La grève, l’école informelle et le baccalauréat

Les syndicalistes ont suspendu leur mouvement
Les syndicalistes ont suspendu leur mouvement

Tout a basculé dans le système éducatif, depuis l’ouverture de l’École au pluralisme syndical. A la manière du multipartisme débridé, les sigles des syndicats foisonnent sans que l’on sache réellement, quel est leur poids dans la corporation et leur représentativité géographique.

Toutefois, ce qui est perceptible, pour l’opinion publique et les parents d’élèves, c’est bien leur nuisance récurrente et pesante à la veille de chaque vacances de printemps. Le mobile de toutes ces grèves parait opaque pour l’opinion publique, et n’est clair que pour les initiés, qui ont pris les écoliers en otage. Mais à y regarder de plus près, il semblerait que l’objectif de tout ce marasme est mercantile, pour les plus naïfs et stratégique pour ceux qui tirent les ficelles. Si les plus sincères d’entre eux revendiquaient la reconnaissance de leur noble effort, les autres, les indignés des salons de thé, voudraient servir leurs ambitions démesurées. Quant aux plus engagés et plus politisés, ils seraient employés dans une stratégie de démantèlement de l’École publique, et l’instauration d’une École qui servirait leurs objectifs partisans. M. Nedjadi Messeguem, inspecteur général au ministère de l’Éducation nationale a déclaré sur les ondes de la radio chaine III : «L’École publique est, aujourd'hui malmenée, en dépit du règlement des revendications salariales des enseignants ; le retour de la contestation est un prétexte pour la déstabiliser davantage». Curieux, a été aussi, le traitement des grèves par ceux qui avaient géré le ministère de l’Éducation nationale, durant plus de 20 ans : faire l’autruche, ignorer le mouvement, provoquer le pourrissement, le menacer par le biais de la justice, puis négocier, chercher les compromis pour enfin accepter toutes les revendications des syndicats. Entre-temps des dizaines de milliers d’heures de cours sont perdues et impossible à rattraper. En Démocratie, les jours de grèves ne sont pas payés, en Algérie on les rattrape mais virtuellement, et tout le monde est content, sauf les dindons de la farce que sont, les élèves qui préparent le baccalauréat.

La phobie des pouvoirs publics d’avoir des millions d’enfants protestataires dans la rue, est pour beaucoup dans cette permissivité, sinon comment expliquer leur intolérance à l’égard des grèves dans les autres secteurs ? Cette situation a créé une attitude dangereuse, dans le comportement des élèves candidats au baccalauréat qui désertent les classes et vident les lycées, pour se consacrer à leur examen hors des établissements scolaires. Ces conditions favorisent la sélection des élèves par l'argent, les parents qui le peuvent, faisant de plus en plus appel à des cours privés fort onéreux. Cet état de fait s'est manifesté il y a une dizaine d'année déjà, par la généralisation des cours privés dans des locaux bondés, souvent des garages pour voitures, insalubres, pas chauffés, situés dans quartiers populeux, dangereux la nuit, quant aux cours particuliers à domicile, ils ne sont accessibles qu’aux plus aisés. Dans l'inconscient collectif, le baccalauréat est déterminant dans le parcours scolaire réussi d’un enfant. Institué le 17 mars 1808 par Napoléon, le diplôme du baccalauréat constituait le premier grade universitaire. Il se transforme, plus tard, en certificat de validation des études secondaires, que les élèves doivent fournir lors de leur inscription pour des études supérieures. Il y a 20 ans, le baccalauréat n’était pas une référence de classe sociale et était accessible à tous ceux qui faisaient les efforts nécessaires pour l’avoir. Les élèves de classes aisées ne réussissaient pas forcément mieux que ceux des classes défavorisées. Aujourd’hui, il est vrai que dans les familles aisées et celles des professeurs, on pousse les enfants vers un niveau important, pour aller chercher la mention très bien ou la mention bien. Quant au bac sans mention, il équivaut à un échec, car il limite le choix des filières accessibles. Un phénomène particulièrement algérien où chaque année des milliers de candidats libres déjà bacheliers, repassent leur baccalauréat, dans l’espoir de décrocher la mention qui leur ouvre les portes des grandes écoles et des facultés de biomédical. Pour les parents, c'est une sorte de fierté et pour l’enfant, c'est une satisfaction pour soi et une reconnaissance. En France, au début des années 1981 à l’arrivée de la gauche au pouvoir, les responsables politiques avaient commencé les réformes du baccalauréat pour qu’il ne soit plus élitiste et sélectif, et seuls les bons élèves pouvaient l’obtenir. Aujourd’hui plus de 80% des élèves de la même génération le réussissent, grâce au stéréo typage des sujets des épreuves, des barèmes de correction et des délibérations assistées par ordinateur et la kyrielle de filières professionnelles. L'École leur donne l'illusion d'avoir un diplôme, le BAC pour poursuivre des études supérieures, mais la réalité rattrape le plus grand nombre. L'université les filtre en créant l'année zéro, pour les remettre à '’niveau''. Pareil en Algérie, bien que le taux de réussite des enfants d’une même génération est beaucoup trop faible (Moins de 28% simple estimation à cause du fort pourcentage de décrochage scolaire avant l’âge de 16 ans). Dans certaines filières comme en biomédical et l’école supérieure d’informatique d’Alger, les étudiants sont hyper sélectionnés en amont, (15.09 pour le biomédical et 16.04 pour l’informatique), les autres ne le sont pas quand ils y accèdent, mais sont systématiquement triés quand ils sont à l'université. Le nombre des étudiants qui décrochent en première année, reste très élevé. Les pays du Maghreb et certains pays africains ont hérité, le baccalauréat de la France coloniale, autres temps, autres mœurs ; le baccalauréat algérien perd au fur des ans, de sa crédibilité de diplôme international reconnu par les instances de l'UNESCO, à cause de certaines pratiques irresponsables : les fraudes à grandes échelles d'il y a quelques années, le temps imparti aux épreuves, le nombre de sujets aux choix, les opacités des délibérations assistées par ordinateurs, qui font peser les doutes sur le taux réel de réussite au baccalauréat et enfin le fameux seuil des cours « Ataba » exigé par les élèves de terminale. Dans la plus part des pays du monde, l'année scolaire dure en moyenne 35 semaines ouvrables, en Algérie elle dure parfois 24 semaines à cause des grèves pénalisantes. Cette pratique, fait que le programme scolaire n'est jamais entièrement étudié. De tous les pays européens, seules la France et l'Irlande maintiennent un examen terminal, les autres pays ayant opté pour le contrôle continu ou pour un système mixte valorisant quelques épreuves-clé dans l'examen terminal et utilisant les notes du contrôle continu pour le reste. La réforme du baccalauréat est devenue une urgence impérative, pour lui redonner son rôle certifiant et validant réellement les acquis et les prérequis de l’enseignement secondaire et non pas un simple passeport sans visa pour les études supérieures. L’allégement de l’horaire hebdomadaire des élèves de terminale à 28 heures, leur serait profitable dans leur rythme scolaire aujourd'hui étouffant. La spécialisation précoce est un gâchis pédagogique, la majorité des élèves des filières technologiques, ont été orientés mécaniquement et arbitrairement, sans se soucier de leurs vœux et de leurs profiles scolaires, pour uniquement respecter des quotas d’orientation prévus par la carte scolaire et imposés par les textes. L'enseignement des disciplines technologiques (génie mécanique, génie électrique et génie civil) par des procédés théoriques et des méthodes académiques, coupé des entreprises est un non-sens. La réduction des filières du baccalauréat à deux seulement, scientifique et littéraire, pour plus d’efficacité et de justice, dans la poursuite des études supérieures. La première se basant seulement sur les mathématiques, les sciences physiques, l’informatique, la biologie et les langues (arabe, français et anglais) ; la filière littéraire sera basée sur la philosophie, l’histoire et géographie ainsi que les langues (Arabe, français, anglais et une autre langue). Les autres matières feront l’objet de contrôle continu prérequis lors du passage en classe de terminale. Il est temps de concentrer la refondation du système éducatif sur l’excellence et la qualité que peut donner l’école au pays. Le développement d'un pays, sa compétitivité économique, sa maîtrise technologique, sa production scientifique, sa capacité de créativité et d'innovation, son rayonnement culturel et littéraire, sont en étroite corrélation avec le système éducatif mis en place. Si cette refondation se faisait, sans l'intégration de la formation et de l'apprentissage des métiers de l'avenir comme ceux des technologies de l'information et de la communication ou du développement durable, par des passerelles horizontales vers la formation professionnelle, en s’écartant de l’actuelle politique scolaire qui privilégie la quantité à la qualité, notre pays resterait à la traine du monde qui est aujourd’hui numérique, et le sera demain encore davantage. Mais quand on voit que l’École algérienne se noie depuis plus de 20 ans dans des problèmes superficiels, et passe à coté de l’essentiel, cela n’augure que les éternels échecs, à moins que le bon sens l’emporte dans l’intérêt de l’avenir de tous les Algériens. D’après l’inspecteur général au ministère de l’Éducation nationale «comparé à nos voisins Marocains et Tunisiens, l’École algérienne a régressé de deux années, se soldant par une baisse du niveau de scolarisation, en raison des grèves répétitives, observées par les enseignants, depuis 2003, mais aussi du fait de la déficience du modèle pédagogique qui leur a été imposé par les réformes successives». La charte d'éthique et de stabilité que propose Me Benghebrit, Ministre de l'Éducation nationale, au corps enseignant est salutaire, et vient à point nommé pour poser sereinement sur la table, tous les problèmes liés à l'Éducation nationale, et non pas uniquement ceux relatifs aux droits et devoirs des enseignants. Cependant, il faut être clair, l'École n'est pas le monopole des enseignants ou des politiques, elle est le fondement vital, de toute société qui aspire a sa pérennité, au développement intellectuel et matériel de ses individus et à sa sécurité. Elle est l'affaire de toute la société, sans aucune exclusion.

Si l'École est aujourd'hui dans une impasse, cela résulte principalement à des choix politiques, qui lui ont été imposés sans consensus, en consacrant de plus en plus l'incompétence, la médiocrité et le clientélisme à tous les niveaux. La proposition de Me Benghebrit, devrait être accompagnée par toutes les bonnes volontés, au-delà de leur différend, de leurs différences idéologiques ou dogmatiques. Il est urgent d'instaurer une charte de l’École, avec la concrétisation d'un consensus au sein de toute la société, pour sortir définitivement de la dépendance et du sous-développement scientifique, littéraire et culturel dans lequel se trouve le pays. Le rôle de la presse, des médias, des intellectuels, des artistes, des universitaires, des parents d'élèves et des enseignants est indispensable, pour réaliser cette démarche et la rendre effective dans le but de construire des assises solides pour un État moderne, fort et prospère, ancré dans son Histoire, toute son Histoire assumée et revendiquée, capable de se faire une place parmi les grands pays influents, conquérants et concurrents, dans le monde qui nous est souvent hostile. Mais il serait impossible d’y aboutir sans une École, décomplexée, moderne, compétitive, créative et innovante.

Ahmed Farrah

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