtention de son agrément par notre parti.

Formellement, se sont là les objectifs de cette rencontre mais une telle lecture serait forcément réductrice si elle ne devait s’en tenir qu’à cela ; car cette rencontre ne peut être réduite à ces seules considérations formelles et procédurales. Ce dont il s’agit aujourd’hui, véritablement , c’est le début d’un parcours pour des femmes et des hommes déterminés à ne pas rester silencieux, résignés ou non concernés alors que la Nation est accablée par l’épreuve et que notre peuple s’interroge sur le sort que lui prépare un présent lourd d’incertitudes et de périls.

Ce dont il s’agit en ces instants, c’est aussi la réaction de femmes et d’hommes qui refusent de rester sourds à l’appel du devoir, de reculer devant l’adversité ou de se replier sur eux-mêmes alors que la République est menacée dans ses fondements, que l’Etat national est fragilisé, que la cohésion de la Nation est mise en danger et que les équilibres les plus essentiels de notre société sont sérieusement atteints.

Ce dont-il s’agit en cette heure c’est, enfin, des femmes et des hommes qui se sont levés pour dire que l’échec n’est pas une fatalité, que l’immobilisme ou la régression ne sont pas indépassables et que même d’un présent aussi sombre peut naître la lumière du jour.

Ces femmes et ces hommes se sont levés pour dire que les solutions aux nombreuses crises qui assaillent notre pays de toutes parts existent et qu’elles sont là à portée de nos mains ; qu’il est grand temps de sortir de toutes les impasses vers lesquelles le pays a été conduit ; qu’il y a une autre voie à suivre pour remettre notre pays dans le sens de la marche d’un monde dont-il ne soutient pas le rythme et dont-il est marginalisé et exclu ; et que notre pays mérite d’autres ambitions que celles dans lesquelles il est confiné : se lamenter sur les occasions perdues, regretter les rendez-vous manqués, trouver un sens aux échecs qui se sont accumulés sous nos yeux et prier pour voir, enfin, la fin du tunnel qui tarde à se laisser entrevoir.

Créer un parti politique dans les conditions actuelles prévalant dans notre pays n’aurait aucun sens s’il ne s’agissait que du plaisir de créer un parti politique. Car tout le monde, ici, sait parfaitement que faire de la politique dans notre pays n’est pas une partie de plaisir tout comme elle n’est ni une sinécure ni une activité ludique gratifiante. Créer donc un parti politique dans une telle conjoncture c’est accepter de relever un défi, d’aller au devant de l’épreuve et de l’adversité. Nous acceptons donc de relever ce défi, de faire front face à l’épreuve et à l’adversité qui nous attendent et de consentir les sacrifices qui nous sont demandés.

Créer un parti politique pour le plaisir de créer un parti politique n’aurait aucun sens, non plus, tant l’idée même du pluralisme politique tarde à s’ancrer dans les mentalités, dans la culture et les mœurs politiques par lesquelles se caractérise notre système politique imposé à notre pays. Le pluralisme politique n’est entouré d’égards et encouragé que s’il est fait de cette matière que l’on appelle allégeance, soumission et obéissance. S’il est par contre l’expression d’une vision ou d’une idée différente, s’il prend la forme de critique ou d’un avis contraire ou s’il est la manifestation d’une velléité de contrôle ou de demande de reddition des comptes, il est alors harcelé, pourchassé et puni.

Dans notre système politique, il n’y a de place que pour un pluralisme politique maîtrisé, contrôlé et asservi et aucune pour un pluralisme politique qui se conçoit comme contre-pouvoir ou comme pourvoyeur de projets politiques différents. Notre système politique a l’ouïe musicale particulièrement délicate : il n’accepte qu’une seule partition – la sienne- et ne tolère aucune voix discordante ou note dissonante.

Créer un parti politique pour le simple plaisir de créer un parti politique n’aurait aucun sens, enfin, tant l’environnement politique général qui distingue notre pays est si peu propice à ce genre d’entreprise. Dans un environnement aussi peu démocratique, en l’absence d’un Etat de droit et dans le cadre d’un système politique négateur des attributs les plus élémentaires de la citoyenneté et si peu respectueux des choix du peuple souverain, la création d’un parti politique peut apparaître comme un contre-sens, une anomalie ou une incongruité.

Notre système politique n’a pas seulement rendu problématique la création de partis politiques. Il a aussi jeté le discrédit sur l’action politique, sur la pratique politique et sur le militantisme politique lui-même.

L’appartenance à un parti politique est avant tout un acte civique. Militer est un droit politique constitutionnel. Et l’action politique, d’une manière générale, participe du désir de se mettre à la disposition de la communauté nationale et de servir l’intérêt général. Elle suppose une culture de l’Etat et une idée élevée de la citoyenneté. Elle est le « moi » mis au service d’autrui.

Au total, constitutionnellement, militer est un droit politique et civique ; politiquement, c’est la citoyenneté qui exerce l’un de ses attributs fondamentaux ; et moralement c’est le don de soi à l’altérité.

Le système politique national a tout fait pour descendre le militantisme de son piédestal. Le militantisme qui se déploie en dehors du cercle restreint de ses clientèles est pour lui douteux et suspicieux ; bien plus, il l’assimile souvent à un comportement anti-patriotique ; ou pire, il lui arrive de le stigmatiser comme intelligence avec l’ennemi.

Pour ce système, il y a le bon et le mauvais militantisme. Le bon militantisme, le militantisme choyé et entouré de toutes les faveurs est celui qui se contente de faire partie de ses clientèles, d’entrer docilement dans la course vers les accès rentiers et de chanter ses louanges chaque jour que Dieu fait.

Et puis, il y a pour notre système politique ce qu’il considère être le mauvais militantisme par excellence. Notre système politique n’arrive même pas à concevoir que l’on puisse militer en s’opposant à lui ; il n’arrive pas à imaginer que le militantisme puisse prendre la forme d’idées, de visions ou de projets politiques différents des siens ; il lui est particulièrement difficile dans la mentalité et dans la culture politique qui lui sont propres d’admettre le fait que pouvoir et opposition sont les deux éléments indissociables d’un même binôme qui porte le nom de démocratie ; et il n’entend toujours pas reconnaitre qu’un pouvoir politique qui ne s’exerce pas sous le contrôle vigilant et intransigeant d’une opposition politique responsable et légitime n’est pas un pouvoir démocratique et qu’il porte un autre nom, celui de pouvoir autocratique et totalitaire.

Pourtant ce sont toutes ces raisons et toutes ces conditions qui ont tout pour être décourageantes, dissuasives et rédhibitoires qui nous ont, au contraire, incités – et j’irai jusqu’à dire contraints- femmes et hommes rassemblés au sein de Talaiou El Houriyet- à créer notre parti politique qui s’apprête à voir le jour et à faire ses premiers pas.

Nous ne manquons ni de réalisme ni de lucidité ; nous ne péchons pas par excès d’optimisme ou de naïveté ; nous ne sous-estimons ni la difficulté de la tâche que nous nous sommes librement assignée ni le nombre et la diversité des obstacles qui jalonneront le chemin que nous avons décidé de suivre.

C’est en femmes libres et en hommes libres que nous nous sommes levés pour nous ranger du côté de toutes celles et de tous ceux qui ressentent au plus profond d’eux-mêmes que l’Algérie a besoin d’eux en ces moments cruciaux et qui répondent à son appel. C’est en femmes libres et en hommes libres que nous nous sommes levés pour mettre nos mains dans les mains de toutes celles et de tous ceux qui, à l’unisson avec nos concitoyennes et nos concitoyens, veulent le changement et le renouveau.

C’est en femmes libres et en hommes libres que nous nous sommes levés pour ajouter un rang aux rangs de toutes celles et de tous ceux qui, en leur âme et conscience, pensent que l’heure est à la défense de la République, à la préservation de l’Etat national qui est notre bien le plus précieux, à la protection de la cohésion de la Nation qui subit des coups de boutoirs de toutes parts et à prémunir notre société contre un surcroit de déchirures et de ruptures profondément déstabilisatrices.

Dans notre pays nous avons des droits inaliénables et des libertés imprescriptibles. Et c’est en femmes libres et en hommes libres que nous nous sommes levés pour nous joindre à toutes celles et à tous ceux qui ne transigent pas sur le respect de leurs droits et qui ne s’accommodent pas des atteintes à leurs libertés qui ne se comptent plus.

Monsieur le Président ;

Honorables invités ;

Mesdames et Messieurs les Congressistes ;

Mesdames et Messieurs ;

Si l’environnement politique général dans notre pays n’est guère incitatif à l’action politique, ni stimulant pour elle, l’état immérité dans lequel se trouve notre pays et toutes les attentes insatisfaites de notre peuple suffisent pour réduire toutes nos hésitations –même les plus fortes-, pour nous pousser à affronter tous les obstacles –même ceux qui paraissent insurmontables- et pour aller au-delà de tous les motifs de découragement qui sont réels et nombreux.

L’appel du devoir n’est pas un appel auquel l’on peut rester sourd ; l’état affligeant du pays n’est pas un état dont on peut détourner le regard ; et la responsabilité que nous avons envers notre peuple n’est pas une responsabilité que l’on peut fuir ou que l’on peut refuser d’assumer.

Et c’est de cela qu’il s’agit aujourd’hui pour chacune et pour chacun d’entre nous : de devoir, de responsabilité et de réponse à l’appel de l’Algérie, notre pays, pour lequel rien ne compte et rien ne se mesure : ni la détermination ni l’abnégation pas plus que l’effort ou le sacrifice. Et de fait notre pays est confronté à une crise globale, au sens plein de ce concept. Il s’agit d’une crise systémique globale avec toutes ses dimensions politiques, économiques et sociales.

Oui, c’est le système politique national qui est au cœur de la crise de régime à laquelle notre pays est confronté. Oui, c’est le système politique national qui est au cœur de la fragilité et de la précarité de l’économie nationale qui n’existe pas comme modèle rationnel et cohérent avec pour résultante inévitable l’assujettissement de toute une Nation et de tout un peuple à toutes les formes de dépendances devenues inacceptables et intolérables. Et s’il y a des mains étrangères dont nous devrions tous sans exception nous préoccuper bien légitimement ce sont bien ces mains étrangères là dont nous dépendons pour nous nourrir, pour nous soigner, pour réaliser nos infrastructures et nos équipements publics, pour nous alimenter en eau potable, et en électricité et même pour gérer à notre place nos ports, nos aéroports, et bientôt nos hôpitaux.

Oui, c’est le système politique national qui est au cœur de la dévitalisation de notre société, des dysfonctionnements dont elle est atteinte, des ruptures d’équilibres qui s’opèrent en son sein et de la perte de son système de valeurs et de ses repères moraux.

Au plan politique, la crise de régime est sous nos yeux et nous pouvons en lire les tenants et les aboutissants à livre ouvert. L’Algérie vit une vacance du pouvoir qu’il est vain de tenter de cacher par des procédés les uns plus vains et plus dérisoires que les autres. Les institutions sont illégitimes de la base au sommet du fait du fléau de la fraude qui a lui aussi pris une dimension systémique. La vacance du sommet de l’Etat à produit son effet boule de neige et ce sont toutes les institutions constitutionnelles qui se sont retrouvées en situation de quasi-cessation d’activités. Toute l’administration publique est entrée en léthargie faute d’orientations et de directives. Le vide généré par la vacance du pouvoir a été comblé par des forces extra-constitutionnelles qui ont pris possession du centre de la décision nationale. Et, en ce moment même où nous sommes réunis ici, dans tout le pays bruissent les rumeurs ou des fuites et sont jetés peut-être, une fois encore, des ballons sondes pour vérifier l’acceptabilité et faisabilité d’une opération de clonage de notre système politique au moyen de ce qu’il est devenu commun de désigner sous l’appellation de transmission héréditaire ou cooptée du pouvoir.

Voilà à quoi est réduit tout notre système politique aujourd’hui : gérer une vacance du pouvoir dont les retombées échappent à son contrôle jour après jour ; maintenir le statu quo c'est-à-dire l’immobilisme pour que rien ne bouge et rien ne change ; veiller à la survie du régime politique par tous les moyens ; et préparer les conditions de son clonage ultérieur en ne reculant devant aucune méthode même la plus manifestement anti-républicaine, et anti-nationale, je veux dire l’hérésie de la transmission héréditaire ou cooptée du pouvoir.

Comme vous le voyez et comme le voient avec nous toutes les algériennes et les algériens, leurs besoins, leurs attentes et leurs aspirations sont loin- très loin-des préoccupations du régime politique en place dans notre pays. La préoccupation centrale et exclusive de ce régime politique est focalisée sur la vacance du pouvoir et sa gestion pour l’immédiat et pour l’avenir prévisible. Ce régime politique est plus inquiet pour son devenir que pour celui du pays tout entier. Il n’a plus de vision, d’ambition ou de projet pour la Nation ; il n’a que sa pérennité pour obsession.

Il gère les affaires de l’Etat par l’improvisation et avec beaucoup de légèreté et de désinvolture comme le révèlent toutes ces décisions aussitôt annoncées et aussitôt annulées. Il n’y a pas plus urgent et plus vital pour le pays que la sortie de cette crise de régime qui affaiblit l’Etat, fragilise la cohésion de la Nation et perturbe les équilibres les plus essentiels de notre société.

Au plan économique, l’échec se constate partout où se dirigent les regards. La crise énergétique mondiale actuelle est venue donner la mesure de cet échec. Notre pays est aussi impréparé face à ce retournement de conjoncture et dans l’incapacité d’en amortir les chocs qu’il l’était dans les années 80 ; et nos gouvernants en sont réduits à recourir aux mêmes expédients que ceux utilisés à cette même période.

Nous ne disposons toujours pas d’un modèle rationnel et, cohérent sur lequel reposerait une économie dynamique, compétitive et productrice de richesse.

Nous n’avons pas une économie mais plusieurs. Nous avons une économie bureaucratique qui coexiste avec une économie qui n’a retenu de l’économie de marché et du libéralisme que leurs aspects les plus sauvages ; nous avons une économie formelle sclérosée et une économie informelle parfaitement organisée avec sa logique, ses règles et même ses structures ; nous avons des enclaves réduites de modernité économique au sein d’un système dont la marque distinctive est l’archaïsme. Le régime politique en place a cédé aux facilités, aux délices et aux attraits d’une économie rentière et a fait manquer au pays toutes les occasions en or qui se sont présentées à lui pour diversifier les sources de création de la richesse nationale.

Il a installé tout le pays dans une triple dépendance ravageuse : une dépendance à l’égard d’une seule source de richesse, une dépendance quasi-totale à l’égard des revenus générés par cette seule richesse et une dépendance presque entière à l’égard de l’étranger pour ce que nous consommons et ce que nous réalisons.

Le régime politique en place a épuisé des sommes phénoménales dans des plans de relance qui n’ont absolument rien relancé. Ces sommes qui ont fait certainement la fortune de quelques uns mais surement pas celle du pays donnent le vertige mais créent aussi le sentiment d’un immense gâchis.

Pourquoi donc notre économie est-elle dans un tel état alors qu’elle avait entre les mains tous les moyens de son essor ? Les éléments de réponse à cette question s’imposent d’eux-mêmes.

  • Premièrement, dans sa logique de confinement de toutes les libertés, le régime politique en place a multiplié les entraves devant la liberté d’initiative, la liberté d’entreprendre et la liberté de créer de la richesse. Il a tout fait pour favoriser l’acte d’importation et dissuader l’acte de production.
  • Deuxièmement, en matière économique nos gouvernants naviguent à vue. Aucun secteur économique ne dispose d’une visibilité – et donc d’une stratégie – à court, moyen et long terme. Nous avons le sentiment tenace qu’en matière économique nos gouvernants avancent à tâtons et que leurs avancées sont plus guidées par des humeurs ou des instincts que par des normes et des règles auxquelles les nations plus développées que la notre se tiennent strictement.
  • Troisièmement, nous ne disposons pas d’un modèle économique que nous bâtissons avec patience et persévérance, cela est un fait établi ; mais même ce qui nous sert de cadre ou de système économique est régulièrement bouleversé et remis en cause. Cette instabilité de notre cadre économique est la résultante directe de la navigation à vue et des tâtonnements de nos gouvernants. Elle a un rôle majeur dans les retards et les échecs que l’économie nationale accumule.
  • Quatrièmement, toutes nos lois de finances et toutes nos politiques publiques sont devenues, pour une grande part, de simples instruments de distribution de la rente. Elles ont cessé d’être conçues chez nous comme les leviers privilégiés du dynamisme de l’économie nationale.
  • Cinquièmement, la démagogie et le populisme sont les ennemis mortels de toute économie qui se veut dynamique, compétitive et performante, or ; durant toute la dernière décennie, le populisme et la démagogie ont envahi avec force le terrain économique national. Ils ont eu pour fonction essentielle de permettre au régime politique en place d’acheter la paix sociale qui est synonyme de l’achat de sa pérennité et de sa survie.

Le plus grand regret pour nous et sans doute pour les générations à venir est et sera qu’une décennie d’opulence financière sans précédent et qui ne se renouvellera certainement pas de sitôt a offert à notre pays une occasion en or pour bâtir une économie digne de ce nom qui n’a pas été saisie.

En faisant succéder mécaniquement des plans de relance à d’autres plans de relance où seuls les montants annoncés comptaient, nos gouvernants ont oublié le plus essentiel : la performance d’une économie ni se mesure pas à l’ampleur des ressources financières qui y sont injectés mais à la capacité de ses structures de les absorber, d’en faire un usage efficient et de les transformer en moyen de création de richesses nouvelles. Une économie archaïque dont les défaillances structurelles ne sont pas reformées ne peut se suffire de la seule injection de disponibilités financières, quelle que soit leur importance, et se dispenser des nécessaires réformes structurelles – nombreuses et profondes – dont l’économie nationale qui reste à construire a un besoin pressant.

A l’impasse politique et à l’impasse économique s’ajoute l’impasse sociale dont il importe de ne sous estimer ni l’acuité ni le haut degré de sensibilité.

Les équilibres au sein d’une société et sa stabilité dépendent avant tout de la relation de confiance qui s’établit entre les gouvernants et les gouvernés. Or cette relation de confiance est manifestement rompue. Désormais nos gouvernants font face à la société plus qu’ils ne la guident, l’écoutent, lui répondent et s’acquittent de ce qu’elle attend d’eux.

Bien plus, les médiations politiques, économiques et sociales sont d’une importance vitale dans toute société moderne. Ce sont ces médiations qui entretiennent et assurent l’écoute, la concertation et le dialogue entre les gouvernants et les gouvernés.

Pour pouvoir assumer un tel rôle, elles doivent être représentatives et légitimes. Or dans notre pays des médiations clientélistes et rentières ont supplanté les véritables médiations politiques, économiques et sociales et les ont dépossédées de leur fonction de courroie de transmission entre gouvernants et gouvernés. Le résultat en est qu’il y a une rupture de ces canaux d’écoute, de concertation et de dialogue par lesquels la société se sent impliquée et prise en ligne de compte dans la gestion des affaires publiques.

Ce constat ne serait pas complet si l’on n’y ajoutait pas les effets destructeurs du clientélisme, du népotisme, du clanisme et du régionalisme auxquels le régime politique en place a redonné un nouveau souffle.

Ce constat ne serait pas complet si l’on n’y ajoutait pas le déséquilibre régional patent qui affaiblit l’homogénéité de notre société comme cela est le cas pour le grand sud de notre pays.

Ce constat ne serait pas complet si l’on n’y ajoutait pas la dévalorisation de l’effort, du travail et du compter sur soi au sein de notre société dans laquelle s’est développé la course à l’argent faciles, le souci d’accéder à une part de la rente et la mentalité de l’assistanat.

Ce constat ne serait pas complet, enfin, si l’on n’y ajoutait pas le fléau des fléaux que constituent toutes les formes de la prédation des richesses nationales : la corruption, les malversations et la dilapidation de l’argent public.

En plus d’être un manquement politique majeur, et une hémorragie dans le corps de l’économie nationale tous ces fléaux sont l’expression d’une faillite et d’une déchéance morales.

C’est sans doute, avant tout, à l’ensemble de ces fléaux que sont dues la perte du système de valeurs et des référents moraux de notre société.

La crise politique connaitra son règlement ; l’économie nationale se relèvera de ses échecs et comblera ses retards ; mais toutes ces ruptures et ces déséquilibres qui affectent si profondément notre société seront bien plus durs à résorber.

Monsieur le Président,

Honorables invités,

Mesdames et Messieurs les congressistes,

Mesdames et Messieurs,

J’ai eu l’honneur et le plaisir d’être associé à l’ouverture des congrès régionaux préparatoires à ce congrès constitutif qui se sont tenus à Oran, à Béchar, à Constantine, à Ouargla et à Blida. Partout où je me suis rendu, la même remarque m’était faite et les mêmes questions m’étaient posées : «nous savons que le pays ne va pas au mieux et nous savons pourquoi mais parlez nous d’espoir ; y-a-t-il encore de l’espoir ? Ou sont les sources de l’espoir ? Comment peut-on faire bon usage de ces sources d’espoir qui nous restent ?

L’espoir et ses sources intarissables sont dans l’histoire même de notre vieille nation. L’histoire de notre nation elle-même est une grande leçon d’espoir. Et c’est de cette grande leçon d’espoir que nous devons tirer tous les enseignements pour le présent et pour l’avenir. Après chaque échec, après chaque défaite , après chaque revers, cette nation a toujours su puiser du plus profond d’elle-même la résilience, la force morale et les ressources inépuisables qu’elle porte en elle-même pour se relever, résister, triompher des adversités, continuer à avancer et ne jamais abandonner sa place parmi les autres nations. Face aux revers, à l’échec, à la défaite ou à l’adversité.

Cette nation n’a jamais succombé au fatalisme ; elle n’a jamais accepté le sort contraire ; elle n’a jamais reculé devant l’adversité ; et n’a jamais refusé un combat que sa survie imposait. C’est dans l’adversité que cette nation à su toujours trouver les leviers les plus puissants de son sursaut, de son ressaisissement et de son renouveau. Si l’histoire de cette nation est une leçon d’espoir toujours renouvelée, elle est aussi une leçon de résistance qui ne s’est jamais démentie.

L’espoir et ses sources sont aussi dans notre peuple lui-même. Un peuple comme le nôtre ne cède pas au désespoir ; il n’accepte pas le pessimisme ; il ne s’attarde pas dans les impasses et par-dessus tout, il refuse les horizons fermés. Des tragédies et des malheurs ont frappé notre peuple à travers sa longue et belle histoire. D’autres peuples que lui ne s’en seraient pas relevés ; mais notre peuple à su transformer chaque tragédie comme le moment d’un nouveau départ et chaque malheur comme une occasion pour ressouder ses rangs et mobiliser ses forces pour aller de l’avant plus déterminé et plus puissant.

L’espoir et ses sources sont dans toutes ces richesse naturelles nombreuses et variées dont Dieu le Tout Puissant a doté notre pays comme autant de bénédictions dont nous n’avons toujours pas su faire le meilleur usage pour bâtir une économie prospère qui satisfait pleinement les besoins de notre peuple et répond à ses attentes.

L’espoir et ses sources sont dans nos concitoyennes et dans nos concitoyens qui, face aux grands défis, savent unir leurs rangs et leurs forces et rassembler leurs volontés individuelles en une grande volonté nationale pour les relever.

L’espoir et ses sources sont dans notre jeunesse à laquelle nous tournons le dos alors qu’à travers elle c’est un fait à l’avenir que nous tournons le dos. Toutes les nations du monde considèrent leur jeunesse comme la plus précieuse de leurs ressources et c’est entre ses mains qu’elles mettent les clefs de leur devenir. Comme toutes les jeunesses du monde, la nôtre rêve de créer, de produire et de construire ; elle aspire à être utile pour la communauté nationale ; elle rêve de servir la nation et d’être partie prenante dans sa grandeur.

L’espoir et ses sources sont dans la femme algérienne envers laquelle toute la société à une dette – la dette de la citoyenneté – dont nous devons nous acquitter pour lui permettre à l’égal de son frère, l’homme, de réaliser elle aussi ses rêves et ses ambitions pour l’Algérie ; ses rêves et ses ambitions ne sont pas différents des nôtres ; ils portent sur un Etat puissant et respecté ; une nation prospère et unie ; et une sociétés ouverte et tolérante.

L’espoir et ses sources, sont enfin, dans les élites de la nation ; ces élites ignorées et dédaignées ; ces élites qui font peur alors qu’elles rassurent ; ces élites marginalisées et exclues ; ces élites que l’on forme à grands frais pour, ensuite, rapidement se dispenser de leurs qualifications, de leur expertise et de leur talent.

Voila tous les dépositaires de nos espoirs qui ne peuvent disparaitre et voila leurs sources nombreuses qui ne peuvent se tarir.

Les motifs de l’espoir sont là. La foi en l’avenir ne s’est pas éteinte. Les crises auxquelles notre pays est confronté sont nombreuses et dangereuses. Mais leur règlement n’attend ni l’homme providentiel ni des faiseurs de miracles.

Le règlement de toutes ces crises existe ; il est possible sans heurts et sans ruptures. Ce règlement est en chacun d’entre nous et sa réalisation est un devoir collectif. Ce règlement est à portée de nos mains. Il n’exige que la sagesse, la lucidité et le courage des hommes de bonne volonté. Et c’est par la sagesse, la lucidité et le courage que se construisent les grandes nations.

Comment les grandes nations se construisent-elles sinon en accompagnant les mutations de leurs sociétés et en s’employant à répondre à leurs attentes ? Notre société a connu de profondes transformations mais notre système politique est resté le même d’où sa position décalée par rapport à la société et d’où le besoin de changement.

Comment les grandes nations se construisent-elles sinon en étant à l’écoute de leurs peuples, en leurs indignant le chemin du progrès et en les rassemblant autour d’un projet politique qu’ils acceptent et en lequel ils croient ? Le régime politique en place dans notre pays n’est plus porteur d’un projet politique rassembleur et en cela il est devenu lui-même un obstacle majeur au renouveau politique, économique et social de notre pays.

Comment les grandes nations se construisent-elles sinon par et pour le respect de la citoyenneté et des attributs qui lui sont attachés ? La citoyenneté est le moteur de la construction des Etats modernes. Aussi longtemps que la citoyenneté sera ignorée ou méprisée dans notre pays, il ne pourra pas prétendre prendre rang parmi ces nations avancées.

Comment les grandes nations se construisent-elles sinon par la stricte observance du choix du peuple souverain dont ses dirigeants tirent leur légitimité, leur représentativité et leur crédibilité ? Et c’est l’alternative démocratique et elle seule qui pourra donner le signal de départ du renouveau politique, économique et social de notre pays.

Comment les grandes nations se construisent-elles sinon en se dotant d’Etats de droit véritables ou la Constitution et les lois sont respectées, où les institutions sont au service des citoyens, où la justice est indépendante, où l’administration est impartiale, où tous les citoyens sont égaux devant la loi et où tout exercice d’une autorité est soumis au contrôle et à la reddition des comptes ? Sans un Etat de droit dans notre pays nous continuerons à accumuler les retards et les échecs comme nous continuerons à nous laisser distancer par les autres nations qui ont fait le choix des Etats de droit.

Comment les grandes nations se construisent-elles sinon en s’astreignant aux normes de la bonne gouvernance ? C’est par la bonne gouvernance que se gagnent la stabilité politique, la performance économique et la quiétude sociale.

Comment les grandes nations se construisent-elles sinon dans la promotion des droits et des libertés au moyen de laquelle des femmes et des hommes se sentent comme des citoyens à part entière assumant leurs devoirs mais jaloux de leurs libertés ? Une société des droits et des libertés est une société dynamique, épanouie, créative et productive.

Monsieur le Président,

Honorables invités,

Mesdames et Messieurs les congressistes,

Mesdames et Messieurs,

Ce Congrès Constitutif de Talaiou El Houriyet aura à se prononcer sur l’ensemble de ces questions comme sur bien d’autres qui concernent la grave situation dans laquelle se trouve notre pays. A cette fin, ce congrès adoptera le projet politique de notre parti qui sera soumis au jugement de notre peuple. De même notre congrès est appelé à examiner 8 résolutions d’une importance particulière dans la mesure où elles portent sur des problématiques et des dilemmes majeurs auxquels notre pays est actuellement confronté.

Dans notre projet politique comme dans ces résolutions nous établissons des constats ; nous proposons une vision et une démarche ; et nous formulons des solutions réalistes et praticables.

Notre projet politique sera désormais entre les mains de nos concitoyennes et de nos citoyens ; ce projet n’a pas été conçu dans un autre dessein que celui de les servir ; il n’a pas une finalité autre que celle d’être une contribution de notre part aux côtés des autres contributions qui existent et avec lesquelles il converge sur le seul but qui compte : celui du sursaut patriotique et du redressement national.

Ali Benflis

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sarah sadim

Un message fort mais véridique, nos concitoyennes et citoyens le jour ou ils vivront:

1) la banqueroute financiére et toutes les misères et angoisses du vécu à venir.

2) La fort et probable dislocation de l'unité nationale

3) La disparition des institutions qui se trouve en privatisation familiale d'un clan d'imposteurs...

4) Quand ils entendront les cliquetis tragiques des armes..

Ce jour là et seulement ce jour là, ils comprendront votre message ces concitoyens en pleine digestion finale de leur devenir, lequel, Dieu Seul le sait.

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