La danse des morts et des survivants

Rachid Hamdad, Moh Achour et Moussa Aït Ihaddadene.
Rachid Hamdad, Moh Achour et Moussa Aït Ihaddadene.

Moh Achour, mon ami, mon frère

Par Moussa Ait Ihaddadene

Voila parait-il dix-neuf ans que tu es parti, dix-neuf longues années pour ceux que tu chérissais, à apprendre à vivre sans toi.

Moi qui ne t'ai pas vu partir. Moi qui ne t'ai pas enterré. Moi qui n'ai pas vu pleurer les tiens. Moi qui n'ai pas chialé comme une madeleine à tes obsèques. Moi qui ne suis pas tombé dans les bras d'un camarade pour cacher mes larmes à Ghilas et Nazim.

Je suis là, agacé par tes doigts qui tambourinent sur cette maudite table d'une salle de rédaction et qui m'empêchent de me concentrer sur mon papier. Ah, si je savais que tu partais. Au diable mon papier, au diable cette table de rédaction, au diable ce journal, tambourine sur cette table jusqu'à ne plus sentir tes doigts. Ou tu sais quoi? J'irais chercher la derbouka de Rabah Khalfa. Je lui arracherais même sa chevalière pour que tu puisses enfin réaliser ces roulements magiques dont il avait le secret. Promis, je me moquerais plus de toi, je te crois sur parole, c'est avec sa chevalière qu'il les réalisait. Il y a pas si longtemps, j'ai passé à Bastia un agréable moment avec lui après un concert de Idir. Sais-tu qu'il a réussi à captiver la salle avec sa derbouka sur une improvisation majestueuse mélangeant un chant corse et un autre Kabyle du chanteur kabyle et le célèbre groupe Corse Imuvrini.

Et là dans cette loge, je lui ai demandé. C'est avec sa chevalière qu'il les fait. Je te crois enfin. Tu avais raison comme toujours.

Aller, viens, ne t'en vas pas, prends la derbouka de Khalfa, quittons cette salle obscure. Passons prendre tes deux anges et ta reine, n'oublions pas de prendre au passage Rachid Hamdad et allons chez moi. Moi je passerais acheter du poulet et du riz dont tu avais le secret de la cuisson. Houria t'embrassera affectueusement comme d'habitude et sera contente et soulagée de ne pas cuisiner ce soir. Et là mon cher ami tu peux y aller. Fais rouler tes doigts sur la derbouka. Aller roule, roule. Et là, mon frère, moi qui ne danse jamais, je déhancherais comme un diable, avec Ghilas sur mes épaules et Nazim dans un bras. Houria ira chercher son foulard et un autre pour ta reine... et tu me chuchoteras discrètement dans l'oreille " qu'est ce qu'elles sont belles".

La fête bat son plein, je vois arriver nos amis et camarades. Je vois arriver Boukhalfa, Moumouh, Ramdhane, Rachid B, Rachid T, Rabah,Tahar et tant d'autres. Je vois là nos amis artistes, je vois Zedek, Hamani. Je vois aussi Nabila Djahnine et Said Tazrout. Je les vois tous là en train de danser au son de ta derbouka. Je ne peux m'empêcher de me moquer de la danse de Hamdad et Ramdhane, mais aussi de la cravate de Said Tazrout. Et comme d'habitude tu me diras que c'est vilain de se moquer de ses amis. Je te dirais comme à un grand frère, pardon de m'être conduit comme ça. Tu sais, vieille canaille, j'ai fini par comprendre que tu n'attendais que le moment de me moquer et de rire de nos camarades pour en rire aussi sans avoir à le faire en premier. Et j'ai continué à faire semblant de ne pas comprendre pour que tu puisses me gronder affectueusement comme un grand frère que j'ai jamais eu.

Purée, Achour, qu'est ce qu'on était heureux !

Une derbouka, du riz, un poulet et ceux qu'on aime et le monde était à nos pieds.

Mais voilà, il y a eu ce coup de fil de Rachid B, alors que je me trouvais loin de toi, dans une petite île de la Méditerranée pour m'annoncer que le monde s'écroulait. J'aurais pu être là, et partir à ta place. Moumouh aussi aurait pu être là, et partir à ta place. Salah aussi aurait pu être là et partir à ta place. On aurait pu être tous là et partir ensemble. Mais c'est toi qui es parti. Comme si, comme d'habitude, tu as toujours aimé montrer l'exemple en étant le premier à la tâche. Mais cette fois ci, la tâche était...

Dix neuf années sont passées depuis ce coup de fil. Ta bienveillance légendaire rayonne toujours sur nous malgré nos errements, nos lâchetés et nos fuites en avant. Même si de temps en temps je te vois ricaner avec Rachid sur certaines de nos petitesses et faiblesses .Une chose est restée inébranlable, notre amitié pour toi cher ami est restée fidèle.

J'ai vu Ghilas il y'a quelques mois, non loin de là où on trainait. Il m'a parlé de lui, de Nazim et de ta reine. Je suppose que tu es plus au courant que moi. Je voudrais simplement te dire, comme on dit chez nous, que ta reine mon cher ami, a élevé deux lions qui sont prêts à tout moment à rugir pour défendre ta mémoire. De ça aussi, je suppose que tu n'as jamais douté.

Que te dire de plus, sinon que je t'aime et tu me manques terriblement.

Je t'embrasse très fort. Tu embrasseras Hamdad pour moi.

M.A.I.

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Commentaires (3) | Réagir ?

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algerie

merci

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algerie

merci

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