"Abbès Laghrour du militantisme au combat" de Salah Laghrour

La couverture du livre.
La couverture du livre.

Plusieurs aspects de la guerre de la libération dans l’Aurès-Némemcha demeurent à ce jour peu explorés. L’assassinat de Chihani Bachir, le complot des colonels (dit aussi, complot Lamouri), la reddition de Adjoul Adjoul ainsi que la condamnation et l’exécution de Abbas Laghrour et ses compagnons par le CCE n’ont pratiquement fait l’objet d’aucune recherche historique sérieuse.

Les historiens ayant eu à traiter les troubles qui ont émaillé la wilaya I après la mort de Ben Boulaïd se sont contentés de mettre sur le compte du "tribalisme" et des rivalités pour le pouvoir, tous les évènements sanglants qu'a connu la wilya I. Cette vision simpliste est contestée aujourd’hui par Salah Laghrour qui entend par ce livre, rétablir certaines vérité, mais surtout rompre le silence sur les circonstances troubles de l’assassinat de son frère : "Que le silence entourant les circonstances de son assassinat soit imposés pendant la durée des combats, pour l’intérêt même de la révolution, c’est compréhensible. Mais que ce silence demeure une sacralité opposable aux familles et aux chercheurs en 2014, cela l’est moins, voire pas du tout", regrette l'auteur. (page 219).

Salah Laghrour propose dans ce livre un éclairage nouveau sur le parcours de Si Abbas. De ses débuts au sein du PPA-MTLD à Khenchela jusqu’à sa mort en Tunisie dans des circonstances tragiques.

L’homme aux 163 embuscades et batailles

Abbas Laghrour est né le 26 juin 1926 à Thamayoureth, douar de N’sigha près de Khenchela. Il suit son éducation à l’école française et obtient son certificat d’études primaires. Ensuite il réussit à se faire recruter au niveau de la commune mixte de Khenchela, d’abord comme huissier, ensuite comme cuisinier. Il n’y restera pas longtemps, parce qu’il sera licencié peu après lorsqu’on découvre ses activités au sein du PPA. Cette injustice, loin de le décourager, va renforcer ses convictions nationalistes.

En proposant de nombreux témoignages de militants de l’époque et d’ouvrages historiques, Salah Laghrour dresse un tableau exhaustif de la situation politique qui prévalait dans l’Aurès et à Khenchela précisément pendant les années 1940-1950. En effet une grande effervescence régnait dans les milieux culturels et militants où tous les partis politiques étaient représentés. Cette "fermentation" d’idées a aiguisé le sens patriotique de Abbas Laghrour et lui a permis de prendre conscience du problème colonial et la nécessité de le combattre. Il adhèrera au PPA-MTLD à la fin des années 1940 et ne tardera pas à devenir l’un des leadeurs du parti dans la ville de Khenchela et le lieutenant de Ben Boulaïd dans l’Aurès-Némemcha.

En dirigeant l’attaque historique de la nuit du premier novembre à Khenchela qui a inauguré le combat libérateur pour le peuple algérien, Abbas Laghrour aura inscrit en lettres d’or, son nom au Panthéon de l’Histoire nationale. Avec les batailles d’El Djorf, Asfour, Laâmra, l’embuscade de Tafassour, Abbas Laghrour s’affirmera comme étant un génie de la guerre subversive. Le "Giap algérien" (d’après Henri Alleg) est l’homme qui a infligé le plus de dégâts à l’armée française entre novembre 1954 et juillet 1957 (date de sa mort). De Bigeard à Château-Jobert en passant par Vanuxem et Clostermann, tous les militaires français ont reconnu unanimement la bravoure du "seigneur des Némemecha".

La vengeance de l’autorité coloniale après la nuit du premier novembre fut terrible. Toute la mechta des Laghrour a été transférer à un camp de regroupement à M’toussa, sa femme et son père ont subit les plus atroces tortures. Son père y succombera après une hémorragie interne.

L’assassinat de Chihani Bachir

Parmi les accusations pour lesquels Abbès Laghrour a été condamné et exécuté par le CCE (Comité de coordination et d’exécution) figurait sa coresponsabilité (avec Adjoul) dans la mort de Chihani Bachir. Les circonstances de cette mort tragique est l’un des épisodes les plus obscurs de la guerre de libération.

Salah Laghrour rapporte plusieurs témoignages sur les circonstances et les raisons de l’exécution de Chihani. Il cite Mohamed Larbi Madaci, Mohamed Zeroual, Mohamed Abbès, Mohamed Harbi, et l’écrivain anglais Alistair Horne. Il recoupe et confronte tous ces témoignages avant de récuser l’accusation de "pédérastie" porté sur Chihani Bachir et conclu : "Les motifs évoqués parfois fabulés par leurs auteurs, n’impliquent pas avec notre regard d’aujourd’hui, une condamnation à mort de Chihani… Il n’a pas trahi, il restera pour nous et pour l’Algérie,hier, aujourd’hui et demain, un grand symbole, un héros national. Nous tenons à réaffirmer ici, que cette image "d’homosexuel" collée à Chihani Bachir doit être exclue de notre vocabulaire, non seulement par respect pour sa mémoire mais aussi pour ne pas entacher la personnalité immense de cet homme en colportant des ragots immondes". Et d’ajouter : "Si j’évoque ici toutes les raisons supposées qui ont fait qu’il soit jugé et exécuté, c’est aussi pour ne pas altérer et protéger la mémoire de Abbas Laghrour qui n’est plus là pour se justifier" (page 170).

Le congrès de la Soummam, la mission de Amirouche dans l’Aurès et la reddition de Adjel Adjoul

Pour Salah Laghrour, le congrès de la Soummam était loin de faire le consensus au sein des combattant de l’ALN. Il y voit dans l’absence de la wilaya I du congrès, un acte prémédité et une volonté d’exclure l’Aurès-Némemcha. Pourquoi, interroge-t-il, n’a-t-on pas informé Abbès Laghrour de la tenue du congrès alors qu’il se trouvait en Tunisie quelques mois avant la tenue du congrès ?

La mission de Amirouche dans l’Aurès pour transmettre les décisions du congrès de la Soummam a été un échec complet, juge Salah Laghrour, pour qui Amirouche s’est comporté tel un "inquisiteur" face à Adjoul. Son manque de connaissance du terrain ainsi que sa partialité dans la distribution des grades et des promotions a accentué les rivalités et compliqué la situation jusqu’à provoquer la tentative d’assassinat de Adjel Adjoul et sa reddition.

Les "mouchawichine" (perturbateurs)

Salah Laghrour récuse ce qualificatif qui désignait ceux qui ont contesté le congrès de la Soummam et ses décisions. C’est d’ailleurs au nom de la légalité que les voix des contestataires furent noyées dans le sang, provoquant une véritable hémorragie au sein des chefs et cadres de la wilaya I. Salah Laghrour raille les décisions du CCE et parle de la «primauté du moi sur le toi" (page 193).

La fusillade de Mathildeville et la mort de Abbas Laghrour

Après le congrès de la Soummam, la visite de Amirouche et les remous qu’ils ont provoqué dans l’Aurès-Némemcha, Abbas Laghrour s’est rendu en Tunisie afin de rencontrer les responsable du FLN et connaitre les décision de la Soummam. En arrivant à Tunis, il a tenu une réunion de conciliation avec les déférents chefs de la wilaya I. Ladite réunion qui s’est tenu à Mathildeville dans la banlieue de Tunis a été interrompue par une fusillade. Abbas Laghrour et ses compagnons furent arrêtés par les autorités tunisiennes et remis au CCE.

Salah Laghrour y voit dans cet incident la main de Mahjoub Ben Ali, homme de confiance de Bourguiba qui a agit en représailles contre Abbas Laghrour pour avoir armé et aidé des combattants youssoufistes qui s’opposaient au cessez-le-feu signé par Bourguiba avec les Français.

Abbès Laghrour et ses compagnons : Lazhar Cheriet, Houha Belaïd,Tidjani Athmani, Guerfi Rebaï, Ben Ali Mohamed, Bouhadiji El aâid, Chouchène Bahi, Hali Abdelkarim, Ettoumi, Hmimi Aït Zaouche, Abdelmadjid Zaârour, Mahmoud Mantouri et Soufi Abdelmajid seront condamnés et exécuté par le CCE.

Il aura fallu un quart de siècle après l’indépendance et l’arrivée de Chadli Benjdiedid pour que sa dépouille soit rapatriée, comme celle de Abane et une dizaine d’autres combattants de l’ALN.

Abbès Laghrour repose aujourd’hui au cimetière d’El Alia aux côtés des grands symboles de la Révolution.

Jugurtha Hanachi

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Commentaires (14) | Réagir ?

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arine arma

merci pour le partage

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