L’économie algérienne, le Conseil de la concurrence, le monopole et la rente

Amara Benyounès, ministre du Commerce.
Amara Benyounès, ministre du Commerce.

Le Conseil de la concurrence a été sous l’autorité successivement de la présidence de la république, puis du chef de gouvernement et aujourd’hui du ministre du Commerce.

Ce Conseil a en réalité été saisi que pour des affaires mineures car s’attaquant à de puissants intérêts. Où en est le bilan depuis près de 20 ans d’existence ? Sous la pression des évènements, les gouvernements successifs ont annoncé à maintes reprises sa réactivation. Aussi, au moment où l’actualité est dominée par la désorganisation des marchés, la dominance de la sphère informelle qui contrôle 40% de la masse monétaire en circulation et 65% des segments des produits de première nécessité, ayant des incidences sur le pouvoir d’achat des Algériens, il est important d’analyser sa compostions et ses compétences. Il ne s’agit pas d’une question de textes juridiques, mais de s’attaquer au fonctionnement réel de la société.

1.- Fonctionnement et prérogatives du Conseil de la concurrence

Le Conseil de la concurrence est né avec l’ordonnance numéro 95-06 du 25 janvier 1995 qui a été modifiée par l’ordonnance n° 03-03 19 juillet 2003, puis par la Loi n° 08-12 du 25 juin 2008. Le Conseil de la concurrence est «une autorité administrative autonome jouissant de la personnalité juridique et de l’autonomie financière, placée auprès du ministre chargé du Commerce et le décret exécutif (n°11-242 du 10 juillet 2011), prévoit des études, des enquêtes ainsi que des informations judiciaires relatives à la concurrence tels les arrêts rendus par la Cour suprême. Les nouveaux membres ont été installés le 29 janvier 2013, mais le Collège du Conseil n'a pu se réunir qu'en juillet 2013 après la promulgation du décret de nomination de ses membres et la prestation de serment de ses rapporteurs et enquêteurs. Nous avons vu successivement le décret exécutif 11-243 du 10 juillet 2011, qui a été modifié par le décret exécutif 15-79 du 08 mars 2015 portant organisation et fonctionnement du Conseil. Selon les articles 23 et 25, le Conseil de la concurrence jouissant de la personnalité juridique et de l’autonomie financière est composé de neuf membres, dont un président et un vice-président exerçant à plein temps nommés par décret présidentiel, pour une durée de cinq années, renouvelable relevant des catégories deux membres exerçant ou ayant exercé au Conseil d’Etat, à la Cour suprême ou à la Cour des comptes en qualité de magistrat ou de conseiller et de sept membres choisis parmi les personnalités connues pour leur compétence juridique, économique ou en matière de concurrence, de distribution et de consommation, dont un choisi sur proposition du ministre chargé de l’Intérieur. Ils exercent leurs fonctions à plein temps. Selon l’article 27 le Conseil de la concurrence adresse un rapport annuel d’activité à l’instance législative, au Chef du gouvernement, au premier ministre depuis la modification de la Constitution, et au ministre chargé du Commerce. Le rapport est rendu public un mois après sa transmission aux autorités visées ci-dessus. Il est publié au Journal officiel de la République algérienne démocratique et populaire. Il peut également être publié en totalité ou par extraits dans tout autre support d’information. Dans les articles 36 et 37 il est précisé que le Conseil de la concurrence est consulté sur tout projet de texte réglementaire ayant un lien avec la concurrence ou introduisant des mesures ayant pour effet, notamment, de soumettre l’exercice d’une profession ou d’une activité, ou l’accès à un marché à des restrictions quantitatives ; d’établir des droits exclusifs dans certaines zones ou activités ; d’instaurer des conditions particulières pour l’exercice d’activités de production, de distribution et de services et de fixer des pratiques uniformes en matière de conditions de vente. Ce dispositif relatif à la concurrence a pour souci d’harmoniser la législation algérienne avec les normes internationales, notamment européennes à l’instar de l’article 41 de l’Accord d’Association avec l’Union européenne dans son annexe 5. Ainsi le Conseil, selon la loi, doit instaurer, à travers ses articles 40 à 43, un cadre de coopération entre le Conseil de la concurrence et les autorités étrangères de concurrence, en vue d’assurer la mise en œuvre adéquate des législations nationale et étrangère et de développer entre ces institutions des relations de concertation et d’échange d’information et ce, dans le respect des règles liées à la souveraineté nationale, à l’ordre public et au secret professionnel. Le Conseil national de la concurrence a vu ses missions et attributions plusieurs modifiés. Parmi les modifications successives apportées aux plans de l’organisation et du fonctionnement, le Conseil de la concurrence, selon les textes rarement appliqués, il était prévu un renforcement de ses capacités.

2.- Les règles du Conseil de la concurrence prohibent tout monopole

La pratique saine des affaires ne s’accommode pas du monopole source de surcoûts et de mauvaise qualité des produits, d’où l’urgence de l’Etat régulateur stratégique. Ainsi, deux questions se posent : pourquoi donc l’Etat n’a-t-il pas appliqué ses propres lois et pourquoi n’a-t-il pas fait jouer son rôle de régulateur stratégique pour favoriser la concurrence ? Cela ne s’explique-t-il pas par des enjeux de pouvoir, existant des liens dialectiques entre la logique rentière et la logique du monopole qui favorise les délits d’initiés renvoyant à l’urgence d’une profonde moralisation des institutions ? Pourtant la loi est claire renvoyant à six axes principes. Premièrement, les ententes entre entreprises qui visent à obtenir un niveau de prix supérieur à celui qui résulterait d’une situation concurrentielle (article 6 de l’Ordonnance modifiée et complétée n° 03-03 du 19 juillet 2003). Deuxièmement, les abus de position dominante c'est-à-dire les situations où une entreprise et parfois plusieurs entreprises, sans avoir besoin de s’entendre, disposent d’une position sur le marché suffisamment puissante pour fixer leurs prix (ou leurs conditions commerciales) à un niveau supérieur à celui qui résulterait d’une situation concurrentielle (article 7 de l’Ordonnance modifiée et complétée n° 03-03 du 19 juillet 2003). Troisièmement, les abus de dépendance économique: ce type d’abus est le fait d’entreprises en position dominante dans leurs relations avec des opérateurs économiques qui n’ont d’autre choix que de traiter avec elles (article 11 de l’Ordonnance modifiée et complétée n° 03-03 du 19 juillet 2003). Quatrièmement, la pratique de prix abusivement bas ayant pour effet d’éliminer ses concurrents pour ensuite relever ses prix au-dessus d’un niveau raisonnable (article 12 de l’Ordonnance modifiée et complétée n° 03-03 du 19 juillet 2003). Rappelons la réunion en date du 19 mars 2015 des membres de l’Association des producteurs algériens de boissons (APAB) concernant le conflit qui l’a opposé à l’entreprise N’gaous qui avait décidé de baisser ses prix. A ce jour l’on ne sait pas si ce Conseil s’est réuni ou pas pour prendre une décision. Cinquièmement, tout acte ou tout contrat conférant à une entreprise une exclusivité (article 10 de l’Ordonnance modifiée et complétée n° 03-03 du 19 juillet 2003). Sixièmement, interdiction des opérations de concentration qui aboutissent à la création d’une position dominante (article 15 et suivants de l’Ordonnance modifiée et complétée n° 03-03 du 19 juillet 2003). Le contrôle de ces opérations se distingue du contrôle des autres pratiques énumérées ci-dessus dans la mesure où leur contrôle est préventif et a pour objectif d’empêcher la création «artificielle» de positions dominantes qui seraient ensuite en position d’abuser de leur position. L’ordonnance de 2003 avalisée par celle de 2008 précise que les agents économiques doivent notifier à ce Conseil leurs opérations de concentration lorsqu’elles sont de nature à porter atteinte à la concurrence et qu’elles atteignent un seuil de plus de 40% des ventes ou achats à effectuer sur un marché. C’est dans ce cadre que la loi consacre une exception à ce principe en accordant la faculté au Gouvernement d’autoriser, lorsque l’intérêt général le justifie, les concentrations économiques rejetées par le Conseil de la concurrence à chaque fois que des conditions économiques objectives le justifient. L’essence du mal réside au manque de visibilité et de cohérence dans la politique socio-économique de l’Algérie en fait à l’instauration d’un Etat de droit et à une bonne gouvernance. La fin d’un monopole avec une saine concurrence est liée à la morale et à une véritable démocratisation facilitant les contre-pouvoirs.. Les opérateurs qu’ils soient algériens ou étrangers désirant investir à moyen et long terme dans les segments à valeur ajoutée doivent être rassurés par une saine concurrence et ce, dans tous les segments. D’autant plus que l’Algérie est lié à un accord pour une zone de libre-échange avec l’Europe depuis le 1er septembre 2005 et qu’elle aspire à adhérer à l’Organisation mondiale du commerce (OMC) dont elle est observatrice depuis 1987.

3.- Avoir une vision stratégique

En ce monde turbulent, instable, où l'Economique est déterminant pour s'imposer dans les relations internationales, devant assister à de profonds bouleversements géostratégiques notamment en Afrique dont l'Afrique du Nord, où toute Nation qui n'avance pas recule, des stratégies d'adaptation s'imposent loin de toute improvisation. Le tissu de l’économie algérienne est composé à plus de 90% de petites entreprises familiales peu initiées au management stratégique, avec la dominance de la tertiairisation de l’économie qui constitue selon enquêtes de l’organe officiel de la statistique l’ONS plus de 80% de la superficie économique. L’Algérie après plus de 50 années d’indépendance n’a pas d’économie : 98% d’exportation d’hydrocarbures et important 70/75% des besoins des ménages et des entreprises publiques et privées. La mentalité du bureaucrate est de croire qu’en faisant de nouvelles lois, qui parfois contredisent celles existantes, comme le combat de manière administrative de la sphère informelle. A titre d’exemple, l’obligation de paiement par chèque au-delà de 500.000 dinars qui devait être effectif le 02 avril 2011, très vite abandonnée, oubliant par ailleurs qu’existent une intermédiation financière informelle, où l’on peut lever des dizaines de milliards de dinars en cash à des taux d’usure. Le développement hors hydrocarbures de l’Algérie implique d’avoir une vision stratégique dans le cadre des valeurs internationales et dans tout Etat de droit, de débureaucratiser et de se conformer à la loi locale et internationale afin de favoriser le climat des affaires. La loi algérienne, mais rarement appliquée, sur la concurrence prohibe clairement à tout producteur ou importateur, le monopole qu’il soit public ou privé. L’économie de marché ne saurait signifier anarchie, mais doit être encadrée par des institutions fiables et crédibles afin de réaliser la symbiose des rôles respectifs complémentaires et non antinomiques entre l’Etat et le marché. Aussi ce serait une erreur d’analyse de circonscrire le conseil de la concurrence à des aspects techniques. L’efficacité du conseil de la concurrence, à d’autres sphères que l’économique, à des enjeux de pouvoir.

Dr Abderrahmane Mebtoul, Professeur des universités et expert international

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Commentaires (1) | Réagir ?

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adil ahmed

merci