Ali Benflis : "La République a été dévoyée"

Ali Benflis
Ali Benflis

Extraits de la déclaration d'Ali Benflis à l’ouverture du Congrès régional de son parti réuni à Oran.

(...) La tenue de ce Congrès préparatoire porte en elle-même un triple témoignage : un premier témoignage quant à la bonne avancée de la préparation et de l’organisation du Congrès constitutif de notre parti auxquelles vous allez contribuer à mettre les touches finales par les débats que votre rencontre d’aujourd’hui est destinée à abriter et par les idées et les propositions que vous êtes appelés à formuler ; un second témoignage quant à votre volonté d’être une partie prenante active aux assises constitutives de Talaiou El Houriyet qui devront refléter vos vues, vos attentes et vos ambitions non pas seulement en ce qui concerne notre parti mais également en ce qui concerne notre pays tout entier ; un troisième témoignage, enfin, quant à la forte présence de notre parti dans cette région et quant à la haute qualité de la réception dont son projet politique y a bénéficié.(...)

La pratique politique et le militantisme politique sont une tâche particulièrement rude dans notre pays. Les épreuves qu’ils imposent ne peuvent être surmontées que par des femmes et des hommes qu’animent des convictions sans faille, qui croient en un idéal qu’ils situent au-dessus de toutes les contrariétés qu’ils ont à subir, qui croient en ce qu’ils font et font ce en quoi ils croient et qui ne marchandent pas avec les principes et les valeurs sur lesquels se fonde leur engagement politique.

Le système politique qui s’est imposé à notre pays n’accorde aucune place à cette catégorie de femmes et d’hommes qu’il considère comme une menace à sa survie et à sa pérennité. Il les marginalise et les exclut lorsqu’il ne les combat pas. Ce système préfère la sujétion à la citoyenneté ; il privilégie la dépendance des clientèles et se défie de tout ce qu’il assimile à une insoumission à son bon plaisir et à son bon vouloir ; et ce système fonctionne comme s’il n’était responsable devant personne, comme si nul n’avait le droit à l’astreindre à un contrôle et comme si nul n’avait le droit de lui réclamer une reddition de comptes. Léthargie.

Ce système est bâti sur une négation de la citoyenneté et sur une confiscation de la volonté populaire. Et quelles sont donc les conséquences directes d’un tel état de fait ? La première conséquence en est que la Constitution, cette loi suprême de la Nation et ce pacte social fondateur de la République est réduite à ne servir rien d’autre que la personnalisation du pouvoir ; la seconde conséquence en est que nos gouvernants ne sont pas légitimes dans la mesure où le régime politique en place a substitué au libre exercice d’une citoyenneté pleine et entière et à la volonté populaire régulièrement exprimée, un véritable système de la fraude qui est devenue son label et sa marque de fabrique ; la troisième conséquence est que toutes les institutions républicaines sont mises au service d’un seul homme et du pouvoir personnel qu’il incarne et non au service du peuple souverain qui est censé les avoir constituées pour répondre à ses attentes et pour satisfaire ses aspirations ; et la quatrième conséquence est que les véritables médiations politiques, économiques et sociales ont cédé la place à toutes sortes de médiations clientélistes qui ont pour seul souci de complaire au régime politique du moment et non d’être les messagers fidèles des demandes et des préoccupations des citoyennes et des citoyens.

Ces constats irréfutables établis, quelles conclusions est-il possible d’en tirer ? Ces conclusions s’imposent d’elles-mêmes : la République a été dévoyée dans ses fondements ; la Constitution a cessé d’être un pacte social pour être abaissée au rang de simple instrument d’une personnalisation du pouvoir ; les institutions républicaines ont été soumises à la volonté d’un régime politique en les déviant de leur mission naturelle qui est de servir le seul peuple souverain ; l’Etat de droit que nous aspirons à construire n’est encore qu’un Etat de non droit où prévalent autant l’arbitraire et l’abus de pouvoir que les diktats et les faits accomplis ; la bonne gouvernance n’est toujours qu’une non gouvernance dans la mesure où le régime politique en place est plus occupé à assurer sa survie qu’à gérer les affaires vitales de la Nation ; et il y a encore une justice à deux vitesse comme il y a une citoyenneté à deux vitesses : une justice réservée aux titulaires d’une infra citoyenneté et une autre bénéficiant à tous ceux qui jouissent d’une supra citoyenneté que le régime politique en place accorde à ses réseaux, à ses clientèles et aux groupes d’intérêts, d’influence et de pression dont il a favorisé l’émergence et qui lui servent de rempart.

Monsieur le Président,

Mesdames, Messieurs,

C’est dans un tel contexte national que Talaiou El Houriyet sont destinées à voir le jour. Ce contexte est difficile ; les défis qui le caractérisent sont nombreux ; et plus que tout ce contexte national révèle un Etat-national affaibli, une nation menacée par la discorde et la division et une société dévitalisée.

A quoi cette situation tragique pour le pays est-elle due ? Elle est due essentiellement à un pouvoir qui ne se conçoit pas autrement que comme un pouvoir à vie ; un pouvoir personnel qui ne recule devant rien y compris les dérives les plus extrêmes comme celle d’une succession dynastique dont il teste la recevabilité et la faisabilité de temps à autre. Cette situation tragique est due ensuite à un pouvoir personnel dont l’attachement indéfectible ne va qu’à l’exercice du pouvoir pour l’exercice du pouvoir et à rien d’autre ; un pouvoir personnel dont la vocation, la raison d’être et l’obsession sont de durer et, à cette fin, il a violenté la Constitution, asservi les institutions, rassemblé autour de lui des clientèles politiques, économiques et sociales intéressées, puissantes et solides. Cette situation tragique est due, enfin, à la vacance du pouvoir avec laquelle le régime politique en place n’a pas compté et qui est venue contrarier et remettre en cause tous ses plans pré-établis ; cette vacance du pouvoir au sommet de l’Etat a produit un effet boule de neige puisque toutes les institutions du pays-  Présidence de la République, Gouvernement, Conseil de la Nation, Assemblée Populaire Nationale et Conseil Constitutionnel- comme toute l’Administration publique sont dans un état de quasi cessation d’activités.

Et où tout cela mène-t-il notre pays ? A l’évidence, à cette situation triste et amère qui ne peut nous empêcher de penser qu’une quadruple peine a été prononcé contre notre pays : la peine de la non gouvernance dont l’accable la vacance du pouvoir ; la peine de l’illégitimité des institutions induite par la fraude devenue systématique ; la peine de la non représentativité puisque l’Etat est devenu celui de groupes d’intérêts, d’influence et de pression et non celui du peuple lui-même ; et la peine de la perte de la crédibilité des gouvernants et de la confiance des citoyens à leur égard comme réaction inévitable à la dévalorisation de la citoyenneté et à la confiscation de la volonté souveraine de notre peuple de la part du régime politique qui sévit dans notre pays depuis seize longue années.

Monsieur le Président,

Mesdames, Messieurs,

Croyez-moi, notre évaluation de la situation politique, économique et sociale du pays n’est pas exagérée ; nos mises en gardes contre la gravité de ses conséquences ne sont pas excessives ; notre devoir est celui d’éveilleurs de consciences et de sonneurs d’alarme et non celui de semeurs de désespoir, de fauteurs de troubles ou de porteurs de divisions. Gardons nous de condamner le messager pour la teneur déplaisante de son message. Nous aimons notre pays à l’égal de tous les autres. Et nous aurions, tant souhaité qu’il soit dans un meilleur état qui nous aurait dispensé de la mission- car c’en est une- de le déclarer menacé et en danger.

Oui l’Etat national est en danger ; oui la Nation est en danger ; oui notre société est en danger. Et qu’importe le sort du messager et qu’importe le flot d’injures et d’accusations dont il est abreuvé car la vérité de son message est visible pour tous, irrécusable et têtue : l’Algérie traverse bel et bien la crise politique la plus grave de son Histoire moderne. Et cette crise n’est pas une crise passagère ; elle n’est pas une crise conjoncturelle ; elle n’est pas susceptible d’un traitement purement réparateur qui ignorerait ses causes et ses fondements les plus profonds.

Nous savons que ce danger provient des turbulences stratégiques auxquelles le monde est confronté ; nous savons aussi que ce danger peut provenir aussi de certaines puissances étrangères qui profitant de l’affaiblissement de notre pays pensent pouvoir y imposer leurs intérêts nationaux qui ne correspondent pas forcément aux nôtres ; nous savons enfin que ce danger provient de notre environnement régional où le terrorisme international a établi des bases de départ pour mener ses assauts criminels contre tous les Etats de la région, y compris le nôtre. Mais qui a donc rendu tous ces dangers réels et menaçants pour notre pays ? N’est ce pas le régime politique en place qui a affaibli l’Etat national au point de le rendre vulnérable à toutes ces menaces ? Des institutions politiques vacantes ou en situation de quasi- cessation d’activités sont elles en position ou en capacité de guider la défense du pays face à toutes ces menaces ? Ce régime politique illégitime, si peu représentatif et si peu crédible peut-il organiser l’union nationale sacrée pour faire échec à toutes ces menaces quelles qu’elles soient ? Et comment ce régime politique qui divise au lieu de rassembler et qui exclut et qui marginalise au lieu d’intégrer et d’inclure peut-il encore faire croire qu’il est en mesure de sensibiliser et de mobiliser ? Ce régime a cru avoir trouvé le bouc émissaire idéal pour lui faire porter la responsabilité de toutes ses faillites et de tous ses échecs. Il s’agit de l’opposition nationale que le régime politique en place identifie comme source d’une menace pour la Nation, une menace qu’il est le seul à voir et qu’il est le seul à monter de toutes pièces. Depuis quand le fait de relever une vacance réelle du pouvoir et l’arrêt des institutions représente-il une menace pour le pays ? Depuis quand le fait de soutenir que le pays est en jachère et que la gestion des affaires politiques n’est plus assurée équivaut-il à une atteinte à la sécurité nationale ? Depuis quand le fait de contester la légitimité, la représentativité et la crédibilité du régime politique en place met-il en danger la sécurité du pays ? Depuis quand le fait de dénoncer la prédation de la richesse nationale en toute impunité s’assimile-t-il à un crime de trahison ? Et depuis quand le fait de relever, à raison, que le centre de la décision nationale est occupé par d’autres que son titulaire constitutionnel est-il constitutif d’un crime d’intelligence avec l’ennemi.

Non, la raison à tous ces égarements du régime politique qui sévit dans notre pays est à rechercher ailleurs. Car c’est un régime politique qui n’a pas la maitrise de ses nerfs, qui a perdu son sang-froid et avec lui le sens des réalités qui est l’auteur désemparé de ces contre-vérités insoutenables.

Voilà, Mesdames et Messieurs, la situation dans laquelle se tient votre congrès régional et voilà la situation dans laquelle le parti Talaiou El Houriyet verra le jour dans quelques mois. Cette situation n’est pas brillante et c’est le moins que l’on puisse dire à son sujet. Elle est plutôt hautement préoccupante. Ce n’est pas donc sous les meilleurs auspices que notre parti entamera son parcours politique prometteur et avec lui l’accomplissement d’un devoir national sacré.

Les défis, même les plus grands, sont faits pour être relevés et les obstacles, même ceux que l’on pense être insurmontables existent précisément pour être surmontés. Je sais que chez nos militantes et chez nos militants il n’y a pas place pour le découragement ou pour la résignation. Je sais aussi qu’ils refusent la fatalité de l’échec que le régime politique en place offre comme seule perspective à notre pays. Je sais enfin qu’ils sont déterminés à être aux avants postes du redressement de notre pays et sa mise sur la voie d’une véritable modernité politique, économique et sociale.

Nous aurons tous besoin de la fermeté de nos principes, de la solidité de nos convictions et du caractère inébranlable de notre engagement politique pour surmonter toutes les épreuves qui nous attendent. Notre parcours politique ne sera pas un parcours tranquille et se situer dans l’opposition au régime politique en place n’est pas une sinécure.

Ce régime a dévoyé la pratique politique car il ne la conçoit pas comme une saine confrontation des idées, des visions et des projets dans un esprit démocratique. Il a vidé le pluralisme politique de son sens et de sa substance qui tient pour lui en un seul mot d’ordre: «quiconque n’est pas avec moi est contre moi» ; et dans un tel schéma de pensée, dans une telle culture politique et dans une telle mentalité tout ce qui n’est pas soumission, dépendance et allégeance devient automatiquement insoumission, désobéissance et menace à l’ordre établi. Ce régime politique n’accepte pas l’opposition nationale comme une partie intégrante et indispensable de tout système démocratique. Les contre-pouvoirs institutionnels ou partisans le dérangent car il n’entend concéder ou reconnaitre à personne le droit d’engager sa responsabilité, de contrôler sa gestion des affaires publiques ou de lui réclamer des comptes sur l’exercice des prérogatives qui lui ont été attribuées par le seul peuple souverain. Enfin ce régime politique prétend-ou plutôt pense sincèrement - qu’il incarne à lui tout seul l’Etat ; la Nation et la société.

Enfermé dans une telle logique, ce régime politique interprète toute contestation ou toute critique de ses comportements, de ses pratiques et de ses performances comme autant d’atteintes portées contre l’Etat, la Nation et la Société. Cette conception absolutiste et totalitaire du pouvoir politique représente précisément le mal profond dont il est nécessaire de guérir notre système politique. Le remède à ce mal a un nom et c’est l’alternative démocratique. Et c’est dans la trajectoire de cette alternative démocratique que Talaiou El Houriyet inscrit son projet politique sans aucune ambigüité et sans aucune équivoque.

J’ai tenté dans cette intervention de vous présenter avec honnêteté et rigueur la situation tragique qui accable notre pays et le monde politique dans lequel vous vous apprêtez à entrer comme militantes et comme militants de Talaiou El Houriyet.

Le régime politique en place réduit ce monde politique à un espace de non-droit, de pratiques anti-démocratiques, de restriction des libertés, de mépris des droits, d’agression contre la libre expression et de harcèlement de toute forme d’opposition politique. Mais je suis certain comme vous l’êtes parfaitement que ce monde politique là- aussi hostile soit-il- ne pourra jamais entamer notre engagement ni réduire notre détermination pour la raison toute simple qu’il est la cible directe de notre volonté de changement consensuel, apaisé, graduel et ordonné.

Le régime politique en place devra apprendre avec l’arrivée de Talaiou El Houriyet dans le paysage politique national que d’autres que lui ont des rêves, des ambitions et un projet pour le pays différents des siens ; il devra apprendre aussi qu’il existe désormais un projet de progrès face à la fatalité de l’immobilisme et de la régression à laquelle il entend condamner tout un peuple et toute une Nation ; il devra apprendre, en outre que face au désespoir qu’il a semé dans le pays, une nouvelle force politique a émergé pour entretenir la flamme de l’espoir et pour convaincre que le temps du renouveau est venu ; il devra apprendre enfin que les femmes et les hommes libres que notre parti compte dans ses rangs ne se résignent pas face à toutes les impasses actuelles auxquelles le pays est confronté et qu’avant d’être les militants d’un parti ils sont les militants de l’Algérie des réformes et du changement.

Et permettez-moi de conclure par une phrase qui résume ce en quoi nous devons croire dans ce parcours politique que nous entamons ensemble. L’opposition politique est un droit constitutionnel. Mais elle n’est pas que cela et ne peut absolument pas être réduite qu’à cela. Elle se transforme et devient un devoir national sacré dès lors que l’Etat national est menacé et la Nation en péril.

Dans la longue histoire de la Nation algérienne éternelle chacune des générations qui ont précédé la nôtre a eu à assumer sa part de ce devoir national sacré. Et notre tour est venu d’assumer notre propre part de ce même devoir national sacré : hâter l’avènement de l’alternative démocratique dans notre pays.

Je vous remercie.

Ali Benflis

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Commentaires (3) | Réagir ?

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numide numedia

que des tableaux noirs, changez un peu vos discours, vous ne donnez rien de nouveau, je pourrai vous dresser aussi un tableau noir rien qu'en quelques minutes. de toutes façons, j'en suis sur que les clans s'entrent déchir, si ce n'est pas l'est c'est l'ouest et le resultat sera le meme. sans refondement, sans assise, sans le droit de chaque peuple qui forment cet espace dit "Algerie" rien ne fonctionnera et le sort de chaque état préfabriqué sera la dislocation.

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Aksil ilunisen

nous n'avons pas une Republique en Algerie Mr le coureur! Nous avons une Dictature. Le President se fair designer par lEtat Major de l'Armee. Rappelez vous les declaration du General Nezzar a props des "qualities" du future President: Celui qui est le plus MALLEABLE! Faudra-til que vous cherchiiez le sens du mot MALLEABLE pour mieux comprendre?!!!!!

Bref, Les intellos algeriens savent que vaudra mieux aller sous d'autres cieux que de faire un bras de force contre un systeme aussi pourri que le notre.

Dans une Republique, le Gouvernement est une institution respectable qui oeuvre dands l'interet du Peuple. Chez nous, le Gouvernement sert les interet de la Famiglia, et se sert soit-meme. alors a quoi bon de fustuger a propos d'une Republique, du Droit Constitutionnel ou de lois tous pris de travers comme est le cas d'une Republique bananiere. Peine perdue!

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